On ne le dira jamais assez, la nature morte hollandaise est loin d’être innocente dans ses propres paroles ; au contraire, elle est moralisatrice, pesante, presque dictatoriale. Née dans les brumes du protestantisme du nord de l’Europe, elle n’existe que comme un art mécanique de la morale chrétienne qui tend à vous donner des leçons : le temps passe inexorablement, ce qui a été entamé ne peut faire l’objet d’un retour en arrière, la vie est un poison, etc. Que de choses douces et agréables à entendre. Une nature morte, c’est gai et joyeux comme la Leçon d’anatomie du docteur Tulp de Rembrandt, c’est ni plus ni moins qu’une chape de plomb. Sachant qu’il n’existe pas de code définitif de la signification des objets qui s’y trouvent, on est à peu près libre d’y trouver ce qu’on veut.
Willem Claeszoon Heda - Nature morte à la vigne - 52x68cm - Musée Hallwyl - Stockholm
Ce qui reste toutefois important dans cette peinture, et notamment chez Claesz. Heda, c’est la pureté de la ligne, le traitement de la couleur par palettes variées mais toujours presque monochromatiques, l’infini rendu de la lumière et des ombres, une finesse d’exécution proche de la précision horlogère. Regardons d’un peu plus près ces six toiles du maître hollandais, dont on sait finalement assez peu de choses. Pas d’autoportrait pour la postérité, un titre de président de la prestigieuse corporation artistique, la Guilde de Saint Luc et l’affaire est bouclée.
Les tableaux qui sont présentés ici sont disponibles en haute définition, ainsi que la galerie des détails proposée en-dessous. Ils sont classés par date d’exécution. L’avantage de cette galerie de détails permet d’observer les tableaux comme si vous étiez face à eux.
Willem Claeszoon Heda - Nature morte à la tourte aux mûres - 1631 - 54x82cm - Gemäldegalerie Alte Meister - Dresde
Willem Claeszoon Heda - Nature morte aux huîtres, Roemer, citron et coupe en argent - 1634 - 43x57cm - Museum Boijmans Van Beuningen - Rotterdam
Willem Claeszoon Heda - Nature morte à la tartelette - 1635 - 106x111cm - National Gallery of Art - Washington
Willem Claezsoon Heda - Nature morte avec coupe Nautilus - 1654 - Museum of Fine Arts - Budapest
Willem Claeszoon Heda - Festin de jambon - 1656 - 152x111cm - The Museum of Fine Arts - Houston
Galerie de détails
En vrac, voici quelques significations décodées des objets :
- Flûte de Champagne : la fragilité de la vie
- Roemer : fragilité de la vie dûe au temps qui passe (voir ce billet sur une nature morte de Willem Kalf)
- Citron épluché : la nature en voie de corruption
- Aiguière : la richesse qui n’est que vanité
- Verre à moitié plein : le temps qui passe
- Verre renversé : la vie consommée, la mort qui approche
- Verre cassé : la vie qui se brise, donc la mort
- Sucre en poudre : le danger et la douceur
- Canne à poison : le danger et la mort
- Papier roulé : le secret de la nature et de l’existence
- Montre à gousset : le temps arrêté
- L’assiette en équilibre : la fragilité de la vie
- Mouche : la nature en voie de corruption
- Pain : le temps qui passe
- La plupart du temps, ces natures mortes sont composés comme des repas interrompus, ce qui est en soi une métaphore du temps qui s’arrête…
Il est toujours intéressant de constater comment est interprété le mot nature morte dans les autres langues. Prenons des exemples les uns après les autres :
- Anglais : Still life
- Allemand : Stillleben (avec 3 l)
- Hollandais : Stilleven
- Danois : Stilleben
- Alémanique : Stilllääbe
- Français : nature morte
- Italien : Natura morta
- Polonais : Martwa natura
- Portugais : Natureza-morta
- Turc : Natürmort
Peut-on déduire que de la manière dont on envisage ce mot, on se trouve plutôt du côté de la vie ou du côté de la mort ? L’un dit clairement “vie arrêtée”, l’autre dit que tout y est mort…