Ton nouveau roman se déroule en Afrique, comme ton précédent, « Doux comme la mort ». En dehors de ce point commun, ils sont pourtant très différents…
J’ai écrit Doux comme la mort un peu comme un exercice de style. J’avais envie de bâtir un récit sur deux continents en mélangeant les éléments de temps et d’espace. C’est un thriller à la structure narrative complexe. Je voulais savoir si j’étais capable d’écrire ce genre de roman sans perdre le lecteur.
Black Cocaïne procède d’une démarche complètement différente, le récit est simple, linéaire. Cette fois, je voulais écrire un polar « hard boiled » mais contemporain et en Afrique. J’ai donc repris les codes – le privé un peu alcolo, la cliente sexy et ambiguë, les méchants particulièrement retors et violents, le trafic de coke – en les transposant en Afrique.
J’aime profondément le Mali, et je n’avais pas tout dit dans Doux comme la mort. C’était l’occasion d’y retourner.
Ce récit, se déroulant au Mali, sonne particulièrement vrai. L’image que tu nous brosses de la société malienne est souvent éloignée de celle véhiculée dans les médias…
Le Mali est l’un des pays les plus pauvres de la planète, les « toubabs » aiment s’y rendre pour s’imprégner de sagesse africaine. Ils arrivent avec leur vision de ce continent et cherchent dans ce qu’ils voient à conforter leurs idées reçues. D’une certaine façon, ils se rassurent et repartent, la larme à l’œil, pétris de leurs certitudes.
Il faut un certain temps pour percevoir derrière la carte postale, la réalité sans fards de la vie des Africains. J’espère y être parvenu même si, j’en suis certain, des choses m’ont échappé.
Black Cocaïne, au-delà de l’intrigue policière, rend hommage au petit peuple de Bamako, cette foule bigarrée qui se presse dans les rues surpeuplées et qui, malgré les difficultés terribles du quotidien, ne perd jamais le sourire ni la bonne humeur.
Ton expérience en tant qu’ex-flic des stups a dû beaucoup t’aider pour développer une telle intrigue…
Black cocaïne est librement inspiré de deux affaires que j’ai connues à titre professionnel lorsque j’étais en poste au service de sécurité intérieure de l’ambassade de France. Il s’agit de l’affaire dite des passeuses de Bamako, dans laquelle des jeunes filles, issues des cités de la banlieue parisienne, transportaient des quantités importantes de coke à destination de la France pour le plus grand bénéfice de caïds de banlieue.
La seconde affaire a connu un certain retentissement, les journalistes maliens l’ont baptisée « air cocaïne ». Fin 2011, un Boeing s’est posé dans le nord Mali (région de Gao) sur une piste de fortune. Dans sa soute, une cargaison estimée entre 7 et 11 tonnes de coke. Dans cette seconde affaire, on retrouve tous les ingrédients d’un bon polar sur le narcotrafic : un Colombien découpé à la tronçonneuse, un ancien flic ripou espagnol, une société-écran, de la corruption au plus haut niveau de l’état…
Je ne pouvais espérer mieux, alors j’ai un peu tordu la réalité des faits pour en faire une belle histoire, du moins je l’espère.
L’autre grande force de ce roman repose beaucoup sur les épaules d’un personnage principal particulièrement dense et complexe…
Souleymane Camara, dit « Solo » incarne la problématique du métissage, c’est un homme à cheval sur deux continents, deux cultures, deux religions. Toute sa vie on lui a demandé de faire un choix, de sacrifier une des moitiés de ce qu’il est au bénéfice de l’autre.
L’autre problématique est celle du fugitif. Solo est porteur d’un passé sombre et tumultueux. Son expatriation au Mali est consécutive à un drame familial, ce n’est pas un acte volontaire, plutôt un pis-aller. Son amour de ce pays naîtra et grandira au fur et mesure, un peu comme ce fut le cas pour moi, jusqu’à ce qu’il réalise qu’il est chez lui à Bamako. C’est désormais son foyer.
À la fin du livre, il réalise qu’il ne peut s’amputer d’une part de ce qu’il est. Le noir et le blanc se sont mélangés pour créer autre chose. Le métissage est une chance, un trait d’union. J’espère que Solo l’a compris. J’ai l’impression qu’à la fin il est apaisé.
En dehors du sujet puissant et de la violence omniprésente, tu sembles avoir soigneusement travaillé l’aspect émotionnel de l’histoire…
La force d’un roman repose sur sa capacité à générer des émotions. Qu’elles soient positives ou négatives, cela n’a pas vraiment d’importance. Dans Black Cocaïne, je n’épargne pas grand-chose au lecteur, la violence des sentiments de Solo est le contrepoint de la violence qu’il met en œuvre et qu’il subit aussi. La crudité de la sexualité du personnage principal, qui est elle-même empreinte de violence, en dit long sur sa dérive.
Je ne me voyais pas les édulcorer, elles font partie du roman. La violence est une vieille compagne, je l’ai côtoyée pendant des années et maintenant qu’elle s’est apaisée en moi j’avais envie de la raconter. Solo était parfait pour cela. C’est à la fois un facteur de chaos – il fout le bordel partout où il passe – et quelqu’un de profondément sensible, émotionnel. Il est un peu ma madame Bovary.
L’autre interview de l’auteur en mars 2013