Ce matin je suis tombée sur un article de la presse canadienne dont le titre m’a tout de suite interpellée : quand tweeter sa maladie fait controverse…. Il relate la polémique autour d’une jeune femme américaine de 44 ans, Lisa Bonchek Adams, mère de trois jeunes enfants, et atteinte d’un cancer du sein depuis 7 ans qui a malheureusement métastasé en 2012. Cette femme tient un blog depuis 2009 et tweete beaucoup sur son compte qui est par ailleurs très suivi.
Elle y raconte son cancer, sa vie, ses enfants, ses joies, ses peines et plus récemment, son inclusion dans un essai clinique dans lequel elle place tous ses espoirs. Elle écrit pour partager, informer et changer l’image d’une maladie dont le rose occulte trop souvent la réalité. Jusque là rien d’anormal, alors d’où vient ce tollé chez nos amis outre Atlantique pour lesquels les médias sociaux sont pourtant une institution ?
La polémique est née d’une journaliste Emma Keller, qui attaque la façon de faire de Lisa, la comparant à de la télé-réalité dans un article sur the Guardian. Je n’ai pas pu lire cette chronique qui a été retirée depuis par la rédaction du journal mais son titre « Forget funeral selfies. What are the ethics of tweeting a terminal illness?» fait froid dans le dos. Les choses sont posées, la jeune femme est en phase terminale, et il serait préférable qu’elle se taise et meurt en silence !
Mais en fouinant ici et là, j’ai trouvé le blog d’Emma Keller qui, diagnostiquée d’un cancer du sein in situ en 2012, n’a pas trouvé mieux à l’époque que de raconter sa double mastectomie et sa reconstruction sur son site dans un billet relayé par the Guardian. Si je comprends bien, pour la chroniqueuse, il est « éthique « de bloguer sur un « petit » cancer mais pas sur un cancer métastatique !
Cette triste histoire m’a fait penser au cas de Marie Dominique Arrhigi, alias MDA, journaliste à Libération qui a raconté son cancer jusqu’à la fin sur son blog, K, histoires de crabe . Autre pays, autre moeurs, Marie Dominique a été saluée unanimement pour son courage et un livre tiré de son blog a été publié à son décès.
Mais l’affaire ne s’arrête pas là, puisqu’après les réactions extrêmement virulentes suscitées par ce premier article, Bill Keller, mari d’Emma, publie quelques jours plus tard un nouvel opus dans le New York Times . Bill tente de prendre de la hauteur et non content de fustiger aussi notre blogueuse pour son insoutenable exhibitionnisme, il s’interroge sur la fin de vie et particulièrement sur le coût de ce qui, pour lui, s’apparente à de l’acharnement thérapeutique. En clair, il condamne Lisa, lui conseillant, à l’instar de son beau-père, mort d’un cancer, d’accepter de stopper les soins et de partir calmement vers d’autres cieux. On assiste bouche bée à une condamnation à mort de la jeune femme, sans connaissance préalable de son dossier, et à sa culpabilisation devant les coûts exorbitants de l’essai clinique dans lequel elle est entrée. Je rappelle qu’aux USA, les dépenses de soins sont surtout supportées par les assurances privées des malades !
Alors, que penser de tout ça ? Deux sujets distincts sont abordés dans cette triste affaire : l’exposition médiatique et la fin de vie.
En ce qui concerne le premier, si Lisa a envie d’écrire au monde son cancer, son histoire, pour informer ou pour toute autre raison qui lui appartient, en quoi cela gêne-il ce couple de journalistes. Au nom de quoi épingler cette femme qui se bat avec dignité ? Pourquoi la condamner sans appel et lui demander de se taire ? Le cancer fait peur, il dérange et manifestement le droit d’en parler fait débat ! Il vaut effectivement peut être mieux ne montrer que la face rose de l’iceberg et ses survivants qui sont tant fêtés aux Etats Unis. Or l’énorme intérêt des médias et d’internet est que chacun est libre de lire ou suivre qui il veut. En mettant Lisa sous les projecteurs, les Keller lui ont fait une publicité inespérée pour preuve, son compte twitter qui est passé de 7800 followers à 13000 en quelques jours. Etait-ce le but ? Je ne le pense pas. ? Il me semble que l’histoire personnelle avec la maladie du couple donneur de leçon a conditionné la teneur de leurs écrits.
Mais au delà du cas des médias sociaux et de l’exposition médiatique que certains choisissent d’y avoir, ces journalistes posent un problème de fond. Doit-on remettre en cause le fait que Lisa continue à espérer ? A-t-on le droit de décider pour elle si elle doit continuer de se battre ou baisser les bras ? Dans un pays comme le notre, dans lequel les soins médicaux sont supportés par la collectivité, la question risque de se poser prochainement. Quel prix la société est-elle prête à payer pour quelques mois, années de vie supplémentaires? C’est déjà le cas en Angleterre ou au Canada ou on considère un médicament en fonction d’un rapport coût/efficacité. En France, le sujet n’est pas à l’ordre du jour mais les prix exponentiels de l’innovation vont probablement nous plonger dans ce débat d’ordre éthique. Les citoyens, malades ou bien-portants, sont tous concernés et la démocratie sanitaire a ici tout son sens. Quoi qu’il en soit, j’ai été terriblement gênée par la personnalisation de la discussion. On ne peut pas abordé sereinement un sujet aussi compliqué en partant du cas particulier de quelqu’un de qui par ailleurs je le redis, nous ne connaissons pas le dossier médical. C’est un débat d’ordre public au même titre que l’euthanasie, qui ne peut en aucun cas prendre sa source dans une histoire personnelle douloureuse ! Qu’en pensez-vous?
Sur le site de cancer contribution, une grande enquête sur le sujet de l’accès à l’innovation en cancérologie va être prochainement mise en ligne. L’occasion de se servir d’internet intelligemment pour débattre sereinement d’un sujet qui nous touche tous. Je ne saurais trop vous engager à y faire un tour et ainsi apporter votre pierre à l’édifice!
Catherine Cerisey