Ne vous fiez pas à la photo de gauche, ce ne sont pas des balles qu’Ingrid Desjours vous décoche dans cette interview, mais des flèches trempées dans l’émotion !
Rarement un auteur aura à ce point fait preuve d’une telle sincérité et se sera livré autant.
Juste un moment magique, rare. Un immense merci à Ingrid qui prouve que les émotions exacerbées de son dernier roman "Sa vie dans les yeux d’une poupée" ne sont pas du chiqué.
Question rituelle pour démarrer mes entretiens, pouvez-vous vous définir en trois mots, juste trois ?
Comme écrit sur ma carte de visite :
« Jeteuse d’encre. »
Pour ce type d’histoire émotionnellement forte, travaillez-vous avec une trame déjà établie dans le détail ou vous laissez-vous porter par le récit ?
Les deux, mon capitaine ! J’ai toujours une trame, pour la logique, les nouveaux éléments, l’évolution générale… trame qui évolue, s’enrichit grâce aux interactions des personnages, voire se modifie en profondeur !
Si je sais d’où je pars et où je veux aller, je ne maîtrise pas tout et l’histoire se raconte beaucoup d’elle-même : je suis sa première lectrice, son témoin. Je vois apparaître des personnages et des anecdotes que je n’imaginais pas quand l’idée initiale a germé : c’est là toute la magie de l’écriture !
L’analyse psychologique des personnages est assez bluffante. Vous avez fait de nombreuses recherches sur le sujet…
Ma formation en psycho-criminologie m’aide beaucoup et j’étaie les tableaux cliniques par des recherches complémentaires, pour être la plus juste possible. Et puis, je me glisse très facilement dans la peau de mes personnages pour adopter leur vision du monde… ce qui me permet de ne pas les trahir.
Ce récit est violent et éprouvant, comment en ressort-on en tant qu’auteur ?
Très secouée. Je l’ai été à la fois pendant et après la rédaction de ce roman. J’étais en totale empathie avec mes personnages : je me sentais terriblement proche d’un Marc blessé et désabusé, qui rêve d’un monde dépouillé d’hypocrisie. J’étais sa colère et celle de Barbara, et je traversais les mêmes affres que la jeune femme, je vivais ses émois amoureux, nourrissais les mêmes espoirs qu’elle…
Je crois que je me suis complètement déconnectée du monde pendant la phase d’écriture. Au point que je serais bien incapable de vous dire ce qu’il m’est arrivé, ce que j’ai vécu d’autre à cette époque. C’est assez troublant, d’ailleurs. C’est comme si j’avais vécu dans un monde parallèle, une autre dimension… Comme si j’étais absente à ce monde pour visiter celui de mes personnages.
Oui, j’ai conscience que cela puisse sembler curieux, pourtant, à force de les côtoyer tous les jours, ils me sont devenus familiers au point d’être, plus que des personnages : des personnes, des membres de mon entourage, une extension de moi-même, des êtres dont j’étais la voix. Je connais leurs manies, leur histoire, leurs fragilités et leur beauté… Je les aime. Et j’étais d’autant plus désolée de les précipiter dans cette histoire… et de dérouler, impuissante, ce que j’appelle « l’inéluctable ».
Les chroniques mettent beaucoup en avant la violence de cette histoire, mais c’est aussi une histoire d’amour…
Merci de le remarquer. Sa vie dans les yeux d’une poupée, c’est un grand cri d’amour. Un appel à l’amour. Au-delà des traumatismes, au-delà des apparences. C’est l’espoir, malgré la noirceur. La vérité, malgré les apparences. C’est une rencontre. La rencontre d’un homme avec lui-même, le ‘vrai lui’ alors qu’il devrait se sentir diminué. La rencontre d’une femme avec sa part d’ombre qui est aussi sa plus grande force et risque pourtant de la perdre. C’est le cri d’enfants qui crèvent de ne pas se sentir aimés, aimables. C’est la collision de deux âmes perdues dont les cœurs rêvent encore de battre, et qui vont être capable de se reconnaître et se trouver beaux…
Doit-on s’attendre à quelque chose de semblable pour votre prochain projet ?
Oh on retrouvera encore mes petites obsessions persos ! La culpabilité, les apparences, le rapport au corps…
Dernièrement, Gérard Collard a lancé un véritable cri du cœur concernant votre dernier roman et vos talents d’auteur. Comment réagissez-vous face un tel élan de solidarité ?
Je ne m’y attendais pas. J’ai été littéralement soufflée. Émue aux larmes. Parce que jamais quelqu’un n’avait jamais fait ça pour moi et que c’est arrivé à une époque où je songeais à tout arrêter. J’étais à la fois sur un nuage, soulagée parce que ça m’a redonné de l’espoir… mais aussi un peu gênée. Parce qu’il disait tellement de bien de mon livre, ainsi que Marina Carrère d’Encausse, qu’à un moment je me suis dit : stop ! C’est trop ! Je ne mérite pas tous ces gentils mots ! Les gens qui vont me lire après ça vont être horriblement déçus !
Vous savez, j’ai un peu le syndrome de l’imposteur et j’estime rarement mériter les bonnes choses… Je crois que je suis plus armée contre les mauvaises. C’est triste mais c’est comme ça. Heureusement, s’est ensuivi un véritable tourbillon entre les réactions de lecteurs, de certains confrères, et d’éditeurs ! Ça m’a laissé peu de temps pour me torturer… et puis j’ai bénéficié aussi des précieux conseils d’un ami éditeur qui m’a conseillé de profiter de ce cadeau plutôt que de chercher le bâton. Comme j’ai grande confiance en lui, j’ai décidé de l’écouter et il avait raison, bien sûr. C’est juste formidable, tout ça !
Gérard Collard ne m’a pas lâchée non plus. Il m’a mise en contact avec d’autres personnes, des éditeurs… et grâce à lui j’ai fait de belles rencontres dont certaines se sont avérées fructueuses ! Parce qu’il faut savoir que Gérard Collard, ce n’est pas qu’un monsieur qui fait du buzz à la télé ou sur internet. C’est un pur, un entier. Même dans la vraie vie, loin des yeux du public. Il ne s’en vante pas et pourtant il n’a pas «seulement » poussé un cri du cœur. Il m’a accompagnée et il a été incroyablement humain, protecteur. Je savais que c’était un passionné, un amoureux des livres, un ami des auteurs et des lecteurs, mais j’ai découvert en plus un type avec un cœur gros comme ça… capable de monter au créneau pour défendre ses valeurs et d’en faire la démonstration en privé.
Ce blog est fait de mots et de sons. La musique prend-elle une part dans votre processus créatif ?
C’est simple : je ne peux pas vivre sans musique ! Alors évidemment, elle participe grandement au processus créatif ! J’ai mon petit rituel : avant d’attaquer un chapitre, je mets un morceau que j’aime, qui colle à l’humeur du moment ou de ce que je souhaite aborder et je l’écoute – souvent en boucle – et surtout je chante avec (je crois que mes voisins me détestent pour ça) ! A tue-tête, avec force conviction !
Puis je coupe le son parce qu’il me serait impossible de travailler avec le genre de musique que j’écoute. Il ne doit alors plus y avoir un seul bruit autour de moi. Je deviens un véritable Ayatollah du silence, des bouchons profondément enfoncés dans les oreilles. Et là, c’est ce moment magique où ce que je viens d’écouter se mêle à ma musique intérieure… Où les mots deviennent notes… et où l’histoire se compose.
Vous avez le choix entre nous donner le mot de la fin ou nous citer votre dessert préféré…
Répondre à vos questions fut aussi délicieux… qu’une tarte au citron !