Voilà 3 ans que Lorn Askariàn est détenu dans la sinistre forteresse de Dalroth. L'homme, qui était un des hommes de confiance du Haut-Roi, l'ami de jeunesse du prince Alan, son frère de lait, même, a été emprisonné pour haute trahison, le plus grave crime qu'on puisse envisager. Alors, pourquoi, en cette journée de printemps 1547 vient-on le libérer et lui rendre les honneurs ?
Décision du Haut-Roi en personne, semble-t-il... La reconnaissance d'une terrible erreur, commise suite à une dénonciation, la fin d'une injustice pour ce chevalier droit et sans reproche, dit-on désormais... Mais peut-on ainsi effacer une tache pareille ? Et surtout, comment Lorn va-t-il pouvoir reprendre le cours de sa vie alors que personne ne sort indemne de Dalroth ?
Les prisonniers de Dalroth sont en effet soumis, dans les cachots froids de la forteresse, à une force mystérieuse et dévastatrice, l'Obscure, qui a la réputation de faire perdre la raison à ceux qu'elle touche. Lorn a été marqué par l'Obscure, sa main porte une rune qui en atteste. Mais, malgré une forme précaire et une colère profonde, il semble encore jouir de toutes ses capacités intellectuelles.
Mais l'Obscure est bel et bien en lui, provoquant de violentes crises qui surviennent à l'improviste et mettent Lorn dans un état lamentable... Incapable, pendant un certain temps, de faire quoi que ce soit. La violence des crises semble même empirer et menacer non plus seulement la santé mentale de Lorn, mais sa vie...
C'est donc un homme diminué qu'on extrait de sa geôle. Reste à comprendre pourquoi on fait soudainement appel en haut lieu au banni d'hier... Haut-Royaume va mal. Le Haut-Roi Erklant II est gravement malade, au point de s'être retiré dans une citadelle et de laisser la Reine Célyane assurer une régence, avec son principal ministre Estévéris...
Or, ce nouveau pouvoir a décidé de céder une partie de Haut-Royaume à son voisin et ennemi héréditaire, Yrgaärd (ouais, un tréma !!). Le Haut-Roi, isolé et affaibli a donné son aval et cette cession se prépare dans la fébrilité, entre deux entités qui ont été longuement des adversaires, au cours d'une guerre dévastatrice...
Lorn revient donc à la vie dans un monde sous tension dans lequel il a du mal à retrouver la place qui était la sienne auparavant... Suspicion, pas de fumée sans feu, les raisons floues de son retour, l'Obscure qui est en lui, tout concourt à ce mal-être qui va, dans un premier temps, le pousser à fuir, loin des sphères de pouvoir, afin de réfléchir à son avenir.
Une fuite qui va lui prouver qu'il a beaucoup d'ennemis et bien peu d'alliés... Mais ces derniers sont convaincants, et c'est un Lorn, si ce n'est requinqué, mais assuré d'avoir un destin, qui va revenir assurer le rôle qu'on a décidé pour lui. Un rôle dangereux, extrêmement secret, une mission de confiance que Lorn, revenu avec une certaine indépendance d'esprit, mais aussi une envie de découvrir qui a causé sa perte, afin de se venger, soutenues par une grande conviction...
Mais qui tire véritablement les ficelles de cette affaire ? Lorn est-il l'homme de la situation ou une marionnette à qui ont va confier les basses oeuvres d'un projet plus large ? Le chevalier Askariàn se lance alors dans une quête épique et délicate qui va nécessiter une certaine organisation, et d'abord ressusciter la défunte Garde d'Onyx (dont vous voyez le blason sur la couverture ; illustration signée Didier Graffet)...
Je n'en dis pas plus sur l'histoire elle-même, car il faut vous laisser découvrir les nombreux rebondissements qui l'émaille, mais aussi le côté terriblement spectaculaire des différents épisodes de cette quête, un secteur dans lequel Pierre Pevel excelle décidément, comme déjà remarqué lors de la lecture de la trilogie de Wielstadt et des "Lames du Cardinal".
Je pense en particulier à une scène où une troupe traverse un défilé dans lequel nichent des vyvernes... Et, comme tout animal, la vyverne est un peu soupe au lait quand elle s'occupe de ses oeufs ou de ses petits... Ou encore, une bataille décisive digne des grands conflits que notre monde a pu connaître dans son propre XVIème siècle...
D'ailleurs, si l'univers de "Haut-Royaume" est, pour la première fois chez Pevel, un univers 100% imaginaire (Wielstadt n'existait pas en tant que tel, mais s'inscrivait dans notre monde), le lecteur n'est pas complètement dépaysé, même si on est amené à croiser de la magie, des dragons, et tout ce qui peut évidemment nous emmener en fantasy.
Amusant de remarquer qu'il y a d'ailleurs pas mal d'éléments, quelquefois du détail, quelquefois dans l'architecture de l'intrigue, qui étaient déjà présents dans ces deux précédentes trilogies. Si vous avez lu les précédents romans de l'auteur, vous vous y retrouverez donc assez facilement ; si vous n'avez pas encore découvert Pierre Pevel, c'est donc un bon moyen d'entrer dans son univers.
Il y a une réelle originalité, je trouve, dans la narration : on est dans une légende, presque une chanson de geste (un des passages pourrait d'ailleurs rappeler Roncevaux et la chanson de Roland), en tout cas dans une histoire qui, et les personnages eux-même en ont conscience, sera un jour consignée par écrit sous forme de chronique, comme les quêtes arthuriennes, par exemple... Ce qui veut dire, aussi, que ces chroniques pourront s'arranger un peu avec les faits et les rôles des uns et des autres... Comme Lorn, héros et damné...
Attardons-nous sur Lorn, puisqu'il est véritablement le centre de ce premier tome, comme l'indique son sous-titre. Il est, à l'image d'autres héros pévéliens, un subtil mélange entre un héros sans peur et sans reproche, et un anti-héros aux côtés sombres qu'on peine à cerner ou qui ne nous sont carrément pas expliqués... Il est ainsi, à prendre ou à laisser.
Oh, que Lorn soit un héros, un vrai, ça ne fait aucun doute, ses exploits, chapitre après chapitre, par le verbe ou l'épée à la main, le démontrent parfaitement. Mais on se pose aussi beaucoup de questions à son sujet, comme vous l'avez vu plus haut. Car, si ces questions se posent autour de lui, et à juste titre, le lecteur n'y échappe pas et doit grappiller, par-ci, par-là, quelques indices ou débuts de réponses. Mais rien de catégorique, oh non, ce serait trop simple...
Au jeu du qui manipule qui, Lorn n'est pas le dernier, sans doute... Quelles sont ses motivations réelles, est-il seulement un justicier qui cherche vengeance ou un chevalier à l'honneur immaculé et qui cherche à remplir sa mission sans état d'âme ? Et puis, aussi, quel idéal défend-il vraiment ? Car, par moments, ses déclarations sont assez déroutantes, lui qui, certainement, n'emploie pas et ne distingue pas les mots "Haut-Royaume" et "Haut-Roi" sans raison...
Et puis, il y a l'Obscure. Elle est en lui et pourtant, elle ne semble pas agir comme les autres s'y attendent... Bon, nous, lecteurs, n'avons pas franchement de repère sur ce sujet, et pour cause... Reste qu'on doit bien s'appuyer sur quelque chose lorsqu'on regarde évoluer Lorn, héros marqué du sceau maudit de l'Obscure...
Force est alors de reconnaître que ça ne colle pas vraiment avec ce qui se dit sur les malheureux contaminés par cette force... Il y a bien ces crises, effrayantes, soudaines, incontrôlables, mais Lorn semble penser et agir rationnellement, loin des manifestations de folie qu'on dit frapper les victimes de l'Obscure... Mais, là encore, comme dans bien des domaines, Lorn surprend son monde, il est définitivement atypique...
N'allons pas plus loin : tout cela fait de Lorn un passionnant personnage central qu'on a envie de suivre jusqu'au bout de ses aventures, même les plus folles, même les plus déraisonnables... Il a un véritable charisme, une autorité naturelle qu'il sait utiliser au mieux, c'est un stratège et un homme rusé et roublard quand c'est nécessaire. Il a conquis le lecteur que je suis, ce garçon, sans doute aussi parce qu'il est entouré de cette aura de mystère et de violence qui fascine...
Une aura de mystère qui se font dans un contexte propice... Car, si l'on sent bien que Haut-Royaume est sous forte tension, que l'heure est à la transition et qu'il est peut probable qu'elle se fasse dans la douceur, les tenants et les aboutissants de la situation politique du territoire se dévoilent également petit à petit... Avec pas mal de surprises à la clé, ici aussi, réparties tout au long des 550 pages de ce premier tome...
Je n'ai aucune idée de la direction que va prendre la suite de ce cycle, mais j'ai beaucoup aimé ce jeu d'intrigues, ces manigances qui se produisent de toutes parts, ces personnages qu'on croit maîtriser la situation et qui tombent de haut, ces rebondissements permanents, ce cliffhanger final diabolique, si, si, j'insiste sur le mot, et que je renierait pas un George R.R. Martin...
On est dans de la fantasy historique, dans un univers qui est celui du XVIème siècle, ce qui change un peu des atmosphères médiévales, on reste dans l'esprit des romans de cape et d'épée à la Dumas avec un petit plus au niveau du spectacle, sans doute influencé par une vision plus cinématographique de l'écriture.
Ce premier tome a en tout cas permis de planter le décor de cette série et l'on peut s'attendre désormais à de nouvelles péripéties tout à fait intéressantes. Directement après les faits de ce tome 1, en 1547, ou plus tard ? Tout est possible, et c'est aussi ce qui rend l'attente longue et l'envie de poursuivre le voyage forte.
Je suis sans doute un lecteur assez primaire et, si je m'identifie peu aux personnages eux-mêmes, je suis en revanche capable de m'immerger sans relâche dans un univers, pour peu que ce qui s'y passe me captive. Ici, le pari est réussi, même lorsque le rythme retombe, c'est pour mieux repartir ensuite avec de nouvelles aventures, de nouveaux dangers à braver, de nouvelles prouesses à réaliser...
Ajoutez à cela des personnages auxquels on s'attache (mais a-t-on raison de s'attacher à eux ?), des méchants très méchants et aussi fourbes qu'on peut l'attendre de ce genre de tristes sires et puis, des interrogations... Lorn n'est sans doute pas le seul personnage à cacher son jeu dans cette histoire, sans doute aura-t-on des surprises à propos de tel ou tel protagoniste qui nous apparaîtra sous un jour différent...
Et, évidemment, on a encore beaucoup à apprendre de cet univers, des arcanes du Haut-Royaume, d'éléments, dont je n'ai pas parlé ici, mais qui seront encore forcément importants dans les tomes à venir. Car rien n'est binaire, ici, les personnages sont tous les jouets de forces qui les dépassent dont on ne sait encore pas grand-chose...
Oui, ce premier tome a bien planté le décor de cette "beaucoulogie" et les derniers mots de ce premier tome laissent présager d'une suite musclée, pour notre plus grand plaisir. Cette troisième rencontre avec Pierre Pevel (en considérant les deux trilogies comme des ensembles) a confirmé mes premières impressions, un plaisir véritable, presque un retour en enfance, quand on découvre, les yeux émerveillés, les romans d'aventures et qu'on essaye ensuite, d'incarner ses personnages préférés, de rejouer ses scènes préférées ou d'en créer d'autres...
Pevel a trouvé le dopant qui fait galoper mon imagination, et je ne peux que le remercier pour cela, tout en le priant, sereinement, mais fermement, de s'atteler à la suite de "Haut-Royaume" ! Car il est le seul, enfin, espérons-le, à savoir si, selon le texte de la quatrième de couverture, Lorn Askariàn sera un sauveur ou celui par qui arrivera le malheur...