Voici une suite de 58 poèmes « qui n’en sont qu’un (et un seul) »*, numérotés et centrés dans la page mais aussi sur les événements dont ils paraissent plus ou moins lointainement issus et sur les mots qui en constituent tout autant les traces que les relances vers d’autres dimensions. Poèmes faits de vers dignes de ce nom, c’est-à-dire ne présentant pas l’atonie de la plupart de ceux dits libres**, et qui, pour beaucoup, sont composés de deux parties séparées par un espace de plusieurs lignes, la deuxième, toujours plus brève, semblant jouer le rôle d’un précipité qui surprend parfois le lecteur par la coupure syntaxique opérée. Quant au titre, il ne faudrait pas s’y méprendre car l’auteur ne cherche aucunement à faire du beau avec la langue mais plutôt du juste. À cet effet, il juxtapose fréquemment ce qui renvoie aux différentes affections d’un sujet supposé parlant (situé quelque part entre je et on, le nous faisant de très rares apparitions), les expériences de l’ordre du sensible (bruits, couleurs, goûts, scènes, etc.) et ce qui relève de l’intériorité : émotions et échos multiples. Éclectisme dont le lexique témoigne, allant de la littérature à la physiologie, en passant souvent par la peinture et la musique (jusque dans des indications de lecture : « prononcer (ppp) : équilibre »), à la recherche d’une précision qu’on pourrait par conséquent doublement qualifier de chromatique, le tout à travers une dynamique, « une action toujours remise en branle » :
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sphère posément mise en route derme effervescent
centré
: anonymat du jeu
île-parvis-sucré-poème autrement flottant dans la
cuillère (sous des compléments de vent indirects)
Par ailleurs, le sous-titre de l’ouvrage, au-delà d’une éventuelle référence géographique (certains éléments évoquant des latitudes exotiques), peut se lire, étant donné l’adjectif choisi, comme l’expression d’une méfiance envers une prétendue adéquation entre « les choses » et la langue, une symétrie qui n’offrirait pas de failles, puisqu’au final il ne saurait y avoir que des « éclaboussures pour réponses ». Tentative donc sans fin*** que Mathieu Nuss mène pour donner forme à une « soupe primitive ici & ailleurs », avec une écriture dont la minutie n’empêche pas une légère malice (« trait d’union si élastique des petites / tenues » ou bien « une apparence peut en cacher une autre »), l’essentiel étant probablement pour lui, avec raison, « de se multiplier d’être (ou d’emprunt) ».
[Bruno Fern]
*Texte figurant en quatrième de couverture.
**Comme quoi la lecture de La Vieillesse d’Alexandre de J. Roubaud reste d’actualité…
***Ce que confirme cette phrase d’Ezra Pound mise en exergue : « On n’arrête pas les variantes que l’on peut sortir du chapeau de prestidigitateur de la logique. »
Mathieu Nuss, Au beau fixe (autre hémisphère), illustrations de Jean-Louis Gerbaud, collection « le legs prosodique », éditions Obsidiane, 2013, 13 €