Présentation de l’éditeur (en partie) :
Janvier 1820. Jeremy Alexander Voight, jeune ténor promis aux succès parisiens, s’engage sur un coup de tête dans l’expédition du capitaine William Drawbee : la traversée de l’Empire russe jusqu’à l’extrême Nord-Est de la Sibérie, un voyage extrêmement risqué.
À Paris, Élisabeth d’Ancourt se désespère de ne plus avoir de nouvelles de Jeremy, alors qu’ils se sont quittés sur une dispute. Tous deux ont vécu une relation hors du commun, un amour non consommé mais profond.
Attente, silence, lettres perdues ou volées, nature grandiose qui remet l’humain à sa juste place, étendues désertiques, tempêtes de neige, solitude et hallucinations, rudes confrontations avec des Yakoutes, aurores boréales, amitié virile, amour tourmenté – ce roman est l’histoire d’une passion toujours contenue entre deux êtres fiers et entiers.
J’ai découvert ce roman chez Argali (qui l’avait reçu de Mina, la passionnée des éditions Luce Wilquin, qui m’a refilé le virus…) et j’ai été ravie de le trouver à la bibliothèque !
Le roman est divisé en trois parties, 1819-1820, 1820-1821, 1821 : celles-ci racontent donc l’expédition du capitaine Drawbee et de son aide de camp Jeremy A. Voight à travers l’Empire russe qu’ils traversent en grande partie à pied, affrontant les éléments, chaleur étouffante, marais et moustiques en été, tempêtes de neige, glace et solitude pelée en hiver. A travers ce voyage héroïque, ils découvrent les différents peuples russes, leur courage, leur habileté, leurs valeurs bien éloignées de celles des peuples occidentaux qui se croient les plus civilisés.
Cet aspect du roman (inspiré d’un véritable récit de voyage déniché par Françoise Pirart) est passionnant, d’autant que les liens entre Drawbee et Voight vont se renforcer avec la rudesse de la marche et les dangers de cette expédition qui sollicite leurs limites physiques et mentales. Mais ce qui ne serait alors qu’un excellent journal de voyage très détaillé s’accompagne de lettres qui font écho de la relation compliquée et passionnée que Jeremy a entretenue avec Elisabeth d’Ancourt, une dame française connue à l’aube de sa carrière de ténor. Ces lettres sont écrites par Ninon Beauval, une amie d’Elisabeth. Nous comprenons très vite que l’amie en question, au prénom digne d’un roman libertin, est plutôt une vieille bique voyeuse qui profite de l’occasion pour nourrir ses propres fantasmes amoureux. Mais la situation évoluera quand même vers quelque chose de plus positif.
Dès les 50 premières pages, ces lettres m’ont étonnée et je me demandais vraiment où Françoise Pirart allait nous emmener, et j’avoue que je suis toujours aussi perplexe au terme de cette lecture. Certes c’est un bon procédé narratif qui permet d’entrecroiser passé amoureux et présent de l’expédition, mais nous n’aurons jamais le point de vue d’Elisabeth, la femme aimée qui aime elle aussi : tout nous sera relaté par les yeux de Ninon, et même dans le troisième chapitre, Elisabeth n’aura jamais de rôle actif ni d’expression personnelle, et j’ai trouvé cela dommage pour elle, je suis frustrée !
Cela dit, l’histoire et l’expédition à travers l’Empire russe sont passionnantes (je me répète), le style de Françoise Pirart est fluide, agréable à lire et j’ai passé un bon moment de lecture !
"Il ouvrit la fenêtre et huma l’air frais d’avril. Narva, frontière ouest de l’Empire russe. Quelle folie de s’être jeté dans une telle aventure ! Comment reculer à présent ? Il avait agi sur un coup de tête, il le savait, mais c’était là sa seule certitude.
Sur la table étaient posés un broc d’eau chaude et un petit miroir, apportés par la servante. Jeremy A. Voight sourit à son image, mais aucune joie ne se reflétait dans ses yeux. Le souvenir de celle laissée auprès de Bertrand d’Ancourt le hantait. Il se revoyait à Leipzig, un mois auparavant, au moment où le capitaine William Drawbee lui avait annoncé : « Si vous désirez envoyer un courrier et recevoir une éventuelle réponse de votre destinataire, il en est encore temps. » D’emblée, il s’était refusé à cette idée. Jamais il n’écrirait ! Tout était fini ! N’était-ce pas la raison même de son engagement envers le capitaine et les lords de l’Amirauté ?
Il se dévêtit entièrement et se lava. Les muscles jouaient sous sa peau, quelques poils sombres frisottaient sur son torse. Sa force lui apparut comme une bénédiction. Était-ce pour sa jeunesse et sa beauté qu’Élisabeth l’avait aimé ? Aurait-elle éprouvé les mêmes sentiments s’il avait été différent ? Il se rendit compte qu’il pensait à elle comme s’ils allaient se retrouver dans l’instant. Mais elle n’était pas là, elle ne serait plus jamais là. Une boule le serra à la gorge et sa vue se brouilla de larmes. Alors, comme si c’était pour lui le dernier moyen de reprendre pied dans la vraie vie, il se mit à chanter. Sa voix vibrait d’une étrange façon. Il se rappela les paroles du vieux maître qui lui avait enseigné son art : « Seul le travail peut vous apporter la satisfaction. Le don n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan de la persévérance. » Depuis combien de temps n’avait-il plus exercé sa voix ? Il ne pourrait peut-être plus jamais récupérer ce qu’il avait perdu, si un jour il rentrait en France." (p. 11-12)
Françoise PIRART, Sans nul espoir de vous revoir, Editions Luce Wilquin, 2012
C’est mon deuxième clin d’oeil à la semaine russe de Marilyne qui présente aussi un voyage à travers La steppe aujourd’hui…
(Catégorie Verbe)
Classé dans:De la Belgitude, Des Mots au féminin Tagged: Françoise Pirart, Luce Wilquin