Ne nous trompons pas de débat. Sur le fond en effet, comment ne pas se féliciter que notre République ne tolère pas qu’on s’en prenne aux plus faibles, qu’on se moque des pages les plus sombres de notre histoire, qu’on les nie. Comme un phare, dans une période marquée par une certaine vacuité morale, la France rappelle au monde que l’humanité est la limite de la liberté. « Et qui c’est qu’on appelle ? » Le juge administratif, pour sûr, qui chasse les fantômes de l’abomination.
Ne nous trompons pas de débat. L’objectif était de faire taire un artiste qui utilisait sa notoriété pour faire le lit d’une haine farouche et tenace, dont les hauts faits jalonnent l’histoire récente. Pour y parvenir, le juge administratif va rechausser les crampons. Sur le terrain du droit public, le Conseil d’Etat a toujours occupé une place particulière, mais toujours protectrice. On lui doit, avant la Vème République, avant l’émancipation du Conseil Constitutionnel, d’avoir au mieux garanti les droits des administrés contre un pouvoir exécutif dont il aurait pu être le complice. Il s’est même parfois aventuré hors du cadre d’une juridiction, pour se muer en créateur.
Ne nous trompons pas de débat. Oui, le Conseil d’Etat a toujours été créateur. Mais le plus souvent, c’est au bénéfice des libertés qu’il s’est investi. Il ne s’est risqué au jeu de la hiérarchisation que désormais dans 2 décisions. La fameuse sanction du « lancer de nains » marque ainsi un recul de la liberté d’entreprendre. « Nul ne peut agir au mépris de lui-même pour gagner de l’argent » nous disent les sages du Palais-Royal, comme pour moraliser le libéralisme économique. De même, jeudi dernier le Conseil, en formation de juge des référés, nous invite à prendre conscience qu’on ne peut pas rire de tout. Après nous avoir protégés de l’exécutif, le juge administratif nous protégerait-il de nous-mêmes ?
Ne nous trompons pas de débat. Lorsque le juge administratif valide l’arrêté préfectoral qui interdit le spectacle, que protège-t-il ? Il protège la « cohésion nationale », comme une « certaine idée de la France ». Comment ne pas dire « bravo » ? Oui, mais… lorsqu’il valide l’arrêté, il rend légitime une décision de l’administration qui prive la population d’une liberté. Car la liberté d’expression n’appartient pas seulement à celui qui s’exprime. C’est son paradoxe, et son absolu. Dans nos sociétés libérales, la liberté d’expression s’analyse aussi comme une liberté de réception : si les propos tenus lors de ce spectacle sont à ce point choquant, alors nous avons la liberté de ne pas y aller. Et personne n’ira, un peu comme on éteint la télé lorsque le programme ne nous convient pas.
Ne nous trompons pas de débat. Les génocides du XXème siècle ont tous ce point commun. Les faiseurs d’opinion et les médias ont peu à peu révélé dans la population une sourde haine de l’autre, un terreau de violence, puis désigné un bouc émissaire aux malheurs du moment, ouvrant la voie à un déchaînement où ceux qui se croyaient victimes sont devenus les pires bourreaux. En faisant taire une voix, on ne supprime pas la haine, on risque même de l’attiser. N’avons-nous pas entendu les accusations adressées au Président Stirn ?
Ne nous trompons pas de débat. Une circulaire et un arrêté préfectoral ne rendent pas les gens plus intelligents. Peut-être rendent-ils les rues plus sûres, ce qui est l’intention du Préfet. Mais est-ce l’intention du gouvernement ? Comment le juge administratif a-t-il pu ainsi être pris au piège, et en défendant la République trahir la liberté de son peuple ? On m’a récemment opposé le magistère de l’Eglise catholique, dans lequel on trouve des lignes qui présentent la liberté d’expression comme relative, devant la dignité de la personne humaine. Intéressante démonstration : notre Ministre des cultes se serait-il aventuré sur des terrains qui ne sont pas ceux de l’action de l’Etat ?