Perte de repères
Suzanne est une jeune fille élevée avec sa cadette par un père aimant mais seul, leur mère est décédée. Très proche de sa sœur, mais souhaitant comblée un vide, adolescente, elle va décider de garder l’enfant d’un garçon restant inconnu pour le spectateur et l’enfant lui-même. La réalisatrice décide sciemment d’écarter tout ce qui n’est pas utile au biopic réaliste de Suzanne ; à d’autres reprises, elle fera de même. Jeune adulte, elle tombe amoureuse d’une petite frappe qu’elle décidera de suivre quitte à laisser tomber père-sœur et enfant. Là, aussi Katell Quillévéré ne nous livrera rien de la vie de Bonnie and Clyde du couple. Elle opte tout au long du film pour un montage en ellipse bien senti afin de se concentrer sur l’essentiel : un parcours affectif plutôt qu’une fugue criminelle. Donc comme le père du petit, les actes criminels seront maintenus toujours hors champ ; c’est une des forces du film que de ne pas tomber dans le moralisme bon marché ou le sensationnalisme. Puis par ces ellipses, elle laisse aussi du blanc sur des paires d’années à chaque fois ; on reprend Suzanne et la romance redémarre à chaque fois, les années filent à vive allure et le film garde un rythme soutenu. L’art des ellipses révèle l’intelligence même du film, car toujours habile.Par contre, les choix de Suzanne restent comme des énigmes au terme du film, un personnage incompréhensible. Ce film incarne l’orientation du cinéma français actuel où les metteurs en scène font le choix d’éviter toute moralisation hâtive et toute psychologisation des personnages. Ces derniers nous laissent donc trop souvent perplexes. Suzanne ne tire aucune leçon de ses erreurs et de son éducation ; c’est troublant. La perte précoce de la mère est l’explication de cette fuite effrénée en avant, ce premier regard profond et mélancolique d’elle enfant et que l’on reverra à plusieurs reprises peut nous le laisser penser. Mais d’un autre côté on nous montre un père aimant, affectif, investi dans l’éducation de ses filles, disponible, mettant sa propre vie sentimentale entre parenthèse pour l’éducation de ses filles, bosseur,… Et Suzanne, qui aime pourtant ce père, fait des choix de vie déconnectés de ce cadre éducatif. Comment partir à la dérive dans ce cadre éducatif ? Çà laisse songeur. Bon on peut penser aussi Suzanne sourde à ce conditionnement social dans lequel sa propre sœur entre si bien. Suzanne revendique le droit d’être une fille indigne et une mère détachée, dans un élan d’égoïsme. Mais le portrait de la femme libre devient douteux dès lors que Suzanne n’existe plus que par son désir inconditionnel pour Julien ; la roue tourne et c’est la représentation d’une femme soumise en définitive !!! Et pour finir, d’un côté on fait l’éloge du cadre éducatif structuré comme fondateur d’un adulte épanoui en nous montrant le trajet de vie du fils de Suzanne ; mais curieusement, l’absence de mère biologique pour Suzanne explique à lui seul sa dérive… contradictoire.Les thèmes abordés et l’histoire de cette jeune femme sont passionnants, mais la genèse de cette trajectoire est tellement mise à l’écart que ce personnage reste hermétique. Dommage. Je reste donc avec une impression très partagée par rapport à ce film.Ajoutons à cela une fin d’une niaiserie et d’un convenu absolu… Pourquoi ne pas s’être arrêté 10 minutes plus tôt sur cette phrase de Suzanne : « Je ne m’appelle pas Jeanne Serein » ? Elle est tellement pleine de signification.
Sorti en 2013