Les tentations d’Aliocha est adapté des Frères Karamazov de Dostoïevski ; il a été représenté au théâtre de l’Aquarium (Cartoucherie de Vincennes) le 10 mai 2013.
De plus en plus de romans sont aujourd’hui adaptés au théâtre. La force dramatique des Frères Karamazov, roman de Dostoïevski dont la trame rappelle celle d’un roman policier (qui a tué le père?), n’est plus à démontrée : des personnages au caractère très affirmé, l’ombre du père, une atmosphère slave versant entre mélancolie et passion, une intrigue, des dialogues à couper le souffle, ici rendus par la traduction d’André Markowicz, dont la qualité du travail fut saluée, en sa présence, ce soir du 10 mai 2013.
Le passage à la scène était donc possible : comment se fait-il ? Par le recours à la video, d’une part, qui distille des images de la Russie ; par l’apparition successive des 3 frères et leur juste incarnation par des acteurs qui en portent, l’un l’angélisme déçu (Aliocha), l’autre le désespoir décadent (Dmitri), le dernier la rationalité désenchantée (Ivan). Les mots des personnages, dont l’oralité transparaît dans l’oeuvre (Dostoïevski a dicté ce roman, comme plusieurs autres, à la secrétaire qui n’était autre que sa femme et la dédicataire du texte), se donnent à entendre avec force.
On retient de ce spectacle une tension, palpable du début à la fin – celle de cette famille qui se sent « attirée vers le bas » – , remarquablement portée par les acteurs et leurs quasi-monologues. La déclamation du passage du Grand Inquisiteur est à ce titre est un grand moment.
Quelques réserves peuvent être émises sur le recours à la vidéo qui, s’il est devenu courant, n’apporte pas nécessairement grand chose à la mise en scène. Ici, l’atmosphère n’avait pas besoin d’images de la Russie contemporaine pour imprégner la salle : les frères Karamazov, c’est un roman russe, certes, mais un roman sur l’âme humaine, avant tout.
Et peut-être, en ce que chacun des frères représente une facette d’un même homme (Dostoïevski lui-même, son lecteur…), assiste-t-on dès la lecture du roman à un « théâtre mental« , comme dans ces textes allégoriques du Moyen Âge faisant dialoguer Raison et Amour. Dès lors, le passage à la scène n’était pas seulement possible : il était nécessaire. D’où la fascination du lecteur-spectateur pour cette pièce, car le sentiment de voir s’incarner sous ses yeux ses pensées les plus intimes.