La remise à plat de la chronologie des médias avec la fin du monopole des salles de cinéma pourrait sauver le cinéma français.
Par Daniel Rezzo.
Après la redoutable tribune de Vincent Maraval fin 2012, les esprits s’échaudaient. Les non-dits d’une profession qu’on disait unie ont explosé au grand jour. Le cinéma, exception culturelle, bénéficie surtout d’un exceptionnel système lui permettant de produire quantité de films, souvent déficitaires, mais assurant à toute la filière des revenus confortables. Les salles de cinéma restent des sanctuaires qui profitent de leur monopole, excluant les autres supports (DVD, Blu-ray, VOD…) pendant plusieurs mois.La culture n’a pas de prix, assure-t-on dans le pays de Voltaire et Dieudonné, mais faut pas déconner…
Maraval exprime le refoulé et une commission est créée. Les acteurs de la profession craignent pour leur gagne-pain, les salles de cinéma vitupèrent… La colère est mauvaise conseillère et mieux vaut encadrer, écouter, apaiser cette fureur sous l’égide d’une personnalité qui, elle, ne se met jamais en rogne. René Bonnell a tout fait dans le métier et s’est donc lancé dans une nouvelle activité, celle de pondre des rapports. Et ce fameux rapport Bonnell, sorti il y a quelques jours, a fière allure. Nuances de bleu pour les titres et mise en page classique, le document de 150 pages fait un sérieux état des lieux de la production cinématographique.
Vincent Maraval en décembre 2012 et René Bonnell en janvier 2014 disent la même chose. Le cinoche vit sous perfusion. Et l’année 2013 le confirme. La fréquentation des salles s’essouffle. La part de la production française s’effrite. Blu-rays et DVD n’arrivent pas à compenser le manque à gagner. En 10 ans, le chiffre d’affaire de la vidéo a fondu de moitié.
Tout cela n’empêche pas de continuer à produire des films à la pelle (279 en 2012!) dont les trois quarts ont perdu de l’argent.
Les grands esprits persistent à ne pas voir le problème, à considérer le cinéma comme un métier à part et à mettre en avant les prix glanés de par le monde par les films pompeurs de subventions. Le rapport Bonnell se veut plus constructif et propose quelques solutions avant que le système ne meure, gavé de pognon, de paperasse, de médiocrité, de passe-droit et de renvois d’ascenseur.
Élément essentiel, la chronologie des médias doit être revue. Tant en amont qu’en aval. Tous les mercredis, sortent pléthore de films, dont on sait que la plupart passeront à la trappe dans les jours qui suivent. Or, pour bénéficier d’un financement, les films doivent sortir en salles. Pourquoi ne pas revoir ce système et miser sur une sortie vidéo (physique ou VOD) pour des bobines plus confidentielles ? Voire, horreur, laisser aux braves gens que nous sommes le choix du support ? Si certains veulent découvrir Gravity sur leur tablette, why not ? Si d’autres veulent se taper 30 minutes de bagnoles, 10 minutes dans le parking, 15 minutes de queue et tout cela pour offrir (50 euros au compteur) à Bobonne et à leurs gamins le passionnant voyage de Dany Boon et Valérie Bonneton à travers l’Europe, why not ?
La salle de cinéma reste la sacro-sainte plaque tournante d’un système vieillot qui ne tient pas compte des évolutions techniques. Certes, on ne dispose pas tous d’un home cinéma dernier cri mais les écrans plats se démocratisent et rares sont ceux qui regardent Danse avec les Stars sur des écrans de moins de 90 cm. Pourquoi ne pas tenter l’expérience de la complémentarité des supports dès la sortie d’un film ?
Trop timides, Bonnell et ses amis ne remettent pas en cause la place de la salle de cinéma de papa, sanctuaire anachronique. Le cinéma, c’est dans une salle, mon bon Monsieur… Les autres (VOD, DVD) ne continuent qu’à se partager les miettes, parfois près de 3 ans (!) après la sortie officielle…
A l’heure de l’arrivée, redoutée par les bénéficiaires du système mais attendue par les cinéphiles, de Netflix, il serait de bon ton de revoir l’ensemble du système. Réponse partielle au piratage, coup de pouce aux éditeurs de supports physiques et opérateurs de VOD, la remise à plat de la chronologie des médias pourra sauver le cinéma français.
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