2014, l’année des commémorations

Publié le 13 janvier 2014 par Sylvainrakotoarison

Une guerre peut en cacher une autre.

L’année 2014 sera une année principalement dédiée à la Première guerre mondiale. Un siècle déjà et pourtant, le souvenir est encore très proche. Le dernier combattant français de cette guerre, Lazare Ponticelli, est mort le 12 mars 2008 au Kremlin-Bicêtre. Il était né le 7 décembre 1897, il avait 110 ans. Le dernier combattant allemand est mort un peu avant, le 1er janvier 2008 à Cologne.

Cette guerre devient de plus en plus livresque et les témoignages de Poilus qui fleurissent actuellement dans les librairies (les lettres des Poilus) montrent à quel point cette guerre fut particulièrement éprouvante pour les soldats.

J’ai encore de la famille qui est née un peu avant ou pendant cette guerre. J’ai encore la chance d’avoir des témoignages directs sur cette période, des souvenirs de l’époque à l’âge de quatre ans par exemple. Mais ce ne sont plus que des souvenirs d’une enfance lointaine qui vont hélas vite disparaître.

On peut se demander s’il faut encore ou pas célébrer la fin de cette guerre. J’avais proposé il y a six ans de réunir la célébration des deux armistices (11 novembre et 8 mai) en une seule fête plutôt tournée vers l’avenir.

Bien sûr qu’il faut honorer nos combattants et nos morts pour la France, mais on peut se demander jusque quand il faut le faire spécifiquement. Après tout, je n’ai jamais vu qu’on avait honoré nos morts des guerres napoléoniennes, ni de celle de 1870. Pourtant, bon nombre de Français sont nés avant le centenaire de 1870 (avant 1970 donc) et la guerre de 1870, dont les conséquences ont sans doute façonné notre tradition républicaine actuelle, est restée souvent oubliée dans la mémoire collective (avec une exception lorraine et malgré le nombre de rues et d’avenues portant le nom "Alsace-Lorraine"). Peut-être parce que c’était une défaite. Les combattants n’en demeurent pas moins honorables.


Il y a toujours cette hésitation à propos des anciens combattants. Faut-il les laisser (ceux d’après 1914 donc) dans leurs souvenirs terribles, dans leurs témoignages, ou faut-il maintenant "passer à autre chose" et regarder surtout l’avenir ? En fait, il n’y a pas d’hésitation et regarder l’avenir, c’est aussi s’instruire des leçons de l’histoire. Pas de futur sans passé.

L’équilibre est d’ailleurs maintenant très fragile entre ceux qui regrettent une France nostalgique protégée par ses frontières qui n’existera plus et une France plongée dans la rude globalisation des échanges qui a tous les atouts en main pour relever le défi mais qui se démoralise par les dommages "collatéraux" socialement désastreux, le chômage et la précarité. Que des activités économiques s’arrêtent n’est pas une nouveauté, pas grand chose n’est pérenne économiquement à long terme (qui voudrait encore des écrans cathodiques ?) mais il faut donner le meilleur environnement possible pour encourager la création de nouvelles activités économiques qui viendraient compenser les pertes.

C’est peut-être aussi la raison de cette manie qu’a la France depuis plusieurs décennies de préférer se tourner vers son passé, faute d’avoir une vision claire de son avenir.

Et on ne sera pas déçu cette année.
Tout y passera, dans le déroulement du fil de la Première guerre mondiale. Les médias vont même s’en donner à cœur joie, car cela semble intéresser les gens, ce qui est rassurant.

Tout y passera : l’assassinat de l’archiduc d’Autriche François-Ferdinand à Sarajevo (le 28 juin 1914), l’assassinat de Jean Jaurès, socialiste et pacifiste, à Paris (le 31 juillet 1914), le début de la Première guerre mondiale (le lendemain, le 1er août 1914), et puis, les plus littéraires rappelleront aussi la mort de Charles Péguy à Villeroy le 5 septembre 1914 (parmi les premières victimes de la guerre).

Et il y aura aussi le 22 septembre 1984, la fameuse poignée de main de François Mitterrand et Helmut Kohl à Verdun, devant l’Ossuaire de Douaumont, symbole historique de réconciliation entre deux peuples que le début XXe siècle a beaucoup séparés.


Le cycle des commémorations a même déjà commencé l’an dernier avec François Hollande, lui aussi tenant la main, maladroitement, d'un rescapé et de Joaquim Gauck, le Président de la République fédérale d’Allemagne, le 4 septembre 2013 à Oradour-sur-Glane.

Pourquoi cette date alors que le massacre a eu lieu le 10 juin 1944 ? Pourquoi avec Joaquim Gauck et pas Angela Merkel, la Chancelière allemande (certes en pleine campagne électorale), ce qui aurait eu un impact politique nettement plus fort ? Mystère du hollandisme révolutionnaire.


Il est d’ailleurs étonnant de devoir encore montrer un symbole de la réconciliation franco-allemande alors que le véritable symbole fut le Traité de l’Élysée du 22 janvier 1963, officialisant l’amitié entre la France et l’Allemagne autour de De Gaulle et de Konrad Adenauer. Cela fait presque cinquante et un ans.


Je ne vais cependant pas protester contre ce rappel d’Oradour-sur-Glane. Aucun rappel sur la barbarie humaine n’est inutile ne serait-ce que parce que les générations passent et les nouvelles doivent aussi savoir. J’avais applaudi aussi lorsque le Président Nicolas Sarkozy était venu au Plateau des Glières le 4 mai 2007 (peu avant son élection) honorer les résistants tués le 10 mars 1944, ou encore à Maillé le 25 août 2008 rendre hommage aux victimes du massacre du 25 août 1944, ce qui m’avait donné l’occasion de prendre conscience de l’étendue du désastre (ici et ). Ce n’est pas inutile non plus de rappeler le caractère singulier, exceptionnel, industriel, ultime de la Shoah.


Au fil des mots, je suis passé de la Première guerre mondiale à la Seconde guerre mondiale. Il n’y a pas que 1914, il y a aussi 1944. Et 2014 sera aussi une grande année de commémoration de la Seconde guerre mondiale. Celle-ci aussi a été atroce. Plus atroce même en raison de la planification réfléchie, consciencieuse, redoutable de millions d’êtres humains. Il y aura bien sûr le Débarquement des troupes américaines le 6 juin 1944 sur les côtes normandes (heureusement que nos alliés américains étaient présents, dont nombre de soldats sont morts pour la France, c’est nécessaire de le rappeler inlassablement aujourd’hui), la libération de Paris (le 25 août 1944). En quelques jours de l’été prochain, nous passerons de la déclaration de la Première guerre mondiale au "Paris libéré" à l’intonation gaullienne de la fin de la Seconde guerre mondiale en France.


À la fin de l’été dernier, il était question pour la France de partir en guerre en Syrie. Grâce à l’habileté diplomatique de Vladimir Poutine, cette intervention, qui aurait été désastreuse, a été finalement évitée. Le G20 du 6 septembre 2013 à Saint-Pétersbourg avait mis la France et les États-Unis en échec sur la Syrie. Pourquoi la France voulait-elle s’engager dans cette galère ? Pourquoi un Président de la République française devait-il attendre la décision d’un parlement étranger (ici américain) pour prendre ses décisions aussi légèrement sur un sujet qui dépend de l’exceptionnelle souveraineté de notre pays et qui engage la vie de ses soldats ? Mystère du hollandisme.

Mais en ce début 2014, la France, au-delà du Mali (l’intervention avait démarré il y a un an, le 11 janvier 2013), n’est pas en Syrie mais en Centrafrique, dans une situation chaotique (le Président de la République et le Premier Ministre centrafricains ont donné leur démission le 10 janvier 2014, fortement encouragés par la "communauté internationale").

Ces multiples commémorations tout au long de l’année 2014 risqueraient peut-être de lasser plus que de passionner les Français si elles n’ont pas pris un sens particulier. Or, seul, le Président de la République, chef de la nation, peut y mettre un sens, une leçon globale, celle d’hier pour une vision d’aujourd’hui et de demain.

Par exemple, ne jamais oublier que la paix n’est jamais durable si on n’y fait pas attention, si on ne la protège pas scrupuleusement, que la construction européenne a justement ce but, un ensemble maintenant de vingt-huit nations soudées historiquement, encourager les jeunes Européens à vivre ensemble, pour en finir à plus de deux millénaires de guerres. Ce sera même parmi les enjeux historiques des prochaines élections européennes du 25 mai 2014.

Je ne sais pas ce qu’en fera François Hollande. Il semblerait nécessaire qu’une telle question puisse lui être posée au cours de sa conférence de presse qui aura lieu ce mardi 14 janvier 2014. Mais est-ce vraiment dans les capacités élyséennes actuelles d’y répondre avec assurance ?

Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (13 janvier 2014)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
François Hollande.
Les vœux présidentiels du 31 décembre 2013.
L’humour présidentiel à la radio.
L’Union Européenne, c’est la paix.
Une seule fête ?

Oradour, Maillé, et les autres massacres.
Le Plateau des Glières.
Pétain en 1917 et en 1940.


http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/2014-l-annee-des-commemorations-146299