Cahiers d’une Arrivée
Jeudi Dernier, arrivée à Fort de France, Martinique. Aéroport Aimé Césaire.
On m’y annonce qu’Aimé Césaire est mort.
Un homme que j’aimais, au sujet duquel j’avais déjà écrit sur ce blog, un « péyi » que j’admire, un week-end intense à envisager, un emploi du temps professionnel annulé pour deuil national. Mais le sentiment, dans cette tristesse ambiante, d’être chanceux de pouvoir être là pour ces jours-là.
Des fleurs de balisiers, symbole du Parti Progressiste Martiniquais que fonda Césaire, partout sur les routes, partout dans les mains, comme des flammes immobiles, des Martiniquais dignes mais attirés comme un aimant par la procession, la voiture, toucher la vitre, dire Adieu, et suivre, klaxonner, chanter, pleurer, réciter, se faire voir ou se cacher, jusqu’au stade Dillon/Aliker, où il fait déjà nuit, trois heures de retard, le cercueil se pose, et où l’on vient encore, où l’on ne fait que commencer de venir, le cercueil, toucher la vitre du cercueil.
A Fort-de-France des panneaux en papiers immaculés ont été tirés pour que la rue puisse écrire sa douleur, mais le fond est moins spontané, moins naturel, les phrases se ressemblent, sont moins précises que les regards, on se rend compte que la connaissance de Césaire est disparate, qui de connaitre le chantre de la négritude, qui de louer le symbole, qui de louer l’éternel maire de Fort de France. Quelque soit le degré de connaissance au sujet de Césaire, la douleur semble être la même.
Lire Césaire quand on est blanc
Césaire m’a non seulement fait prendre conscience d’une douleur exprimée, de la part de responsabilité qui résonne en moi, de la part de bourreau mais aussi de victime, mais le terme d’universalité qu’on utilise à tout bout de champ en ce moment pour qualifier son oeuvre est tout à fait juste.
Non seulement l’Antillais n’est pas un africain, puisque coule en lui du sang blanc, noir, caraïbe, mais une lecture de Césaire permet d’élargir cette négritude à tous les opprimés, colonisés, fléchis de la terre.
In extenso, pêle mêle accolés dans les actualités, se télescopaient dans les journaux télévisés des nègres tibétains, des nègres palestiniens, des nègres de toutes les couleurs.
Et si l’œuvre de Césaire est importante, c’est non pour avoir rétabli une vérité, car il n’est de vérité poétique, mais rétabli une fierté.
Dans ce que me disaient les martiniquais je retrouvais souvent ces termes : vertical, droit, fier.
« Un homme vertical ». Pas courbé, pas penché, droit, fier.
Et si identité il y a, c’est encore une identité faible, peu solide, à construire. Identité précaire d’un peuple partagé entre un passé douloureux, un présent assez bancal, et un avenir indéterminé.
Ce passage d’Edouard Glissant dans « Le Discours Antillais » (folio essais, 1997) illustre à mon sens magnifiquement cet entre-deux :
“Aussi bien, si cet espace n’est pas l’espace ancestral, ce n’est pas non plus un espace possédé. La collectivité martiniquaise s’équilibrerait de savoir qu’entre l’idéal perdu du retour à l’Afrique et l’idéal de la promotion à la citoyenneté française, une réelle et dense dimension a été mise entre parenthèses au fil de l’histoire subie, et qui est la possession soufferte de la terre nouvelle.
La légitimité de cette possession collective n’est pas même esquissée. Il n’y a ni possession de la terre, ni complicité avec la terre, ni espoir en la terre. La prodigalité (ou l’apparente insouciance) dont semblaient faire preuve les Martiniquais relève de ce sentiment obscur d’être littéralement de passage sur leur terre.”
Verticaux / Horizontaux
Pendant ces obsèques nationales et verticales, à l’hôtel Carayou des Trois-Ilets (fort agréable et très bon service au demeurant), des métropolitains ayant payé pour le voyage sont en position horizontale, au soleil.
Manger seul au petit déjeuner vous permet d’observer en zoologue certains de ces touristes à la peau rouge et au débardeur échancré s’adresser au personnel Martiniquais comme s’il s’agissait de petits macaques obéissants. Ceux qui sont vraiment à coté de la plaque, ce sont eux. Ces quelques touristes métropolitains. On leur a dit qu’avec le personnel hôtelier des Antilles, fallait pas se laisser faire, faut être sec et cassant tout de suite, après ça passe. Vraiment. Ils feraient mieux d’un peu plus lire Césaire.
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