« Mais qui connaît l’intention de Fabritius ? Il ne reste pas assez de ses travaux pour ne serait-ce que deviner. L’oiseau nous regarde. Il n’est ni idéalisé ni humanisé. C’est un oiseau,point.Vigilant, résigné. Il n’y a pas de morale ou d’histoire. Il n’y a pas de résolution. Il y a juste une double mise en abyme : entre le peintre et l’oiseau prisonnier, entre la trace qu’il a laissée de l’oiseau et l’expérience que nous en faisons, des siècles plus tard. »
Au premier abord, le poids du volume peut effrayer : en ouvrant ce roman, le lecteur s’embarque pour un voyage de près de 800 pages. Il suivra la destinée du personnage principal, Théo, de son enfance à l’âge adulte.
Roman d’apprentissage dans la société américaine moderne, Le Chardonneret s’inscrit dans notre monde actuel tout en tissant des liens étroits avec l’histoire picturale. En effet, le titre du roman fait référence un petit tableau peint par Fabritius, un élève de Rembrandt ayant fortement inspiré Vermeer. Disparu lors d’une explosion aux Pays-Bas, Fabritius n’aura laissé qu’une dizaine de toiles. C’est justement par une explosion que commence le roman : Théo et sa mère visitent un musée et sont victimes d’un attentat. Peu avant la déflagration, Théo avait fait la rencontre d’une petite fille nommée Pippa, et d’un vieil homme l’accompagnant. Avant de mourir, celui-ci lui remet une bague et un mystérieux paquet. À l’intérieur, se trouve un tableau volé : Le Chardonneret.
L’errance de Théo va alors commencer : d’abord recueilli par une famille bourgeoise, il fait la connaissance d’un antiquaire, Hobie, ami du vieil homme disparu dans l’explosion, qui va profondément marquer son existence. Ce maître va alors le guider dans son initiation et lui apprendre comment restaurer des meubles anciens. Comme dans de nombreux romans d’apprentissage, Théo va énormément voyager : il quitte New York pour rejoindre son père, un joueur et un buveur invétéré, vivant avec sa nouvelle compagne à Las Vegas.
Il rencontrera alors un personnage haut en couleurs, Boris, qui l’initiera au lâcher-prise et le fera basculer dans la spirale des stupéfiants. Tour à tour ivres morts et perpétuellement drogués,les deux adolescents vont sceller une amitié indéfectible.
Ce roman offre des pistes de réflexion sur les questions de la responsabilité de la culpabilité. Le personnage principal ne cesse d’osciller entre le bien et le mal et il a conscience que cela déterminera sa vie. Persuadé que l’existence est « une catastrophe », Théo sait pourtant qu’il est profondément relié au tableau qu’il transporte avec lui, au début de son parcours, comme un talisman depuis la mort de sa mère. Il poursuivra longtemps ce tableau, comme il attendra désespérément Pippa, figure féminine idéalisée, fragile mais rayonnante de vie, à l’instar du personnage maternel.
La mort ne cesse de souffler sur ce roman. Flirtant sans cesse avec l’overdose, Théo sait qu’il vit dangereusement. Mais, son initiation à la vie semble nécessairement devoir se conformer à la société américaine actuelle et à ses écueils.
Le chardonneret donc un roman intéressant, comportant toutefois quelques longueurs mais également de très beaux passages, en particulier à la fin du roman, comme une ultime récompense offerte aux lecteurs.
Un roman à découvrir lorsque l’on a beaucoup de temps libre… Afin de pouvoir se plonger entièrement dans son atmosphère !
« Quand je regardais le tableau, j’ai prouvé la même convergence en un seul et unique point : un bref instant touché par le soleil qui existait maintenant et pour toujours. C’est fortuitement que je remarquais la chaîne à la cheville de l’oiseau, ou que je songeais combien la vie de cette petite créature, battant brièvement désert et puis toujours forcée, sans espoir, d’atterrir au même endroit, avait dû être cruelle. »
Donna Tartt, Le Chardonneret, éditions Plon, collection «feux croisés », 23 euros.
Merci aux éditions Plon.