C’est chose faite grâce à Geneviève, grande passionnée de polars, et qui travaille au sein du réseau des bibliothèques et médiathèques de la Ville de Paris.
Un grand merci à elle pour nous faire partager son métier et surtout sa passion de si belle manière !
L’entretien :
En s’éloignant de la définition du dictionnaire, si tu devais définir ton métier de bibliothécaire en trois mots…
Tiens, je me demande si j’ai déjà regardé cette définition dans le dictionnaire. Non sans déconner, je vais répondre sérieusement à ta question. Ma définition…
Celle peut-être qui me définit : Souriante, curieuse, passionnée.
Mais tu ne vas pas t’en tirer à si bon compte, non, non, laisse-moi t’expliquer.
Et on ne sourit pas quand je dis souriante
La moitié de mon temps de bibliothécaire je le passe, comme la plupart de mes collègues, au contact du public, nos usagers, et la moindre des choses c’est de savoir les accueillir.
Au cours de ma, déjà, longue carrière, j’ai eu l’occasion de faire quelques stages d’accueil (public difficile, public sensible, gestion de conflit, public non francophone….). Et bien crois-moi, il n’est pas inutile de répéter sans cesse à certains collègues qu’un « bonjour » et un sourire sont les bases, le b-a-ba de l’accueil. Ouais….Pas très envie de retrouver ces collègues dans mon équipe.
Curieuse, quand un défaut devient une qualité. La curiosité est primordiale dans notre métier. Il faut chercher à s’intéresser aux choses auxquelles on ne s’intéresserait pas normalement. Il faut sans cesse aiguiser celle-ci. Parfaire en quelque sorte son verni de culture générale
Passionnée. Toi qui me connais un peu, tu sais quelle est ma passion pour la littérature policière, pour Les littératures policières sous toutes leurs formes. C’est marrant, quand je me lance dans quelque chose, je ne sais pas être velléitaire, j’y vais à fond. Si je fais du sport, alors ok, mais à haut niveau, si je m’occupe d’un fonds polar, ok, mais je me forme et je m’investis. Toujours faire les choses du mieux que l’on peut. Bon là je deviens chiante…
Peux-tu nous présenter rapidement le réseau des bibliothèques et médiathèques de la Ville de Paris ?
Ah le réseau des bibliothèques parisiennes, j’avais tort, c’est là que je vais devenir chiante
En fait il existe 2 réseaux parallèles à la ville de Paris. Les bibliothèques patrimoniales et spécialisées et les bibliothèques de prêt. C’est de ces dernières que je vais te parler.
Allez, pour faire court, si je peux ;-) :
Paris est une ville immense et, historiquement, elle ne possède pas de bibliothèque centrale. Mais elle est émaillée de nombreuses bibliothèques dans chacun de ses arrondissements. Cela peut s’expliquer sans doute par le coût du m² dans la capitale. Donc aujourd’hui il y a une soixantaine d’établissements sur les 20 arrondissements que compte Paris. La taille de ces bibliothèques varie de 100 m² à 4 500 m². Il y a environ 1 000 agents de bibliothèque à Paris dont 800 dans les établissements accueillant du public (les autres travaillant dans des services centraux).
Le réseau permet de mutualiser les services extérieurs, les commandes, les trains de reliure, l’achat de fournitures, etc… Il permet aussi d’avoir une certaine cohérence dans nos collections.
Pourquoi avoir créé un réseau ?
Il existe depuis de nombreuses années plusieurs collectifs de veille et d’analyse qui évaluent les documents de la production éditoriale de leur secteur thématique pour les bibliothèques du réseau de la Ville de Paris. Ils proposent des sélections et apportent leurs conseils aux acquisitions des établissements.
Il se trouve que la veille polar a été effectuée pendant très longtemps par une bibliothèque spécialisée, la BILIPO, la bibliothèque des littératures policière. Enfin disons qu’au sein de cet établissement existait un groupe de lecture, de bibliothécaires, des bibliothèques de prêts et de la BILIPO. Ce groupe était animé par une femme extraordinaire, un puits de connaissance, une encyclopédie du polar à elle toute seule, Michèle Witta, pour ne pas la nommer. Et c’est Michèle qui assurait pour l’ensemble du réseau parisien la veille documentaire et proposait donc les titres que nous allions pouvoir acquérir dans nos établissements respectifs.
Et puis, il y a plus de 4 ans maintenant, pour des raisons techniques que je passe là, genre incompatibilité des systèmes de gestion, Michèle n’a plus eu la possibilité de faire la veille. Aussi il devenait urgent de créer un comité de veille et d’analyse pour les polars. Car étant devenu orphelin, notre genre de prédilection était le seul secteur à ne plus être représenté au sein des collectifs de veille.
C’est comme cela qu’il y a 4 ans je suis devenue secrétaire de ce comité de lecture polar des bibliothèques de la Ville de Paris.
J’ai la chance d’animer et de coordonner ce comité. J’en suis en quelque sorte son porte flingue. Il est constitué de membres, tous bibliothécaires, passionnés par la littérature policière. Nous sélectionnons les romans policiers qui entreront dans les fonds polar dans les bibliothèques de la Ville de Paris. Nous avons donc un rôle de prescripteur.
Quels sont les objectifs de ce comité de passionnés ?
Nous nous réunissons tous les quinze jours, et nous passons en revue toute la production éditoriale de la quinzaine précédente.
Bien sûr entre les deux réunions, chaque membre a eu une partie de celle-ci à défricher. Je recense tous les polars parus pendant la quinzaine en question, et je partage mon fichier, mon panier, à parts égales entre tous mes petits camarades.
D’une réunion à l’autre, il nous incombe de dépouiller la presse, de lire les blogs spécialisés ou d’amateurs pour recenser les titres qui sortent du lot. Nous tenons aussi à lire un max de bouquins pour nous faire notre propre opinion.
Ensuite vient la réunion, on passe en revue le panier, on demande les titres que l’on souhaite lire ou qu’il faut lire en SP ou en office.
Pour les auteurs connus, ceux qui sont extrêmement médiatisés, ceux que les lecteurs attendent alors là sans avoir beaucoup besoin de réfléchir, nous les proposons sur liste d’achat, comme ça direct.
Parfois, il y a quelques petites dissensions sur un titre, un auteur. Mais après discussion la majorité l’emporte.
Pour les lectures aussi nous nous chamaillons, nous sommes quelques fois plusieurs à vouloir lire en premier le même titre. Là souvent, parce que je suis sympa, si si je t’assure ;-), je laisse mon tour. Et c’est comme cela que parfois je me retrouve avec des titres improbables à lire.
Pour les coups de cœur, là je ne rigole plus. Quoi qu’il arrive j’ai le dernier mot (Éclat de rire). Après tout c’est moi qui lis le plus, non ?
Vous êtes présents sur les réseaux sociaux et vous avez comme projet de monter un blog. Que vous apporte cette présence sur internet ?
Oui, le comité de lecture polar a une page Facebook. J’espère au moins que tu l’as liké ?
Je trouvais qu’il était important de faire connaître notre boulot. Après tout, nous travaillons dans l’ombre des bibliothèques et notre taf passe inaperçu auprès du public de celles-ci.
C’est lors d’une conversation avec une auteure de polar, (Laura Sadowski pour ne pas la citer), que l’idée d’un profil perso/pro est née. Laura trouvait dommage que je ne mette pas en avant le travail que j’effectuais auprès des jeunes et nouveaux auteurs. C’est vrai que j’aime découvrir de nouvelles plumes. C’est comme cela que mon compte Collectif Polar Bibliothèque a été créé.
Lien vers le compte Facebook de Collectif Polar Bibliothèque
Et puis très vite une idée de page pro a germé. Mais, entre l’idée d’une page officielle et sa validation par mon administration, il s’est passé plus de 6 mois. J’ai tenu bon, j’ai réussi à franchir chaque étape, à convaincre, et le projet a vu le jour.
Lien vers la page Facebook du Comité
La conclusion du projet de page officielle Comité de lecture polar des bibliothèques de la ville de Paris prévoit l’extension de celle-ci vers un blog.
Le projet est dans les cartons depuis quelques mois. On m’a gentiment faire comprendre que j’étais trop pressée. Qu’il fallait que le projet soit porté par tout le collectif. Que la page n’avait pas encore un an d’existence, qu’on n’avait pas atteint les 1000 likes.
Et puis maintenant que les conditions sont presque réunies, c’est moi qui n’ai plus de temps.
Mais tu me connais, dès que je le pourrais, je renfilerai mes gants de boxe et je retournerai au combat. Car ce projet de blog me tient à cœur, car j’espère pouvoir l’ouvrir aux lecteurs afin qu’ils deviennent des chroniqueurs à part entière.
A titre personnel, constates-tu une évolution du monde du polar ces dernières années ?
Je lis des polars depuis plus de 30 ans et je dois dire que j’ai vu passer quelques modes dans ce petit monde.
Si actuellement la mode est au thriller, je trouve que le roman noir revient en force. Il y a eu les polars scandinaves qui ont envahi nos rayonnages, puis d’autres pays se sont ouverts au genre. Une façon aussi pour les auteurs de ces pays de critiquer, de dénoncer le système en place.
Les sud-américains arrivent en force, mais je crois aussi que l’ancienne Europe de l’Est va nous proposer quelques bons auteurs. Le continent africain va sont doute entrer dans la danse.
Oui le monde du polar change.
Comme c’est un genre qui fait vendre, de nouveaux éditeurs voient le jour, de nouvelles collections aussi. Alors dans toute cette production, il y a du bon et du moins bon (pour ne pas dire du mauvais). Pour autant cela permet aussi à de jeunes auteurs de se faire connaître. Et des nouvelles plumes, des jeunes auteurs de talents, il y en a de plus en plus. Si avant je pouvais te citer une dizaine de nouveaux auteurs par décennies, aujourd’hui je peux t’en citer 10 par an…
J’espère juste que cette tendance prouve que le polar va bien et que cette surabondance n’en annonce pas le déclin.
De toute façon, le roman policier, tel le phénix, renaîtra toujours de ses cendres (oiseau de mauvais augure que je suis).
Pourrais-tu nous parler de tes trois derniers coups de cœur ?
Trois de mes derniers coups de cœur.
Vu que je lis 3 à 4 polars par semaine, ces coups de cœur seront des titres relativement récents.
Alors :
Yeruldelgger de Ian Manook paru chez Albin Michel
Le corps enfoui d’une enfant, découvert dans la steppe par des nomades mongols, réveille chez le commissaire Yeruldelgger le cauchemar de l’assassinat jamais élucidé de sa propre fille. Peu à peu, ce qui pourrait lier ces deux crimes avec d’autres plus atroces encore, va le forcer à affronter la terrible vérité. Il n’y a pas que les tombes qui soient sauvages en Mongolie. Pour certains hommes, le trafic des précieuses « terres rares » vaut largement le prix de plusieurs vies. Innocentes ou pas.
Dans ce thriller d’une maîtrise époustouflante, Ian Manook nous entraîne sur un rythme effréné des déserts balayés par les vents de l’Asie Centrale jusqu’à l’enfer des bas-fonds d’Oulan-Bator. Il y avait la Suède de Mankell, l’Islande d’Indridason, l’Ecosse de Rankin, il y a désormais la Mongolie de Ian Manook !
Même pas morte d’Anouk Langaney édité par Albiana, une petite maison d’édition corse.
Voici un curieux polar (tendance noir) où l’enquête est menée par une ancienne braqueuse basculant lentement mais sûrement dans les affres de la maladie d’Alzheimer… à moins que ce ne soit dans la pure paranoïa. Une course contre le temps qui file, la mémoire qui se défile, suffisent à tendre le ressort dramatique. Le décalage culturel entre la vieille et les jeunes gens qui désormais l’entourent fait sourire (années soixante contre années deux mille), de même que sa hargne de mamie vengeresse et son esprit malin qui la placent dans la lignée des Tatie Danielle.
Reste à lire entre les lignes : quand le temps a presque fini son œuvre, que doit-on sauver en premier ? Son honneur ? Son magot ? Sa peau ? Et peut-on espérer sauver les trois ? Surtout si la mort rôde, si proche…
Casher nostra de Karim Madani paru au Seuil
Maxime est coursier dans le quartier d’Hannouka. Il est le fils d’un truand de la mafia juive et ne sait pas comment échapper à ce destin. Il se retrouve entraîné dans un deal d’herbe qui ne se passe pas comme prévu.
Karim Madani réinvente le roman noir social, il lui redonne ses lettres de noblesse. Avec son style boxé qui tel un uppercut qui va droit au but et ne s’embarrasse pas de descriptions inutiles, il donne le ton. Il brosse un portrait réaliste de la vie dans les ghettos, ces cités dortoir où les habitants survivent plus qu’ils ne vivent.
Voilà Yvan, j’espère que je n’ai pas fait trop long. Et surtout que je vais donner envie à tes lecteurs de découvrir de nouvelles plumes.
Mais bon c’est de ta faute aussi, tu m’as donné la parole alors j’en profite allègrement. Merci à toi Yvan pour ton soutien et j’espère ton amitié.
Et que vive le polar !