Fruit de sa société, les événements laissent notre personnage principal sur le quai. Rêveur ou "déconnecté" d’après les propos de l’entourage de Walter, est souligné un fragment de l’existence d’un homme en apparence banal; mentalement très imaginatif. Ces songes, s’ils sont le fruit des clichés d’une société qui prône les destinations idylliques, les rencontres de l’âme sœur, les grands espaces scintillants sur le papier glacé, Ben Stiller réussit un équilibre subtil. Jouant sur la saturation de paysages grandioses, les émotions rentrent dans la valse. Séduction, indéniable coup de cœur, les écueils s’oublient à mesure que la caméra filme une Amérique contemporaine avide de la version dématérialisée des prochains épisodes de Life, pulsatrice de rencontres virtuelles tout en négligeant l’intimité, le concret et … Une part d’humanité ?
Rêver sa vie ou vivre ses rêves ?
Le négatif N°25 : point de départ et prétexte à une aventure de près de 2h.
Walter Mitty (Ben Stiller), la quarantaine, célibataire, attentif à sa famille et "archiviste" au magazine Life fait le choix de créer son monde chimérique moins de l’"arpenter". Son travail et traitement des images pour chaque couverture de Life est le résultat d’une collaboration de plus de 10 ans entre Walter et Sean O’connell (Sean Penn) photographe-aventurier qui prend plaisir, et le détail à son importance, à conserver son bon vieil appareil argentique. Pour la dernière parution papier, l’artiste souhaite plus que tout y voir la "quintessence" de son savoir-faire : le négatif n°25.
Au quotidien, Walter est un personnage qui ne devient héros qu’à ses évasions et illusions. Rassemblant les caractéristiques du commun, son particularisme prend forme à travers des scènes vécues mentalement, dans une réalité parallèle, son univers. Cheryl (Kristan Wiig) est un autre moteur d’imagination, une collègue de travail dont Walter Mitty s’éprend sentimentalement.
Kristen Wiig interprète Cheryl. Bonne interprète malheureusement cachée derrière quelques banalités et lieux communs de la "rencontre amoureuse".
Prêt à décrocher la lune, moins à première vue pour échanger quelques paroles avec elle, Ben Stiller ajoute une trame scénaristique parallèle amoureuse. Si elle est à l’origine de scènes mémorables, (Reprise de Space Oddity en duo imaginaire avec David Bowie) le réalisateur nous propose un cliché amoureux qui, contrairement au reste du scénario, ne réserve presque aucune surprise. Serait-ce là quelques restes en tant qu’acteur et rôle emblématique dans la comédie Mary à tout prix, dans un tête à tête à la douce tonalité post-adolescente avec Cameron Diaz ?
Ben Stiller n’est pas à son premier essai dans la réalisation mais probablement l’un des hommages les plus délicats. Ni dans la comédie bien que l’humour reste présent, encore moins dans la tonalité dramatique malgré le couperet et l’inévitable dématérialisation et suppression de postes à Life ou de la poésie-cliché, La vie rêvée de Walter Mitty est une interprétation sensible aux multiples visages et transposée à notre époque. L’œuvre littéraire de James Thurber paru en 1939 s’adapte avec fluidité à la vision du réalisateur tout en conservant, peut-être à tort, quelques exagérations du côté sentimental. Consciencieusement, Ben Stiller monopolise la caméra, distillant une anecdote réelle, (Dématérialisation de Life en 2007) cet irrémédiable atout de la parodie-comédie ( Une scène "Benjamin Button" décomplexée) et le regard d’une Amérique paranoïaque de ses citoyens. (Retour d’Afghanistan)
Seconde adaptation cinématographique de la nouvelle La vie secrète de Walter Mitty, récit abondamment lu aux Etats-Unis, la complexité de l’imaginaire a déchu bien des prétendants à la réalisation. Or, avec quelques astuces de découpage, du bon sens, et une classification non définitive du long-métrage, Ben Stiller tente et réussit son pari.
L’imagination et l’interprétation de l’émotion
Saisir l’imagination un défi imposé par La Vie Rêvée de Walter Mitty.
Quel aurait été l’intérêt de ne filmer que l’intimité d’un personnage, à savoir capturer ses évasions spontanées ? Il est vrai qu’aux premières minutes du film, l’intérêt est fixé sur le caractère d’une vie "on ne peut plus banale", rapidement substitué par ce qui n’est justement pas visible. Le monde intérieur de Walter, cette "vie rêvée" est habilement présente sans transition à l’instant filmé. Une discussion dans un ascenseur devient pour Walter une conversation musclée contre son supérieur, prêt à détruire l’environnement urbain pour prouver sa supériorité, encore mieux qu’un Superman en collants et bas résille. Chaque "retour" à la "réalité" reprend le moment précis où la mécanique imaginative se met en place. Efficace, presque évidente, le mécanisme n’a pas besoin de se justifier par des dialogues qui auraient pu tourner vers la "banalité". Se met en place l’intervention mentale et inattendue. L’ensemble est paradoxalement cohérent : le spectateur sait, jusqu’à un certain point, où commence les songes; difficilement où ceux-ci se concluent.
Cette frontière progressivement étroite rejoint un message pour certains pouvant être niais, pour d’autres avis une interprétation. Celle d’un incroyable contenu d’espoir, de possibilités et finalement de libre-arbitre. Walter Mitty, personnage avant tout spirituel se découvre dans l’amour de son job une volonté inaltérable, sportif à ses heures et acteur curieux, insatiable et émotionnellement humain. En dépit de quelques exagérations, clichés et écueils pouvant être placés sur le compte des songes de Walter, (Un téléphone capable de marcher en haut de l’Himalaya ? Des kilomètres de sprint sans même ressentir la fatigue ?) près de 2 h. arrivent à mener avec dynamisme la transition complexe entre le rêve et le fait de devenir acteur conscient d’un univers prétendu imaginaire.
L’invitation au Voyage : à la recherche du 25e négatif.
Si Walter Mitty nous a été si parlant, si interpellant, on le doit à ce choix d’un ensemble d’un équilibre presque parfait. L’interprétation de chaque personnage, même secondaire, a son importance même brève. La manière de saisir chaque portrait, intimiste dans la plupart des situations; effacé et diminué dans les plans larges et naturels dans lequel Walter Mitty se fond, à la recherche de Sean O’Connell … Ce sont finalement peu de choses qui mis bout à bout réussissent à convaincre, à nous immerger et parfois faire ressortir du "vécu" et sourire, simplement.
Au ralenti, avec le titre "Wake Up" d’Arcade Fire, Walter est souligné dans une humanité en dehors de l’ordinaire.
On pourra peut-être reprocher à Ben Stiller d’être saisis dans des environnements naturels presque clichés, une forme d’idéal du parcours initiatique, (Groenland, Islande, Montée de l’Himalaya entre autres) tout en la valorisant d’une autre part en se référant au même principe d’une interprétation du libre-arbitre. Dans cet élan positif, l’ensemble artistique du long-métrage joue sur la sublimation et l’implicite d’images particulièrement bien choisies, d’une bande-son dédiée à souligner l’immensité naturelle ou à saisir une courte scène, elle aussi banale, en une émotion devenue votre. (Cf. Course de Walter Mitty devant les couvertures de "Life".) De David Bowie et de son Space Oddity réinterprété par Kristen Wiig à Arcade Fire en passant par Jose Gonzales, images défilant chaque seconde ont l’occasion d’être soutenues artistiquement par une légère saturation et d’un habillage musical adapté à la tonalité.
Le "cliché" du photographe
Une direction photographique mise en œuvre avec soin.*
En rupture à la masse des costumes noirs et des chemises blanches, le vêtement grisâtre de Walter Mitty illustre parfaitement la mesure voulue durant les quelques 2h. de long-métrage. En dépit de telles précautions, le scénario alterne de façon binaire avec une partie constituée de bribes imprévisibles, surprenantes, innovantes, pour ne porter que dans une seconde partie un scénario et une fin prévisible. Le principal "cliché" est mené autour des sentiments amoureux de notre anti-héros.
Walter Mitty harmonise et compenses ses excès. Des petits bouts et d’idées simples, une réalisation convaincante et séduisante.
Les alternatives qui empêchent à la fois de basculer dans l’excès sont sagement gardés par un jeu d’émotions, si toutefois on prête oreilles et yeux à l’univers proposé par la réalisation de Ben Stiller auquel cas seuls les lieux communs de l’amour, du travail consciencieux du négatif disparu (Une réponse qui envisage un voyage mondial) détonneront comme une mauvaise harmonie. Nombre de moments joue sur une sorte de trinité : de l’humour, d’images soigneusement choisies pour et adaptées à l’émerveillement. Une formule souvent complétée par des surprises narratives dont le résultat est indéniablement de séduire au maximum, d’être complet, divertissant et artistiquement intéressant. Et les exemples ne manquent pas : saut en hélicoptère, rencontre avec Sean O’Connell, rencontre avec un administrateur du site de rencontres "eHarmony" …
Le reste, lui, baigne dans et presque à travers les yeux de Walter. Ses moments d’absence sont répercutés narrativement par des non-dits et sous-entendus; démontrent une complexité du personnage pertinente quitte même à se risquer à des interprétations vouées à la sensibilité de chacun. L’expression "se faire un monde" n’a jamais été aussi métaphorique sous les traits de Walter Mitty sans pour autant prôner une existence de voyageur et globe-trotteur. Pourtant, en substance, Walter Mitty découvre à ses dépends qu’être essentiel, découvrir la quintessence, était une forme de rencontre entre l’observation (photographique, de moments rares, de valeurs) et la concrétisation d’un ensemble de possibilités. A un aucun moment par ailleurs, Walter Mitty ou quelque soit le personnage, ne proclame une voie reine, un idéal. L’élégance de la suggestion a de belles formes, notamment en littérature et au cinéma …
Rêver avec implicite et élégance est encore possible. Malgré quelques clichés, La vie rêvée de Walter Mitty est un 1er coup de cœur 2014.
Walter Mitty, une preuve évocatrice d’un cinéma Américain capable d’user d’un budget conséquent pour impressionner visuellement, artistiquement et globalement son public. D’une certaine simplicité, de petits rien et avec une certaine sincérité, le fait de ne pas catégoriser Walter Mitty lui permet d’être un long-métrage prometteur et tenant ses espoirs. Le défi est d’autant plus intéressant que Ben Stiller endosse un rôle non plus seulement intégré dans la comédie et l’humour mais dans une forme de lettre ouverte au cinéma. Adapter n’est pas toujours chose aisée, mais La vie rêvée de Walter Mitty aurait mérité encore quelques minutes de plus à l’écran … 2014 débute sur un coup de cœur, celui d’une bonne surprise et d’un souffle vital.On a aimé :
- Une bande-son variée et soutenant l’action. (David Bowie, Arcade Fire, Jose Gonzales …)
- Un bon jeu d’acteurs.
- Une direction de la photographie et visuelle époustouflante.
- Un arrangement simple et efficace de l’imagination de Walter Mitty.
- Walter Mitty : une identité faite par l’humour, l’émotion et l’esthétisme.
- L’adaptation de l’œuvre à notre époque : retour d’Afghanistan, dématérialisation de Life …
On a détesté :
- La fin et la recherche de l’âme sœur : prévisible.
- Quelques clichés et improbabilités. (A mettre sur le compte de l’imaginaire?)