Lettre à l'ex-comique signée par une rescapée de la Shoah

Publié le 16 janvier 2014 par Asse @ass69014555

Cher Dieudonné,

Je vous écris de la part de Jenny Sztanke née Chmielnicka. Je l’ai enterrée au mois de mai dernier au cimetière juif de Bagneux. Trop drôle. Ca vous dit quelque chose Bagneux ? Personne n’a encore fait de « quenelle » là-bas mais ça ne devrait pas tarder, n’est-ce pas ?

Jenny est née à Berlin le 4 août 1925. En mars de l’année 1940, les SS ont arrêté ses parents pendant qu’elle suivait un cours de piano chez une voisine. Elle ne les a jamais revus. Quelques semaines plus tard, elle a été déportée dans le ghetto de Lodz en Pologne. Vous connaissez le ghetto de Lodz ? Je vous explique un peu. C’était une sorte de grand centre industriel pour passer du bon temps. On y mangeait quand on pouvait, et on y jouait à cache cache avec les kapos et autres nazis.

Par contre Dieudonné, je vous le dis tout de suite, on ne pouvait pas sortir quand on voulait. Pas question là-bas de se rendre au théâtre. Mais c’était quand même, en 1940, un drôle de lieu le ghetto de Lodz, un lieu plein de vie. Si il n’y avait pas assez à manger, les résidents du ghetto pouvaient se plaindre au Judenrat. Vous savez ce que c’est un Judenrat ? C’est un conseil des juifs mis en place par les allemands pour faire le lien entre la population des ghettos et les nazis. Ce conseil était forcé de livrer des juifs aux allemands. Par exemple, si les nazis voulaient plus de main d’œuvre dans une usine, ils demandaient au responsable du dit Judenrat de leur fournir des bras.

Eh oui car à Lodz, on devait quand même travailler un peu pour fournir la Wehrmacht en équipements. Je crois qu’on appelait ça le travail forcé. Dieudonné, vous savez quoi ? Jenny travaillait à la plonge en cuisine pour vos amis. Trop drôle. Et puis, quand les nazis décidèrent de sonner la fin des vacances, ils ont emmené Jenny dans un autre camp de travail. Ca devait être en mars 1944. Mais Jenny ne se souvenait plus du nom car ils ne l’ont pas gardée longtemps. Ils l’ont rapidement transférée à Bergen Belsen, en Allemagne, un camp de concentration cette fois-ci. Les nazis disaient que c’était un camp de « repos » pour ceux qui étaient incapables de travailler ou ceux trop épuisés.

C’est fatiguant les vacances, Dieudonné. Puis, il y avait tellement de candidats pour ce camp que Jenny a fini par être envoyée à Dachau trois semaines plus tard. Vous connaissez Dachau ? C’est en Allemagne aussi. Pendant cette période, Jenny a contracté le typhus. Les responsables du camp n’avaient pas prévu de médecins. Du coup, pour qu’elle aille mieux, ils lui ont demandé avec d’autres résidents du camp d’entamer une marche de 5 kilomètres dans la neige pieds nus. Ca devait être début janvier 1945. Vous connaissez cet endroit en hiver ? Et puis, un jour Jenny a été alignée avec d’autres femmes près d’une fosse. Elle devait penser que c’était un jeu et qu’il fallait courir le plus vite possible ou bien sauter dans cette fosse.

Vous savez quoi Dieudonné ? Elle s’était trompée de jeu. Le jeu consistait à sortir un flingue et à tirer sur une femme sur deux. Pas toutes. Vous connaissez la roulette russe ? Parfois ça passe. Jenny est passée. Et puis la fin de la récréation a été sifflée par ceux que vous ne devez pas trop apprécier, les fameux alliés américains. Ils ont décidé que Jenny devait vivre. Elle a donc été libérée de son baraquement où ils devaient être 1500 entassés.

Jenny a rejoint Paris en 1947 avec un homme qu’elle avait rencontré dans un sanatorium pour les déportés. Là, elle était vraiment au repos. Jenny devait peser 29 kilos. Vous savez ce que c’est de peser 29 kilos, vous ? Ca doit vous faire marrer ce que j’écris là non ? Vous pourrez vous en servir pour vos spectacles, ça devrait faire rire votre public.

Ah j’oubliais. Une fois à Paris, Jenny a travaillé à Belleville avec son mari, dans un atelier de confection. Puis, elle a quand même voulu apprendre le français parce que son rêve après ses vacances à Lodz, Bergen Belsen et Dachau, c’était de gagner un peu d’argent pour nourrir son fils. Du coup, elle a passé un concours et elle est devenue poinçonneuse dans le métro parisien. Comble de la blague juive, celle-là vous allez pouvoir la raconter. Elle est tombée malade, encore ! Et cette fois-ci, écoutez – bien, vous allez rire. En fin de vie, parce qu’il faut bien une fin de vie, elle a été recueillie par une famille algérienne. Si si je vous assure, une famille de musulmans. Et vous savez quoi ? Ces musulmans, ils habitent à Drancy !

C’est dingue non. Vous la faites la blague ? « La boucle est bouclée ». Je ne leur ai jamais demandé si, ensemble, ils chantaient « Shoah-nanas » pour passer le temps. Mais pour votre gouverne, Jenny a toujours dit que cette famille c’était aussi la sienne. Parce que Jenny vous voyez, les différences, elle, à plus de 80 ans, ça lui passait un peu au dessus.

Enfin pour être honnête, pas complètement, elle a toujours dit qu’elle n’aimait pas les Français, que leur esprit était petit. C’est bizarre, j’ai mis du temps à comprendre. Voilà Dieudonné, du fond de son caveau à Bagneux, et après une vie de juive à bien se marrer,

Jenny, ma grand-mère, vous salue bien.