Ce matin, juste avant de partir pour Hong Kong, via Lyon et Paris Charles de Gaulle, je me suis presente a Aix les Bains au bureau des passeports pour y recuperer un nouveau document officiel. Le mien, pas encore perime mais affichant complet, ne pouvait plus me servir pour faire mon prochain visa a destination du Tchad. Je l'ai donc echange contre un nouveau.
Bien sur, la fonctionnaire d'une amabilite relative qui veillait a l'operation m a indique sans appel la sentence: "l'ancien- Je le garde."
Pas moyen de discuter. Il y a dix ans, on se contenter d'un coup de ciseau sur le coin. Mais l'administration, cette machine a reduire insidieusement nos libertes, a decide que ce n'était plus suffisant. Comme ne le sont plus les simples photos d'identite sur nos passeports desormais obsoletes d'il y a dix ans...vive les passeports "anthropometriques" pour une securite absolue qui n'empeche pas le danger quand il doit se presenter.
J'aurai du le declarer perdu, mais j'etais presse pour ce renouvellement. Adieu donc mon passeport 04IE16739. Bout de papier malmene, transbahute, qui a pris l'eau au moins dix fois en un peu moins de dix ans a m accompagner dans mes pérégrinations a travers le globe, pour courir et regarder vivre le monde. Je ne l'ai jamais perdu ce fidele petit carnet complice de mes aventures. Mais le voilà bientôt detruit sans doute par une administration tatillonne.
Heureusement, en souvenir, j'ai pris en photo toutes ses pages qui pour moi racontent aussi un peu ma trajectoire personnelle ces dix dernières années. Sur la premiere, il y avait la photo d'un tout jeune homme, cheveux courts et sans barbe, l'air encore un peu etudiant même si a l'epoque j'etais déjà conservateur de bibliothèque, dirigeant une petite equipe d'une quinzaine de personnes bien plus experimentees que moi dans la mediatheque de Saint-Quentin. Mais un jeune homme qui n'aimait déjà, et ce n'était pas nouveau, rien tant que courir routes et chemins et qui vivait encore une belle histoire d'amour avec la foret de Rambouillet, même si il revait déjà a explorer encore davantage d'autres horizons.
Sur les suivantes, dans le desordre, des tampons et des traces de toutes mes explorations et balades, enfin d'une bonne partie, celle qui nécessitent encore de franchir des frontieres. Sept ou huit visas nepalais, deux mongols, quelques chinois, une miriades de cachets marocains, des traces de tampons des cinq continents tout de même. Des voyages solitaires, parfois, partages avec des amis, aussi, souvent. Des amis toujours presents, d'autres avec qui je ne suis "plus en relation". Ca arrive, même une vie solitaire comme la mienne attise des jalousies. Et puis, bien sur, tellement de rencontres, de bons moments, de chemins courus et parcourus, de sentiers decouverts, de belles soirees partagees. Sur ce petit bout de papier, il y avait une trace d'une bonne partie de ma vie de voyageur, toujours de passage. De ma vie tout court tant cette activite s'est imposee comme une "principale" au fil de ces dix années, pour moi. Je ne suis plus conservateur de bibliothèque, mais reporter, comme Tintin, sauf que je n'ai jamais traque aucun bandit. Enfin reporter-coureur-voyageur-un brin ecrivain,bref un métier que je tente d'inventer. Pas vraiment une situation stable, a l'image de ce passeport qui vadrouille et de mes escapades dans tous les sens, mais qui je pense et j'essaie de leur en donner une, ont une direction.
La stabilite, je la cherche certes, mais interieurement. Une ame sereine. Ce n'est pas encore tout a fait le cas, mais mon chemin y parviendra peut-etre. Je crois aux forces de l'esprit et a la possibilite de se sentir libre, et je compte bien continuer de les chercher- et parfois les sentir- en courant le monde. Avec mes espoirs, mes moments de graces, mes fulgurances mes joies et mes peines, surtout quand je me rends compte que ces folies ou que mon etre n'attire jamais l'amour que je cherche aussi, a ma facon.
J'ai donc un nouveau passeport, et encore plein d'histoire a ecrire dessus. Il va falloir que je m y habitue. Que je retienne son nom, enfin, son numero. Et dans dix ans, peut etre, j'ecrirai un truc sur ce bout de papier sophistique, ou, sur la premiere page, on distingue les traits d'un barbu pas encore bien vieux, mais qui approche doucement d'un age ou il est urgent de realiser ses projets. Comme tout aurait pu s'arreter subitement avant même de ne pouvoir rendre mon fidele 04IE16739, je sais aussi toute la valeur de ces années a venir.