La synagogue d’Asni, dans l’Atlas, près de Marrakech ves 1950
L'Alliance Israélite, quelque importantes que soient ses réalisations, ne saurait se contenter du maintien pur et simple de ses institutions, ni même de leur développement, mais cherche à étendre toujours davantage son rayon d'action; afin d'apporter aux populations qui jusque-là en étaient privées, les bienfaits de son œuvre émancipatrice.
A cet effet, M. Tajouri, délégué au Maroc de l'Alliance a chargé un de ses meilleurs collaborateurs, d'une mission consistant à procéder à une enquête aux fins d'extension du réseau scolaire dans un certain nombre de communautés juives du Sud de Marrakech, el de visiter les Ecoles de l'Alliance du Tafilalet, en particulier celles ouvertes depuis le 1er Octobre 1948, soit l'école de Rissani, de Gourama, et de Talsint. Nous reproduisons ci-dessous d'importants extraits du remarquable rapport établi à la suite de cette enquête et qui a paru dans les Cahiers de l'Alliance Israélite Universelle. (N°* 34 et suivants).
Article paru dans le Bi-mensuel NOAR du 15 Octobre 1949.
Notre départ de Marrakech s'est effectué le 20 avril au soir. Il semble qu'au fur et à mesure que l'on s'éloigne de ce centre, l'élément israélite se raréfie, pour disparaître presque complètement à une centaine de kilomètres de Marrakech. Il réapparaît à Ourarzazate, à 203 kms au sud-est de Marrakech ; encore ne s'agit-il que d'un groupement très modeste, ne dépassant pas 250 personnes. D'ailleurs, l'effectif israélite des centres parcourus, Skoura, El Kelaa des M'gouna, Tinehrir, Tinjad (celui-ci dans le Tafilalet) oscillera généralement autour de ce nombre, sans jamais dépasser 425 personnes, soit pour l'ensemble de la population à peine 3.000 âmes. Il s'agit donc d'agglomérations très réduites, correspondant à peine à la population d'une rue de Mellah citadin et qui — si l'on excepte l'intérêt humain qu'elles suscitent en nous — ne peuvent retenir en fait l'attention qu'en raison .du stade social auquel elles se trouvent encore.
Il ne saurait être question pour nous d'entreprendre ici une étude des ces populations, étude pour laquelle tout nous manque. Quels sont les motifs et les circonstances d'installations de ces éléments ? Quelle est leur histoire, même récente ? Dans quelles conditions et à quel prix ont-ils maintenu leur individualité? Dans quelle mesure se sont-ils assimilés au milieu ambiant ?
Pour rapporter les indications recueillies de la bouche de ces gens, et qui n'ont d'ailleurs pour nous qu'un intérêt « journalistique », quand on les interroge sur leurs origines, ils vous répondent avec une fière assurance : « Nous descendons des Palestiniens. » De même leurs rabbins décédés seraient de grands rabbins « palestiniens » leurs Sifré-Tora viendraient de Jérusalem, de Tibériade ou même de Safed. Mais quand on invite ces gens à préciser ces origines, ils avouent (et le contraire certes étonnerait) leur ' ignorance : « Qu'en savons-nous ? Nous sommes dans ce pays comme nos pères et nos grand-père s'y trouvaient ». Sans chercher à définir ces origines lointaines (Juifs authentiques-palestiniens ou autres, réfugiés ici à la suite de persécutions, ou berbères judaïsés ou mélange des deux, l'élément berbère ayant réussi grâce au nombre à assurer la survivance des éléments originairement juifs), on peut se demander si les populations israélites de la région de Marrakech ont appartenu naguère à la grande communauté du sud. Leur source n'est-elle pas plutôt dans le Tafilalet plus proche ? Ne sont-elles pas les survivantes de la très importante communauté de Sidjilmassa (aujourd'hui Rissani, au sud d'Erfoud), foyer de la science juive au Xlle siècle, appelée la Jérusalem marocaine, détruite et dispersée en 1142 ? Leur air actuel, à en juger par le type physique, surtout féminin, la langue me semblent appartenir au Tafilalet. Notons aussi la grande vénération que l'on éprouve dans ces petites communautés pour le Saint Jacob ABEHSERA, originaire du Tafilalet. Il est douteux en tout cas que ces groupements aient été beaucoup plus importants dans le passé, et qu'ils aient joué un rôle quelconque dans la vie du Judaïsme marocain. Les difficultés de communication, l'insécurité régnante ont dû les réduire à l'isolement, les condamnant à vivre sur eux-mêmes, et cet état de choses n'a jamais été favorable à la civilisation. La vie a dû leur venir du dehors, probablement par les rabbins voyageurs ou « chaliah kolel ». On reste donc étonné que ces conditions d'existence n'aient pas abouti à la déchéance physique et morale de ces populations. Nous serons souvent frappés au cours de notre voyage de la finesse et même de la profondeur des réflexions de nos hôtes (nous en citons plus loin quelques exemples), de même que de la vivacité d'esprit de l'enfance juive ici. Il est vrai que le souffle vivifiant apporté par la France dans ces régions» bien que de date récente, a agi sur nos coreligionnaires. Mais on peut poser en thèse générale que c'est la tension prolongée à laquelle le Juif a été soumis ici, par suite de ses conditions de vie, qui l'a maintenu «' en forme ». Ajoutons, pour nous expliquer la survivance de ces noyaux, leur forte natalité, supérieure à celle de l'élément musulman.
Les mellahs, quoique parfois clos par deux portes qu'on fermait en cas d'attaque, font partie de l'ensemble de l'agglomération, mais n'y possèdent pas toutefois d'emplacement particulier ; on nous les a déclarés très anciens sans autre précision. Le Juif a construit lui-même sa maison, il en est propriétaire, sauf exceptions ; nous n'avons pas eu l'occasion de déterminer les modalités d'après lesquelles étaient acquis le terrain. L'architecture est celle du sud, l'ensemble de l'agglomération formant Kasbah. Aucune servitude particulière ne paraît avoir pesé sur l'habitation juive, faite avec les mêmes matériaux que l'habitation musulmane, et libre de se développer en hauteur. On accède à la terrasse où à la pièce supérieure par un invraisemblable dédale d'escaliers très obscurs, qui vous fait courir à tout instant le risque de vous tordre le cou. L'économie de cette habitation — faite parfois d'un grand nombre de pièces, réduits, réserves, dépôts de marchandises — ne paraît relever d'aucun plan précis, l'ensemble a poussé comme il a pu. Le manque d'espace —- les Kasbahs avec leurs mellahs étant souvent construites sur une hauteur pour des motifs de sécurité ou à la limite de cours d'eau — a obligé l'habitant à utiliser tout coin disponible devenu une « pièce », et à s'installer en hauteur. Dans ce monde, les bêtes, chèvres, ânes, poules, vivent dans une aimable familiarité avec les humains.
Le mobilier, dans la maison juive est pratiquement inexistant. Nous serons étonnés de constater qu'à cet égard la maison du riche ne se distingue pas de celle du pauvre : une natte par terre, très rarement un tapis, voilà tout ce que l'on trouve dans le « salon », murs nus, gris de la terre dont ils sont faits, portant très rarement le portrait, bien entendu supposé, de Ribbi Simon Ben JOHAÎ, ou du rabbin Jacob ABEHSERA. L'absence de mobilier s'explique sans doute, indépendamment de la condition économique des gens, par le manque de bois qui caractérise cette région. Il est vrai que la femme juive, par la multitude de ses bijoux - et l'abondance de son « ornementation » comble avantageusement l'absence de tout mobilier. Mais c'est là un monde complexe qu'il nous a été à peine donné d'entrevoir au cours de notre bref passage. Notons seulement que la femme juive — comme probablement toute autre à sa place, car la psychologie féminine obéit aux mêmes lois ici ou là — s'est montrée, sous ce chapitre de l'ornementation, particulièrement sensible au milieu ambiant. Le mari israélite a d'ailleurs adopté, peut être ' inconsciemment, à l'égard de sa femme l'attitude de l'époux musulman à l'égard de la sienne : la femme juive est tenue à l'écart, sans rudesse au surplus , réduite à la cuisine et aux travaux ménagers, invités à déjeuner ou à dîner, nous constaterons que l'enfant, même jeune, s'assiéra à notre table ou à une table voisine, tandis que la mère ou la sœur resteront à la cuisine.
De quoi et comment ces gens vivent-ils ? Les données d'une économie rudimentaire se sont imposées au Juif comme au musulman On travaille —- on a travaillé beaucoup plus dans le passé — la terre. Certains Juifs sont encore agriculteurs en association avec le musulman. D'autres sont des artisans, savetiers, bijoutiers, la femme étant la principale cliente, soukiers attendant le jour-de souk pour faire peut-être l'unique affaire de la semaine. On s'étonne souvent de s'entendre répondre à la question : « Comment tel ou tel vit-il ? » par « de rien ». Le bricolage paraît constituer ici une profession généralisée. Les fortunes les plus importantes restent bien modestes, la richesse "ici est détenue par le commerçant citadin israélite, Marrakchi, qui traite d'ailleurs de loin, et se contente de se faire représenter dans la localité.
Pour ce qui concerne la nourriture, elle est caractérisée par l'absence presque complète de légumes, résultant d'ailleurs de la nature de la région. Mais nous savons que même en ville l'Israélite apprécie peu les légumes, sa cuisine étant faite d'une succession de plats de viande quand il en a les moyens : mouton, bœuf, poulet etc., fortement relevés ; le même goût pour les épices se manifeste dans les mellahs visités. La boisson est l'eau-de-vie « Mahia » faite de figues ou de dattes, fruits de la région.
Nous avons eu même l'impression et parfois à nos dépens, que l'on boit ici de la « Mahia » beaucoup trop facilement. Il y a toujours une bouteille d'eau-de-vie, fortement entamée, qui traîne sur la table, à la portée même des enfants. Les rassemblements chez le voisin se font autour d'une bouteille. Les fêtes sont l'occasion d'impressionnantes absorptions de « Mahia » et les derniers jours de Pâque, date de notre passage, en particulier la Mimouna, n'auront pas échappé à cette règle. On s'explique aisément la place occupée par la « Mahia » ici : elle constitue le seul agrément, la seule « distraction» à ces gens qui vivent en vase clos, aspirent à échapper à la monotonie de l'existence, mais ignorent généralement le jeu quel qu'il soit.
Nous n'avons pas eu la possibilité de nous rendre compte de l'état sanitaire de ces populations. Il nous a semblé — mais il ne s'agit que d'une impression superficielle — qu'il n'est pas trop médiocre. L'adulte — homme ou femme — apparaît assez vigoureux, l'enfant assez sain ; nous n'avons pas été frappés, à l'exception d'un petit mellah sis près d'Ouarzazate, par des cas graves de trachome ou de teigne ; dans l'ensemble, ces mellahs seraient plus propres que certains mellahs citadins. Il n'en reste pas moins vrai que l'œuvre sanitaire est entièrement à entreprendre ici.
* * *
Ces colonies ont formé dans le temps des agglomérations fortement unies autour de leurs croyances et de leur foi. La fortune ou le savoir, pratiquement très modeste, n'ont -pas élevé des barrières entre les individus, encore moins formé des classes. Le « principal » devait être incarné par le «Cheik el Youd» le représentant des Juifs auprès de l'autorité locale. L'absence de Communauté organisée encore à l'heure actuelle — la région sud de Marrakech reste en effet zone militaire — fait qu'il n'y a pas de notables l'ensemble de la population vivant dans une indistinction démocratique sympathique, mais aussi gênante pour une action de caractère social. Ces gens pratiquent l'hospitalité à l'égard du coreligionnaire non domicilié dans la localité, ¦ mais plus volontiers encore à l'égard du Juif étranger, entendons non marocain, qui leur paraît revêtu d'une autre dignité. On nous a signalé qu'en 1941 les Juifs étrangers (Allemands, Polonais, et autres) internés au camp de concentration de Tinehrir furent l'objet de la part de leurs coreligionnaires indigènes des marques de la plus vive sympathie, en dépit de la barrière constituée par la différence de langue. »
Invités à exprimer leur sentiment sur les circonstances qui ont assuré au long des siècles, à travers une histoire parfois tragique, leurs survivance, ces gens vous répondent spontanément : « C'est le Judaïsme qui nous fait vivre jusqu'à présent », et ils ajoutent : « Nous voulons rester Juifs ». En dépit d'une assimilation profonde au milieu ambiant, de la présence dans ces colonies métissées d'éléments originairement non-Juifs, les Israélites de ces localités nous paraissent avoir du Judaïsme un sentiment plus concret et en quelque sorte plus « adhérent » que leurs compatriotes citadins. Si de multiples facteurs, dont ils ne se rendent pas compte, ont contribué à leur survivance, il n'en est pas moins vrai que leur profession de foi juive reste bien émouvante de la part de gens frustes, dénués d'illusions sur la vie et peu portés, par expérience, à croire aux valeurs idéales.
Si l'on interroge ces gens sur leurs conditions d'existence avant l'occupation française, ils en viennent à vous parler rapidement de la question de sécurité qui les préoccupait. La région sud-est de Marrakech a certes été à leur époque pays « maghzen », mais la dissidence, le « bled-es-siba » était tout proche, au nord et au sud, et nos coreligionnaires se sentaient particulièrement menacés. Indépendamment de la protection, peut-être lointaine, que leur valait l'autorité maghzen, représentée par le Pacha de Marrakech (les Juifs d'ici éprouvent beaucoup d'attachement au Pacha actuel de Marrakech, le Glaoui), il leur fallait au prix de quelques sacrifices, trouver une sauvegarde locale auprès de quelque notabilité qui les « assurait » dans leur foyer et en déplacement, en faisant connaître bien haut que tel ou tel Juif était son protégé.
Ces protections ne pouvaient, bien entendu, être absolues, ni jouer en toutes circonstances. A évoquer l'histoire récente, le mellah d'Asflalo, sis à 6 kilomètres de Tinehrir, et qui serait particulièrement ancien (on nous a dit qu'il remonterait à la destruction du second temple!) a été ' entièrement anéanti il y a une trentaine d'années. Tel Israélite d'El Kelaa des M'gouna nous a exposé que quelques années avant l'occupation française, son père, riche propriétaire, a été contraint de fuir, abandonnant de très importants biens, et son cas ne fut pas unique. Les Israélites de la région n'ont pas hésité, quand l'occasion leur était offerte, de faire le coup de feu auprès des forces maghzen contre les : dissidents. A Tinehrir, on nous montrera un vieillard, encore alerte, qui fut en son temps un « guerrier » réputé, et lui-même tiendra à nous exalter ses faits d'armes.
Il ne serait pas juste cependant de dramatiser le passé et de croire que les Israélites de ces régions ont vécu dans une angoisse perpétuelle. Leur comportement, à en juger par les réactions de l'intelligence et de la sensibilité que nous avons pu saisir, ne paraît pas correspondre à celui des collectivités héritières d'un cruel passé (je songe à l'attitude marquée d'une humilité caractéristique des Juifs des ghettos d'Europe orientale, victimes des pogroms). Si les Juifs de cette région ont été assujettis à la condition politique et sociale et aussi aux servitudes de leurs compatriotes marocains en général, il semble qu'ils aient bénéficié ici de plus de paix et de tolérance. (C'est une hypothèse, mais dont nous voulons faire hommage au voisin musulman). Nos coreligionnaires n'en ont pas moins accueilli comme une véritable délivrance l'ère française. Ils apprécient les nouveaux temps comme un bien général, les jugeant parfois avec une objectivité qui leur fait honneur.
(Un Israélite de Skoura (nous ne nous souvenons plus s'il était rabbin), invité à exprimer son sentiment sur la présence française, nous a répondu qu'avec la France « chacun reçoit son dû ». La présence française, règne du droit : belle définition qui correspond - si bien à l'idéal de justice et d'équité où la France s'est toujours incarnée à nos yeux.
Ces colonies ont formé, dans le temps des agglomérations fortement unies autour de leurs croyances et de leur foi. La fortune ou le savoir; pratiquement très modestes, n'ont pas élevé des barrières entre les individus, encore moins formé des classes. Le « principal » devait être incarné par le « Cheik el Youd »; le représentant des Juifs auprès de l'autorité locale. L'absence de Communauté organisée encore à l'heure actuelle — la région sud de Marrakech resté en effet zone militaire — fait qu'il n'y a pas de notables l'ensemble de la population vivant dans une indistinction démocratique sympathique, mais aussi gênante pour une action de caractère social.
Ces gens pratiquent l'hospitalité à l'égard du coreligionnaire non domicilié dans la localité, mais plus volontiers encore à l'égard du Juif étranger, entendons non marocain, qui leur paraît revêtu d'une autre dignité. On nous a signalé qu'en 1941 les Juifs étrangers (Allemands, Polonais, et autres) internés au camp de concentration de Tinehrir furent l'objet de la part de leurs coreligionnaires indigènes, des marques de la plus vive sympathie, en dépit de la barrière constituée par la différence de langue.
Invités à exprimer leur sentiment sur les circonstances qui ont assuré au long des siècles, à travers une histoire parfois tragique, leurs survivance, ces gens vous répondent spontanément : « C'est le judaïsme qui nous fait vivre jusqu'à présent », et ils ajoutent : « Nous voulons rester Juifs ». En dépit d'une assimilation profonde au milieu ambiant, de la présence dans ces colonies métissées d'éléments originairement non-Juifs, les Israélites de ces localités nous paraissent avoir du judaïsme un sentiment plus concret et en quelque sorte plus ; « adhérent » que leurs compatriotes citadins.
Si de multiples facteurs, dont ils ne se rendent pas compte, ont contribué, à leur survivance, il n'en est pas moins vrai que leur profession de foi juive reste bien émouvante de la part de gens frustes, dénués d'illusions sur la vie et peu portés, par expérience, à croire aux valeurs idéales.
Cet attachement au judaïsme, quelle qu'en soit la raison profonde, ne nous a paru s'accompagner d'aucun fanatisme. Très pratiquants, les Juifs de ces régions n'apportent cependant aucune exaltation dans les manifestations de la foi : on est loin ici du climat mystique, sombre des ghettos d'Europe orientale. Nous avons assisté, à la synagogue de Tinehrir (local d'une propreté toute relative), à l'office du samedi matin : les fidèles suivaient paisiblement, assis sur des nattes à même le sol, l'office célébré par le rabbin ; certains même (honni soit qui mal y pense) paraissaient sommeiller, pour rouvrir les yeux au moment où leurs collègues, plus vigilants, reprenaient en choeur, bruyamment, le fragment à chanter.
Mais cette absence de religiosité intense ne s'observe-t-elle pas également dans les mellahs des villes ? Au cours de ce même office, nous fûmes surpris de constater que les fidèles appelés au « Sefer » étaient uniformément des « Israël », en demandant le motif à notre voisin, il nous fut répondu qu'il n'y avait ni « Cohen » ni « Lévy » dans la communauté ; on insistera donc auprès de nous, en apprenant notre qualité de Lévy, pour « monter » au Sefer. Cette absence de Lévy et de Cohen paraît caractériser la plupart des colonies de cette région, il y a peut être là une indication riche de signification.
Dans ce même domaine des choses religieuses, notons l'absence de Saints, qui contraste avec la profusion de « Sadikim » qui entourent Marrakech. Les gens vous citent vaguement ter ou tel Saint qui serait enterré dans la localité, mais ne paraissent pas lui accorder beaucoup de crédit. Les Saints qu'ils invoquent sont surtout des Saints Palestiniens, c'est-à-dire qui ont vécu et sont morts en Palestine et dont les prières disent les miracles. Les Saints locaux seraient d'ailleurs difficiles à reconnaître dans ces cimetières où les tombes sont constituées par un peu de terre dessinant vaguement la forme du corps humain et restent parfaitement anonymes. Pas de pierre tombale (à moins qu'il ne s'agisse de tombe récente), pas d'inscription, quelques pierres tumulaires, l'ensemble imitant, dans sa nudité et son dénuement si significatifs pour le moraliste, le cimetière musulman proche.
Les gens nous diront d'ailleurs leurs regrets de cet état d'abandon qui atteint la demeure des morts et qui choque en eux un sentiment de piété bien naturel. Ils nous exposeront que le voisin les a longtemps empêchés de construire des tombes, que même aujourd'hui les pierres tombales sont rapidement détruites, qu'on leur interdit enfin de clôturer leurs cimetières (le cas est réel à Tinehrir, par suite de l'opposition de l'autorité locale). Mais ces préoccupations sont plutôt le fait du présent et d'une mentalité nouvelle. Nous avouons n'avoir apporté aucun renseignement nouveau à ces gens concernant les événements qui s'imposent actuellement à leur attention. Nous serons même embarrassés parfois pour répondre aux questions précises et révélant une exacte information concernant, la situation actuelle et le sort futur de Jérusalem.
Il faut nous dire que ces gens ont cessé d'être des « blédards » perdus au fond de leur localité lointaine ; ils voyagent, se rendent en ville, écrivent et reçoivent des lettres. Ce « sentiment » de la ville avec les nouveaux contacts sociaux qu'elle entraîne, paraît leur avoir imposé la constatation pénible de leur ignorance et de leur retard intellectuel. Ils se déclareront sans hésiter, avec une sincérité réelle, parfaitement incultes, ajoutant qu'ils ont grandi comme des bêtes. Cette ignorance concerne à leurs yeux aussi bien le monde profane que les choses sacrées. Ils déploreront souvent la décadence des études religieuses (c'est le seul regret intéressant à observer que leur inspire le passé), l'absence de rabbins qualifiés, l'état d'abandon auquel les circonstances actuelles condamnent l'enfance. Mentionnons, en effet, que les Talmud-Tora sont pratiquement inexistants dans cette région. Mais il nous plaît d'opposer à ces aveux d'indigence intellectuelle les constatations déjà signalées ci-dessus, où se manifestent l'esprit ouvert de ces gens, leur curiosité, leur volonté de connaître. On a même l'impression que ces collectivités franchiraient rapidement les siècles si les moyens, à savoir l'instruction, leur en étaient donnés.
Nous conservons, quant à nous, le souvenir reconnaissant de leur hospitalité, de leur amabilité, de tout ce qu'ils ont bien voulu nous apprendre sur eux-mêmes et sur leur vie. Nous regrettons sincèrement que notre passage rapide nous ait empêchés de vivre quelque peu avec eux, de comprendre un peu mieux leurs soucis et leurs préoccupations; mais nous espérons que les créations scolaires prévues établiront un lien avec ces communautés. Il appartiendra à une autre enquête de reconnaître les populations Israélites, probablement plus réduites encore, mais peut-être aussi plus pures, de l'extrême sud marocain, situées sur la ligne allant de Taouz (dernière communauté du Tafilalet), à Goulimine (sud-ouest) et passant par Tagounit, Foum-Zguid, Akka.
Cet article a une suite que nous vous réservons pour plus tard et qui relate le détail et inventaire de ces communautés du Sud dans le détail.................A suivre.....
Feujmaroc