Plusieurs sénateurs français viennent de s’exprimer avec force contre le projet d’accord de libre-échange transatlantique. Si cela participe du processus démocratique, on ne peut s’empêcher d’y voir l’expression d’un rapport historiquement conflictuel de la France à la mondialisation. Pourtant, on est à l’aube d’une nouvelle mondialisation qui rend la posture française de plus en plus problématique pour les entreprises.
La mondialisation n’est plus ce qu’elle était… Disons que les schémas du commerce international ne sont plus les mêmes aujourd’hui. Ce sont, pourtant, eux qui ont présidé à la conclusion de l’accord de l’OMC à Bali en décembre dernier. Les échanges internationaux du 21ème siècle sont le reflet de la fragmentation des chaînes de valeurs à travers le monde (CVM), ouvrant la voie à un commerce de tâches et non plus à un commerce de biens à part entière comme l’ont mis en exergue les derniers travaux de l’OCDE et de l’OMC sur la mesure du commerce international en valeur ajoutée. Les entreprises produisent un bien en différents points du monde et non plus tant un bien à différents stade du processus. Cette tendance va s’approfondir davantage encore à l’avenir.
Or, « les nouvelles règles et disciplines, qui sous-tendent le commerce associé aux chaînes d’approvisionnement, sont élaborées en dehors de l’OMC dans le cadre d’ACPr [accords commerciaux préférentiels] profonds, d’accords bilatéraux d’investissement et de réformes autonomes menées par les économies émergentes », ainsi que le souligne l’OMC dans son rapport 2013 sur le commerce mondial. Cela s’explique notamment par le fait que l’internationalisation des chaînes d’approvisionnement a renforcé les liens entre « commerce, investissement et services » constate, pour sa part, Richard Baldwin, Professeur d’économie internationale. Dans ces domaines, l’OMC ne parvient pas à délivrer de résultats à l’échelle multilatérale : les services font actuellement l’objet d’une négociation plurilatérale ; les règles sur l’investissement sont négociées dans le cadre d’accords bilatéraux ou libéralisées via des réformes unilatérales depuis l’échec du projet d’Accord multilatéral sur l’investissement (AMI) à l’OCDE (1998).
À cette fragmentation des CVM, s’ajoutent : 1/ la montée en puissance du contenu des biens manufacturés en services – ce qu’on nomme la servicification – rendant inopérante la négociation découplée de règles sur les biens industriels et sur les services à l’OMC ; 2/ le développement des flux de biens numérisés pour lesquels la simplification des procédures de passage en douane – obtenue lors de la conférence ministérielle de l’OMC à Bali – n’a aucune résonance.
Pour toutes ces raisons, les accords commerciaux régionaux vont être la tendance dominante de ces prochaines années si l’on veut « suivre » les entreprises dans l’organisation de leurs activités. De même, la capacité des économies à intégrer les chaînes de valeurs dépendra de leur compétitivité au sens large, y compris la capacité à gérer et à attirer les talents, à faire évoluer la logistique, à se réformer, etc. pour capter et créer de la valeur ajoutée.
Dès lors, on peut se demander si l’approche française en faveur d’une mondialisation régulée est à même de répondre aux défis. La France peut-elle se permettre de rater la prochaine étape de la globalisation, d’aller dans le sens contraire de l’histoire ? En marquant leur opposition au projet d’accord transatlantique, les sénateurs français ne délivrent probablement pas le bon message…