Une Histoire culturelle
C'est plus qu'un livre, une somme, "Les galeries d'art contemporain à Paris (1944-1970)" qui sert de support à cette question. En s'attaquant à cette "Histoire culturelle du marché de l'art", cette version remaniée de la thèse de doctorat de Julie Verlaine met à notre disposition un document d'une très grande richesse : cette histoire des galeries françaises, surtout parisiennes, depuis la seconde guerre mondiale jusqu'aux années soixante dix.
Cette étude nous permet, également, de mettre en perspective le paysage des galeries françaises d' aujourd'hui, de situer le socle historique toujours présent : les galeries Jeanne Bucher, Charpentier, Denise René, Maeght, galerie de France... Ces galeries nées dans les années de guerre ou juste après ne sont pas légion. Elles constituent un point de repère dans cette vie tourmentée du marché de l'art.
"Les années héroïques"
Se pose donc la toute première question évidente et légitime : comment vivre et durer ? On s'aperçoit rapidement à la lecture de cet ouvrage que la question ne peut pas être prise de façon isolée, indépendamment de l'orientation, des choix artistiques de la galerie. Poser la question de la vie de cette structure marchande, c'est poser, dans le même temps, la question : "Une galerie pour quoi faire ?" La longévité des galeries historiques tient donc aussi à la réponse apportée à cette question.
Un premier constat s'impose: " Les marchands se muent en galeristes : prospecteurs, agents, impresarios, ils se rendent indispensables aux artistes, aux critiques et aux collectionneurs".
Dès la période de guerre, le retour à la "tradition d'avant-garde" n'est pas sans relation avec ce que le régime Hitlérien dénonçait comme un "art dégénéré". A titrer d'exemple, la Galerie de France, fondée en février 1942, à Paris, s'attache à faire connaître la Jeune Peinture indépendante, celle qui, sous l'Occupation, revendiquait l'héritage de Cézanne, des fauves et des cubistes (Bazaine, Estève, Fougeron, Gischia, Lapicque, Le Moal, Manessier, Pignon, Singier, Villon...).
Les" Jeunes peintres de tradition française", avec la galerie de France, la galerie Drouin ou la galerie Braun notamment, déterminent les choix stratégiques de galeries qui, par ailleurs, deviennent concurrentes.
Ce que Miche Ragon qualifiait d' "Années héroïques" correspond, bien sûr, à une période où s'engager dans la création d'une galerie d'art n'était pas simple, dans un contexte d'après-guerre exténué, économiquement faible, où l'organisation professionnelle de ce marché est quai inexistant, où la relation à la puissance publique est floue, où "la clientèle étrangère est à la fois un facteur de force et de vulnérabilité".
Il reste que se confirme ce point vital : la montée en puissance des galeries dans le monde parisien de l'art ne peut pas se faire sans déterminer des choix artistiques, la défense d'un courant. La galerie existe si elle est à la fois agent économique et intermédiaire culturel engagé.
L'auteur souligne combien doit être pris "en considération la manière dont certaines galeries d'art ont pu remplir une fonction d'intermédiaires militants et être des chambres d'écho efficaces pour les artistes parisiens, leurs innovations et leurs mouvements".
Cette double fonction, économique et artistique, est-elle, pour autant gérable ? Contraintes économiques et choix artistiques sont solidaires. Sont-ils pour autant compatibles ou contradictoires ?
(A suivre)
"Les galeries d'art contemporain à Paris "
"Histoire culturelle du marché de l'art" (1944-1970)
Julie Verlaine
Publications de la Sorbonne 2012
586 pages
ISBN 978-2-85944-723-6 / ISSN 2105-5505