Faut-il vraiment un contrôle qualité dans les écoles ?
Publié Par Stanislas Kowalski, le 13 janvier 2014 dans École & éducationLa demande de contrôle qualité dans l’enseignement risque d’aggraver les problèmes de l’éducation nationale plutot que de les régler.
Par Stanislas Kowalski.
C’est avec une grande inquiétude que je vois les partisans de la liberté réclamer des contrôles de qualité dans nos écoles.Je conçois leur démarche. Les résultats réels de l’école publique sont lamentables. Je ne parle pas des résultats au bac ou à PISA, ni même de ces élèves qui partent sans diplôme, car le diplôme est trompeur. Il y aura toujours des gamins pour rater les épreuves, car on ajuste toujours son effort aux besoins. Et il y a forcément des gens qui visent trop court, même lorsque les sujets sont grotesques de facilité. Mais si les épreuves présentent un minimum d’exigence, tous ceux qui auront tenté sérieusement auront appris quelque chose. Il pourrait exister une école dont tous les élèves ne seraient pas destinés à faire des études, mais où tous sauraient lire, calculer et rédiger correctement. Mais ils n’ont pas de certificat à présenter à un employeur ? La belle affaire! Ils savent écrire. Ont-ils besoin d’un papier tamponné pour en faire la preuve ? Qu’ils écrivent et c’est assez ! Méfions-nous des garanties qui n’en sont pas. Aujourd’hui nous avons des centaines de milliers de collégiens qui, ne sachant pas lire, ne comprennent rien à ce qui se passe en classe et mettent le désordre pour s’occuper.
L’angoisse des parents est légitime. Mais établir une politique exige du sang-froid. Si elle doit être inspirée par la colère, que ce soit la colère froide du pédagogue qui pose sa voix pour lui donner plus de puissance, pas celle d’un père emporté qui explique avec ses poings. Il y a tout lieu de craindre, en effet, que la demande d’un contrôle de qualité ne se retourne à la fois contre la liberté et contre l’efficacité scolaires. Sans précision sur les méthodes d’évaluation, cette revendication pourrait être utilisée par les inspections d’académie pour renforcer les pratiques qui nous inquiètent et la mainmise des pédagogues de salon. Ces gens-là ne demandent qu’une occasion d’accroître leur pouvoir ou, si vous préférez, de faire reconnaître un peu plus leur indéniable utilité, selon que vous les jugez sincères ou non. Un ministre pourrait se targuer de notre demande, pour mettre en place le contrôle de qualité sur des critères formels et méthodologiques auxquels nous n’avons pas pensé. Pire encore, comme les résultats scolaires sont censés dépendre de facteurs externes (familiaux, sociaux, etc.) les critères seront presque inévitablement formels. Il sera fait grand usage de la formule de Meirieu sur « l’obligation de moyens, mais pas de résultats ». Cette formule comporte certes une dose de mauvaise foi, parce qu’elle sert de prétexte pour nier la crise de l’école. Mais elle repose sur une idée assez juste au niveau individuel. L’élève est le premier responsable de son succès ou de son échec. Les professeurs ne font que créer des conditions plus ou moins favorables. Quoi qu’il en soit, il est probable qu’une telle demande de transparence n’aboutisse qu’à un flicage accru des enseignants, sans effet réel sur les performances scolaires.
Mais supposons un instant qu’on essaie vraiment d’évaluer les établissements sur la base des résultats des élèves. Autrement dit, supposons que la note de l’établissement découle des notes des élèves et pas seulement des impressions d’un inspecteur. Les effets pervers ne se feraient pas attendre : passage en force des élèves dans la classe supérieure pour « coller aux normes », trucage de statistiques à tous les niveaux, déni de réalité. Il faudrait à tout le moins un organisme indépendant, pour juger de l’efficacité des écoles. Mais où trouver des organismes indépendants dans une administration centralisée? Si les écoles s’auto-évaluent, nous courons à la catastrophe. Les examens pourraient à la rigueur remplir cette fonction. Cela supposerait qu’on réussisse déjà à remettre en place l’examen d’entrée en sixième. Mais ça ne suffit pas. Nous savons très bien que l’administration joue sa réputation sur les résultats aux examens et qu’elle a déjà l’habitude d’en truquer les exigences pour augmenter artificiellement les taux de réussite. À une époque où l’on prétend rechercher la réussite de tous les élèves, aucun ministre ne pourrait tolérer un certificat d’études qui recalerait 20% des candidats. Très vite on fixerait des objectifs chiffrés, et l’examen ne serait plus qu’une comédie. Au demeurant, je ne sais même pas pourquoi je m’obstine à présenter tout cela comme des hypothèses. Toutes les pratiques que j’ai exposées sont déjà à l’œuvre dans notre brillante institution.
Plus encore, nous pouvons constater que les mots sont aisément pervertis par l’administration. C’est une tendance lourde de toute collectivité, indépendamment de la bonne foi des fonctionnaires. Par les jeux subtils du pouvoir, des règles et des textes, les mots prennent une signification qui n’était pas leur signification première. Il y a un grand décalage entre la liberté au sens de la déclaration des droits de l’homme et celle qui subsiste au sens de la dernière circulaire d’un ministère, sans que pour autant aucun des fonctionnaires ne soit un ennemi de la liberté. Chacun fait son travail, et seulement son travail, et le résultat est un monstre kafkaïen. On ne parlera bientôt plus de b.a.-ba, parce que vraiment c’est une description trop sommaire, on parlera de méthode analytique ou synthétique ou je ne sais quoi, et à partir de ces grands mots vagues, on arrivera à n’importe quoi. L’intention première du réformateur aura disparu, mais la contrainte, elle, sera toujours là. C’est pour cela que les grands slogans du passé, «enfant au centre du système», «fondamentaux», «socle commun», ont été si décevants. Tout le monde croyait savoir ce qu’ils signifiaient. Mais la loi écrit son propre dictionnaire. Et le bon sens s’enlise dans les bonnes intentions administratives.
Suggérez, informez, encouragez, mais ne cherchez pas à imposer.
Il serait bien plus sain de demander une vraie liberté pour tous les acteurs de l’éducation. Il ne s’agit pas seulement d’autoriser les directeurs à choisir leurs professeurs, mais aussi d’autoriser les équipes pédagogiques à choisir leurs méthodes d’enseignement, leurs manuels, leurs horaires etc. Il s’agit d’autoriser les enseignants à choisir leurs écoles, au lieu d’être des pions dans les mains de l’administration. Qu’un professeur refusé ou même licencié quelque part ait la possibilité de convaincre un autre directeur… Le chômage n’est un malheur que si l’on craint de ne pas retrouver d’emploi dans des délais raisonnables. Il s’agit aussi d’autoriser les familles à choisir leurs écoles, pour que le pouvoir du directeur ne soit pas une petite tyrannie locale. Il faut s’interroger sur le choix des directeurs eux-mêmes. On réclame volontiers le droit d’appliquer de vieilles méthodes éprouvées. C’est une question de bon sens. Sans être la meilleure, la fameuse méthode Boscher a obtenu des résultats honorables, qui sont reproductibles. Mais j’irai beaucoup plus loin. Il ne faut interdire aucune méthode a priori, pas même la méthode globale, qui de toute façon sait très bien se cacher derrière de nouveaux noms.
Mais évidemment, il faut qu’un tri s’opère. Ce tri se fera de lui-même, si deux conditions sont remplies : que les parents puissent voter avec leurs pieds, que les écoles puissent apparaître et disparaître selon la confiance que les gens leur accordent. L’abrogation de la carte scolaire et de la prétendue «éducation prioritaire» est certainement le premier objectif qu’il faut se fixer, car ces dispositifs ne favorisent pas la mixité sociale, ils ne parviennent qu’à créer des ghettos, ils entretiennent et concentrent la violence scolaire. Il est urgent de militer pour une liberté pédagogique réelle. Pas simplement pour la liberté de créer quelques écoles privées marginales, comme ces partis politiques fantoches que l’on trouve en Chine populaire et qui servent d’alibi à un pouvoir dictatorial. Nous avons un problème structurel très grave en France, parce qu’on a réussi à faire admettre un monopole public sur l’école. Au fond, la liberté des uns trouve sa limite dans la liberté des autres. Le professeur doit être modéré dans ses élucubrations par la possibilité qu’a le directeur de se défaire de lui. À l’inverse le pouvoir du directeur doit trouver sa limite dans la possibilité qu’ont les professeurs et les familles d’aller voir ailleurs. Les exigences des familles trouvent leurs limites dans l’offre de cours existante. Il est parfaitement faux de croire qu’on pourrait faire n’importe quoi en l’absence de contrôle ministériel. La concurrence et le principe de subsidiarité sont nos meilleures armes contre les abus de pouvoir. Il ne faut pas réclamer la liberté seulement quand ça nous arrange, pas seulement quand on se sent minoritaire. Il faut respecter soi-même la liberté, pour ne pas être responsable d’une nouvelle catastrophe.
Il est évident que gouvernement actuel ne fera jamais le choix de réduire son pouvoir sur l’école. Le ticket scolaire n’est évidemment pas à notre portée au cours de ce quinquennat. Mais quelles que soient les actions qu’on se propose en attendant des jours meilleurs, il ne faut pas perdre de vue les problèmes de fond. Méfions-nous des gains temporaires et illusoires. Une déclaration sur les méthodes de lecture ne suffit plus. Le plus important est de rendre aux acteurs de terrain les moyens d’agir, en particulier de rétablir l’autorité des enseignants. Il n’est pas forcément nécessaire d’embaucher un grand nombre de surveillants pour la discipline, car les professeurs se mettent en difficulté, quand ils sont obligés de chercher les solutions à l’extérieur. Ce qui importe, c’est que leurs décisions soient respectées. Que les sanctions soient effectives et ne soient pas désavouées par un supérieur démagogue et irresponsable. Quand un directeur laxiste détruit les conditions de travail, qu’il en subisse les conséquences. Si un élève est renvoyé d’un établissement, que sa famille prenne ses responsabilités et fasse elle-même la démarche de solliciter sa réintégration dans une autre école. (Aujourd’hui plus personne ne veut prendre une décision de renvoi, parce que le chef d’établissement doit marchander avec un collègue et on ne procède qu’à des échanges de perturbateurs). D’une manière générale, il faut soutenir tout ce qui peut faire descendre le pouvoir de décision au plus près du terrain, là où se trouvent déjà la responsabilité et l’expertise véritables.
Et s’il faut militer auprès d’une catégorie de population, je crois que c’est auprès des professeurs. Il n’est plus vraiment indispensable d’alerter la population sur l’état de l’école. Je crois qu’aujourd’hui tout le monde sent bien que quelque chose ne va pas. Il faut maintenant travailler avec les vrais pédagogues, et leur faire comprendre que la liberté est dans leur intérêt.
è