Suite à l’accueil un peu frais que nous avions fait à Silo, le premier roman de « science-fiction » publié par les éditions Actes Sud (dans une nouvelle collection intitulée Exofictions), nous pensions bien ne jamais recevoir de nouvelle proposition de lecture de leur part. Force est de constater que nous nous trompions. Et doublement. Car c’est sans même s’assurer que nous serions disponibles pour le lire que l’éditeur Arlésien nous a adressé un petit volume intitulé La Flamme chantante, l’une des dernières parutions en date dans leur élégante collection « un endroit où aller ». Un geste qui, attestant d’un éditeur qui accepte les règles du jeu de la critique littéraire indépendante (c’est-à-dire sans garantie de résultat commercial), a indéniablement renforcé notre estime. Tout en nous permettant de découvrir Clark Ashton Smith, précurseur dans le domaine de la littérature fantastique moderne au même titre que son ami H.P. Lovecraft, mais qui demeure pourtant assez méconnu du grand public français.
Lecture proposée par les éditions Actes Sud
L’avis d'Emmanuel
Salem-campagneIl y a de cela quelques temps nous (re)découvrions Lovecraft pour vous à travers une lecture croisée des Montagnes hallucinées, l’une de ses novella, que nous avions tous deux appréciée, bien que pour des raisons différentes (JB vous avait depuis parlé également de L'affaire Charles Dexter Ward, probablement le roman le plus connu de Lovecraft). Et il faut bien avouer que le passage du récit scientifico-fantastique de Lovecraft a La flamme chantante n’a au premier abord rien de déroutant. Car on y trouve les mêmes ingrédients que ceux qui composent le récit lovecraftien type, à commencer par un avant-propos directement adressé au lecteur, chapitre introductif qui ancre l'action dans le réel, afin que l’effet de contraste en rehausse la dimension fantastique (dans tous les sens du terme). Mais La flamme chantante est aussi faite d’une soudaine intrusion de l’irrationnel dans un cadre qui lui est propice, de la confrontation à des entités venues d’un autre temps, que l’esprit humain peine à appréhender, d’un retour à la réalité avec l’impression d’avoir vécu une expérience plus onirique que concrète, qui se voit toutefois confortée par des preuves matérielles irréfutables… Dans les grandes lignes, Hastane est le dépositaire du journal que lui a fait parvenir son ami Angarth, écrivain fantastique réputé, avant de disparaitre. Ayant pris connaissance de son extraordinaire contenu, il se lance sur ses traces, non sans avoir au préalable fait publier, selon la volonté de ce dernier, le fameux journal. Journal qui nous apprend, dans la première partie de l’ouvrage, comment Angarth découvrit non loin du cabanon isolé dans lequel il s’était retiré pour écrire, un portail dimensionnel menant jusqu’à Ydmos, la cité de la flamme chantante, ainsi que ce qu’il y vit et comment il disparut. La deuxième partie, intitulée « Au-delà de la flamme chantante » nous narrera ensuite, à leur retour de l’éblouissante Dimension Intérieure, ce qu’Hastane et ses amis y vécurent et comment ils en réchappèrent.
Quand la flamme chante, le forgeron poétiseSi les ingrédients sont les mêmes que ceux qu’utilise Lovecraft, l’assaisonnement, lui, diffère, ce qui donne au récit de Smith une saveur toute autre. Là où le père de Chtulhu démultiplie les éléments scientifiques pour renforcer la vraisemblance de son propos - au prix, assez souvent, d’une certaine lourdeur de style - l’auteur de La flamme chantante abandonne très rapidement ces artifices au profit d’une langue très poétique, qui confine parfois au lyrisme. Ainsi, sans manquer de précision, les descriptions font autant appel au registre de la sensation et de l’émotion, qu’à celui de la perception brute. Et alors que Lovecraft se contente généralement de suggérer l’ineffable, Smith nous y plonge, ne lésinant ni sur la grandiloquence, ni sur l’usage de termes définitifs, pour faire vivre les scènes d’un onirisme débridé dans lesquelles son imagination place ses personnages.Bien sûr, le résultat a parfois des airs de visions d’opium transcrites par la plume d’un alcoolique sous acides. Mais la poésie qu’elles dégagent est absolument indéniable, et, à condition que l’on ne soit pas totalement allergique aux épopées surréalistes et que l’on accepte le voyage que nous propose Smith sans en attendre autre chose que l’extraordinaire plaisir de rêver une heure durant en lisant, l’impression que laisse cette longue nouvelle admirablement traduite est forte, et durable.
A lire ou pas ?Fantastique, récit de voyage, poésie, surréalisme… Smith me semble se situer à la confluence de bien des mondes. Étrange, en conséquence, qu’il ne soit pas plus connu. Peut-être n’y avait-il de place dans son domaine que pour une seule grande célébrité, qui a été prise de longue date par son ami Lovecraft. Ou peut-être son onirisme est-il moins en phase avec le matérialisme de notre temps. Je ne connais pas le reste de son œuvre et ne peut donc vous dire si La flamme chantante en est une bonne porte d’entrée. Mais, n’était son prix élevé que ne me semblent malheureusement pas pouvoir justifier entièrement la qualité de la traduction ou celle de l’édition, je n’hésiterais pas à en conseiller la découverte aux amateurs potentiels.
" D'une manière étrange et insidieuse, sans que je comprisses ni comment, ni pourquoi, la musique que j'entendais semblait chanter l'immensité éternelle mais accessible de l'espace et de l'éther, l'extase et la liberté supra-humaines de l'univers ; et il y avait, dans cette voix-là, l'ineffable promesse de toutes les splendeurs possibles et imaginables de l'Éden..."