Bernard Bretonnière a eu la gentillesse de réagir à une remarque du flotoir, à propos d’Ingrid Jonker et de me proposer un petit dossier sur cette poète sud-africaine. Voir son article ici.
L’enfant abattu par des soldats à Nyanga
L’enfant n’est pas mort
l’enfant lève les poings contre sa mère
qui crie Afrika ! crie l’odeur
de la liberté et du veld
dans les ghettos du cœur cerné
L’enfant lève les poings contre son père
dans la marche des générations
qui crie Afrika ! crie l’odeur
de la justice et du sang
dans les rues de sa fierté armée
L’enfant n’est pas mort ni à Langa ni à Nyanga
ni à Orlando ni à Sharpeville
ni au commissariat de Philippi
où il gît une balle dans la tête
L’enfant est l’ombre noire des soldats
en faction avec fusils blindés et matraques
l’enfant est de toutes les assemblées de toutes les lois
l’enfant regarde par les fenêtres des maisons et dans le cœur des mères
l’enfant qui voulait simplement jouer au soleil à Nyanga est partout
l’enfant devenu homme arpente toute l’Afrique
l’enfant devenu géant voyage dans le monde entier
Sans laissez-passer
Ingrid Jonker, L’Enfant n’est pas mort. Traduction de Philippe Safavi. Collection « Poésie » dirigée par Georges-Emmanuel Morali. Éditions Le Thé des écrivains, en coédition avec Zootrope Films, 2012.
Le 21 mars 1960, un massacre eut lieu à Sharpeville. Un vent de violence secoua alors toute l’Afrique du Sud. Au Cap, un bébé noir qui se trouvait dans les bras de sa mère fut tué par des policiers blancs. Ingrid Jonker, indignée, se rendit au commissariat de Philippi pour s’incliner devant le corps ; et écrivit ce poème que le poète Mattheus Uys Krige, son mentor et confident, salua comme « l’un des meilleurs poèmes en vers libres de notre littérature ».
Le 24 mai 1994, lors de son discours d’investiture devant le premier parlement sud-africain élu démocratiquement, Nelson Mandela lut intégralement ce poème, traduit en anglais.
En attendant Jack à Amsterdam
Je peux dire que je t’ai attendu
au long des nuits de l’Ouest
à des arrêts de bus
dans des ruelles
sur des aérodromes
au bord de canaux
au pied du gibet des larmes
Tu es venu
traversant les villes perdues d’Europe
je t’ai reconnu
j’ai dressé la table
avec du vin du pain mon indulgence
mais impassible tu m’as tourné le dos
tu as sorti ton sexe
l’as posé sur la table
puis sans un mot
avec ce sourire à toi
tu as quitté le monde
Ingrid Jonker, L’Enfant n’est pas mort. Traduction de Philippe Safavi. Collection « Poésie » dirigée par Georges-Emmanuel Morali. Éditions Le Thé des écrivains, en coédition avec Zootrope Films, 2012.