Tout juste sorti de l’école de police, Edgard Milnius intégra un service qu’il avait choisi grâce à sa position de major de promotion. Un service à la marge, celui des policiers infiltrés. Ses états de service à l’école lui permirent d’intégrer l’unité avec rapidement quelques missions à la clé. Jusqu’au jour où son responsable direct et unité de liaison lui demanda de se laisser pousser les cheveux pour une nouvelle mission. Milnius toujours prompt à accepter les ordres fit le nécessaire et un an après cette demande il recevait un dossier complet qui allait chambouler ses certitudes et sa vie.
Comme tout bon infiltré Edgard était un célibataire endurci. Impossible de faire durer des missions parfois plusieurs années avec une vie de famille à côté. Il se donnait corps et âme à son travail et même si parfois il franchissait les lignes blanches il le faisait avec la certitude que c’était pour le bien de tous. Son travail était chaque fois encensé par sa hiérarchie lui prouvant qu’il avait trouvé sa voie. Lorsqu’il prit possession du dossier il se rendit dans son bureau. Il avait l’habitude d’étudier tous les éléments en s’enfermant afin de bien s’imprégner de l’affaire avant de se constituer une identité pour faire son travail. Le dossier était épais, de nombreux noms apparaissaient et de nombreux lieux étaient décrits. L’affaire était délicate. Dans le domaine de la musique métal, un groupe avait été identifié comme organisation criminelle. Rien ne le choquait dans cette information jusqu’à ce qu’il tombe sur les accusations pour lesquelles on manquait de preuves. Un haut le cœur le prit alors qu’il feuilletait les rapports d’autopsie.
Plusieurs jeunes femmes avaient été retrouvées en périphérie de festival de musique métal. Le problème était que rien ne semblait les relier entre elles. Sauf quelques preuves indirectes. Elles avaient toutes été retrouvées dans des lieux sordides, parfois entourées d’inscriptions ou d’objets semblant ressembler à des rituels. La plupart étaient majeures, mais certaines étaient mineures. Les meurtres avaient été tenus secrets par la direction de la police qui avait simplement dit aux familles que leurs filles avaient eu un malaise ou été agressées. Edgard feuilleta longuement le dossier. Malheureusement aucun nom n’apparaissait clairement et même si un groupe particulier était visé par sa mission rien ne permettait d’être sûr qu’ils étaient bien responsables de ces crimes horribles.
Prenant le dossier avec lui il alla une dernière fois voir son officier de liaison et partit loin du poste de police pour peaufiner sa couverture. Usant de ses ressources il se confectionna une bibliothèque de musiques couvrant de nombreux genres et sous genres de la musique métal. Pendant plusieurs semaines il se força à écouter plusieurs albums par jour, à apprendre les compositions des groupes, les dates charnières. A tel point qu’il commença à pouvoir identifier certains musiciens à l’oreille juste après quelques notes. Lentement son personnage devenait crédible. Vint alors le moment de se forger une nouvelle identité. Feuilletant les rares renseignements des membres du groupe de fans à infiltrer il repéra quelques similitudes dans les profils. Il les utilisa pour se fondre dans une sorte de personnage sur mesure. Souhaitant faire aboutir rapidement l’enquête il ajouta quelques éléments qui pourraient lui permettre d’être facilement et rapidement repéré par ceux qu’il visait. Il réserva ensuite avec sa nouvelle identité des billets pour divers festivals à venir, et arpenta les forums spécialisés pour prendre ses marques et commencer à semer des petits cailloux afin qu’on s’intéresse à lui.
Il découvrit que la culture dite « underground » allait bien plus loin qu’il ne l’avait imaginé. Difficilement il commença à faire son trou, et de fil en aiguille fut intronisé dans divers sites privés de plus en plus violents et surprenants. Finalement un individu nommé Bélial lui proposa de rejoindre un forum situé dans l’espace nommé « deep web ». Edgard connaissait cet internet sous l’internet. Ce lieu était utilisé par des individus plutôt compétents techniquement, ou utilisant des outils appropriés. Il permettait en toute impunité d’échanger toute sorte d’informations ou de données qui auraient été interceptées ou interdites autrement. Le site qu’on lui indiqua était un site d’annonces. Au milieu des annonces pour des drogues ou des médicaments il repéra des demandes folles comme des personnes pour exécuter des contrats particulièrement sales. Edgard connaissait son travail et savait qu’il touchait la face émergé d’un immense iceberg, aussi fit il comme Bélial le lui avait conseillé.
Il ouvrit un compte pour recevoir des paiements et proposa ses services en tant que nettoyeur. Bélial lui avait expliqué que certaines personnes faisaient des choses assez sordides et avaient besoin de quelqu’un de confiance pour nettoyer. Quelqu’un qui serait finalement encore plus mouillé qu’elles puisque si son travail était mal fait c’était lui qui serait en première ligne pour être arrêté par la police. L’avantage du « deep web » avait dit Bélial venait du fait qu’il ne saurait jamais rien de ses employeurs et donc que s’il tombait il tomberait seul. Il indiqua dans son profil aimer la musique métal et apprécier particulièrement les rites sataniques. S’y adonnant lorsqu’il le pouvait. Une première réponse lui parvint quelques semaines après son annonce. Sa présence quotidienne et ses interventions avait donné envie à quelqu’un d’essayer ses services. Un certain Asmodée souhaitait qu’il accomplisse une mission. Il devait trouver un moyen d’ouvrir les catacombes d’une église pour y permettre un rituel. Ne pas s’y rendre ou risquer de l’interrompre, mais venir une fois celui-ci terminé pour nettoyer toutes traces de leur passage. A charge pour lui de faire le nécessaire. Edgard sentit l’adrénaline le titiller. Peut-être pourrait-il ainsi approcher ces groupes. Le temps lui avait permis d’identifier que plusieurs groupes distincts existaient qui se réunissaient parfois. Mais il lui était impossible de savoir où et quand. Là il aurait au moins un lieu à surveiller.
D’après ce qu’il avait appris, ces groupes étaient tous dirigés par une personne utilisant un nom de démon tiré de « L’ars Goetia » un grimoire du XVIIème siècle qui décrivait par le détail 72 démons et les manières de les invoquer. Il avait réussi à comprendre que le nom du démon employé était un indice sur le nombre de membres du groupe en question. Plus le nom était haut dans la hiérarchie plus il était proche de la tête du réseau. S’étant procuré une copie numérique de l’ouvrage il s’était mis en quête de celui qui était le premier de la liste Bael mais n’avait pu trouver la moindre trace ou le moindre message d’une personne employant ce pseudonyme. Ce dont il était sûr par contre c’était que le fameux Bélial faisait partie du groupe, et que même s’il était bas dans la hiérarchie son appui et ses conseils lui permettrait de trouver une place s’il se conformait aux règles.
Il accepta la mission et se rendit dans l’église indiquée en pleine journée pour y faire des repérages. Son charisme malgré sa tenue gothique et ses cheveux longs lui permirent d’obtenir toutes les informations nécessaires pour ouvrir la crypte menant aux catacombes à l’heure dite. Durant son séjour sur place il remarqua qu’un homme au style étrange le surveillait de manière particulièrement discrète. Dans une tenue de ville soignée et habillée, l’homme portant un haut de forme et s’appuyant sur une canne en ébène ouvragée avait joué aux touristes. Mais plusieurs fois sa présence au même endroit que lui avait confirmé qu’il se faisait suivre. Edgard espérait bien qu’on allait le mettre à l’épreuve et cette présence était pour lui un stimulant pour réussir cette première mission qu’il estimait assez facile. Son agent de liaison connaissait tous les détails et à la demande d’Edgard avait fait réduire les patrouilles dans le secteur de l’église au moins pendant quelques jours en faisant croire à une recrudescence de cambriolage dans une autre portion de la ville.
Le jour dit Edgard se rendit à l’église, le lieu semblait sinistre à la nuit tombée. Aucune lumière dans le quartier ne venait éclairer les façades. Il pénétra en crochetant les serrures sans les abimer puis se rendit devant les grilles qui fermaient la crypte. Avec dextérité il se fraya un passage jusqu’aux catacombes. Sur place il installa des bougies comme on lui en avait donné l’ordre et une fois sa mission accomplie il remonta dans l’église. Sur la grille de la crypte une enveloppe qui n’était pas présente à son premier passage attendait. Sur celle si le nom de sa nouvelle identité Ralf Strauss. Il l’ouvrit et découvrit un billet pour un concert donné à quelques encablures de là par le groupe de Death Metal « Arkhon Infaustus ». Edgard eut la preuve qu’il était surveillé. Aussi se rendit-il sur place et profita-t-il du spectacle de ce groupe dont les penchants satanistes et sadomasochistes n’étaient pas secrets. Le concert terminé il se rendit compte qu’il était l’heure d’aller accomplir l’autre partie de sa mission. Retournant à l’église il ne trouva aucune trace de passage jusqu’à ce qu’il arrive dans les catacombes. Les murs et le sol étaient couverts d’inscriptions et de traces qui devaient être du sang. Avec d’infinies précautions il nettoya tout, prenant bien soin de recueillir les moindres gouttes de cire pour ne laisser aucune marque. Deux heures après, le front dégoulinant de sueur il regarda la pièce. Rien ne pouvait permettre de dire que quelque chose s’était produit ici. Remontant il prit le temps de refermer à clé les différents passages. Puis s’éloigna dans la nuit avec l’étrange impression d’être observé. Le paiement arriva le lendemain aux aurores. Son employeur le félicitait pour le travail et lui proposait une autre mission. Edgard l’esprit encore embrumé par la nuit qu’il venait de passer répondit positivement.
Son travail était apprécié et après plusieurs mois il avait fini par se faire une certaine réputation. Au point qu’un des groupes souhaitait l’engager à titre de membre permanent. Edgard n’avait vu aucun corps jusqu’à présent et même si les traces de sang et les rituels pouvaient être illégaux rien ne prouvait que ce n’était pas des personnes consentantes qui participaient à tout ça. Aussi lorsqu’un certain Paimon le contacta pour lui faire subir une intronisation il accepta. Dans la hiérarchie du grimoire qu’il consultait, ce Paimon était en 9ème position. Peut être l’une des plus élevées qu’il avait pu voir dans tous les endroits qu’il fréquentait sur internet. Cette occasion lui donnerait peut être accès à d’autres choses que le nettoyage ne lui permettait pas. Un rendez-vous lui fut donné en pleine journée dans un parc. S’y rendant il avait mis sur ses oreilles un casque et écoutait l’album « Ænigma Mystica » du groupe « Misanthrope ». Depuis sa plongée dans ces styles musicaux aux antipodes de ses goûts il avait commencé à y prendre plaisir. Sentant parfois l’impérieux besoin d’en écouter même lorsqu’il n’en avait pas l’obligation. Dans le parc quelques familles se promenaient. Des enfants jouaient avec un ballon sur une étendue d’herbe. Edgard avançait la tête rentrée dans les épaules, le dos vouté, la musique à fond et la capuche de son sweat remontée sur ses cheveux. Il ne vit pas l’homme qui le bouscula, mais se retournant il sentit dans sa poche un renflement. Une enveloppe avec la même graphie appliquée et tarabiscotée qu’il avait pu voir dans le passé sur différents lieux de mission pour le groupe. La fourrant dans sa poche il sortit du parc et prenant bien soin de ne pas être suivi fit des tours et détours pour retourner à sa planque. Il avait loué un meublé dans un quartier vivant de jour comme de nuit, afin que ses allées et venues ne puissent pas être remarquées. Fermant la porte derrière lui il se surprit à être oppressé et essoufflé. Qu’il le veuille ou non ces hommes étaient particulièrement doués pour lui filer la frousse. De plus en plus souvent il avait l’impression d’être suivi, observé, et cette situation le mettait mal à l’aise alors qu’il aurait dû être celui qui surveillait ces gens, les rôles étaient inversés.
Ouvrant l’enveloppe il découvrit comme souvent un billet. Celui-ci était pour un des principaux festivals ayant lieu en France. Il n’avait pu obtenir de place lorsqu’il avait pris quelques billets par lui-même tant l’événement était couru. Aussi apprécia-t-il ce cadeau bien qu’il imagina qu’il n’était sûrement pas gratuit. Suite à ses premiers doutes quant à une surveillance il avait mis fin à ses contacts avec son agent de liaison. Celui-ci le connaissait suffisamment bien pour savoir que ça signifiait qu’il ne fallait pas perturber l’enquête. Pourtant Edgard se demandait s’il ne devait pas informer son supérieur de cette invitation. Après tout, les précédents meurtres avaient tous eu lieu pendant des festivals de ce genre. Afin de réfléchir il mit un album de « Lacrimosa » et oublia aussi vite qu’il y avait pensé ce qui le tracassait. Le festival avait lieu quelques jours plus tard, aussi prépara-t-il ses affaires et se coucha-t-il un sourire aux lèvres à l’idée de voir certains groupes mythiques en live.
Durant le trajet en train il garda ses écouteurs sur les oreilles, son lecteur MP3 empli de morceaux de différents groupes de musique présents sur le festival. Personne ne s’approcha de lui, son look devait probablement tenir à distance les biens pensants et la musique un peu trop forte ceux qui auraient pu ne pas s’arrêter aux apparences. Edgard descendit à la gare et prit l’une des navettes menant sur le site du festival. Il éprouvait une sorte d’excitation comme il n’en avait plus ressentie depuis sa jeunesse. Il avait utilisé le temps du trajet pour cocher sur une carte les différentes scènes et les heures auxquelles joueraient les groupes qu’il voulait à tout prix entendre. Coupant sa musique une fois installé dans le bus pour entendre les conversations alentour il remarqua qu’il n’avait pas une seconde pensé à son travail et comment il devait s’organiser pour tenter de trouver les gens qui l’avait invité. Il s’étonna même de n’avoir pas eu la moindre pensée concernant les raisons qui l’avaient poussé jusqu’ici. Autour de lui des jeunes pour la plupart semblaient tout aussi excité que lui à l’idée de ce qu’ils allaient vivre. Il souria et remettant ses écouteurs se laissa à nouveau emporter par la musique du groupe « Impaled Nazarene ». Le trajet se fit sans heurts particulier et une fois arrivé sur place il se rendit compte qu’il n’avait même pas pensé à prendre une tente pour se faire un lieu de repos. Pestant contre son manque d’organisation il se faufila dans l’immense terrain de camping à ciel ouvert en quête de visages entraperçus lors de précédents concerts. Et le fol espoir de trouver un lieu où dormir.
Mais après de longues minutes à slalomer entre les piquets et les bouteilles de bière vides il finit par se convaincre qu’il ne trouverait personne. Il décida donc de rejoindre plutôt les différentes scènes pour profiter des premiers groupes voir pour regarder les noms prestigieux faire leurs réglages. Assis en tailleur sur une étendue de terre devant une scène il regardait son planning des groupes quand une ombre se campa devant lui. Relevant la tête il remarqua l’homme qu’il avait vu à l’église lors de sa première mission et qu’il croyait avoir vu à plusieurs reprises sans jamais pouvoir se rappeler son visage. Appuyé sur sa canne il le regardait avec insistance derrière des petites lunettes rondes à verres colorés.
- Bonjour Ralf
- Bon..Bonjour
- Ne soit pas étonné, je te suis depuis un moment déjà. Je m’intéresse à toi tu sais. Tu es un jeune homme plein de potentiel.
- Ha? Ha bon? Oui c’est possible.
Edgard n’arrivait pas à extraire son regard des pupilles qui brillaient derrière les verres de lunette.
- Ce soir je voudrais que tu m’accompagnes. Mais pas pour ce que tu as l’habitude de faire. Non pour quelque chose de plus grand, de plus extraordinaire. Est-ce que tu crois que tu pourrais faire tout ce que je vais te demander de faire?
- Oui je pense. Jusqu’à présent je n’ai jamais manqué mes engagements si?
- Non en effet, tu as été un petit soldat très obéissant, mais il faut que tu comprennes que nous allons changer totalement de registre. Ce soir je te retrouverai dans la foule, ne me cherche pas. Et tu me suivras, ensuite nous verrons bien assez tôt.
L’homme s’était déjà retourné et marchait en direction de la scène. Edgard avait l’esprit comme pris dans du coton, il se rappelait parfaitement toute la conversation et pourtant il était incapable de décrire le visage de l’homme qui venait de lui parler. Pas même son étrange tenue, ni cette canne sombre au pommeau ouvragé qu’il avait agité sous ses yeux tout le temps du dialogue. Haussant les épaules il retourna à son programme bien décidé à s’organiser du mieux possible.
Alors qu’il profitait du groupe « Dagoba » sur scène il sentit une main sur son épaule et sans qu’une parole soit échangée, il se retourna et suivit la jeune femme qui se glissait dans la foule devant lui. Arrivé aux frontières du festival il découvrit une voiture noire aux vitres complètement opaques dont les phares s’allumèrent alors qu’ils s’approchaient. La jeune femme ouvrit la porte et le fit pénétrer à l’intérieur, puis pris place elle-même à l’avant. L’homme élégant était installé à côté de lui.
- Mon cher Ralf, ce soir tu vas vivre quelque chose de très spécial. Nous allons t’initier afin que tu rejoignes notre famille. As-tu des questions?
Edgard avait beau réfléchir il n’y avait rien qui venait. Il était content qu’on s’intéresse à lui et qu’on veuille bien l’accepter dans la famille. Secouant la tête en signe de négation il attendit que l’homme reprenne la parole. Le reste du trajet se fit dans un silence quasi religieux seulement entrecoupé par les bruits de la route et les clignotants de la voiture. Une fois celle-ci arrêtée il descendit prestement. Devant lui se trouvait les ruines de ce qui avait dû être une abbaye dans le passé. Des murs encore debout délimitaient les formes assez typique d’un tel lieu. L’homme à la canne marchait à ses côtés et lui indiqua une petite porte en bois qui semblait épargnée par le temps. Lui faisant signe de passer Edgard poussa la porte qui s’ouvrit dans un grincement sinistre. Une volée de marche s’enfonçait sous terre. La lune éclairait le haut de l’escalier et Edgard s’y enfonça sans hésitation. Une odeur d’huile brûlée remontait dans l’air froid en volute. Il découvrit que le reste de l’escalier était éclairé par des petites lampes disposées à intervalles réguliers. En bas des marches devenues glissantes à cause d’une sorte de moisissure qui les recouvrait, il aperçut une lourde grille qui était ouverte. Les pas de l’homme à la canne le suivait de près aussi s’enfonça-t-il dans le passage. A mesure qu’il avançait il entendait des voix de plus en plus fortes qui psalmodiaient dans une langue qu’il ne reconnaissait pas. Une sorte de voile rouge sembla couler sur ses yeux changeant la perception du lieu de manière étrange.
Edgard entra le premier dans une pièce de grande dimension. Des dizaines de personnes dans de grandes toges avec le visage recouvert d’une capuche semblaient entonner en rythme un chant lancinant. L’homme à la canne passa devant lui et lui fit signe de le suivre. Edgard sentait tout son corps vibrer au son de la litanie des personnes encapuchonnées. Il avança jusqu’à l’autre bout de la pièce. Au sol des inscriptions nombreuses étaient dessinées formant un cercle dans lequel un pentacle se trouvait. Des bougies étaient posées aux angles et leur lumière sinistre palpitait comme une respiration. Edgard se positionna où l’homme lui indiqua de se mettre. Une jeune femme partiellement dénudée sortie de l’ombre encadrée par deux hommes grands qui la maintenait entre leurs mains vigoureuses. Elle semblait droguée mais encore vivante. L’un des hommes la pris par la taille et l’allongea au milieu des inscriptions. Puis avec l’aide de son complice ils l’attachèrent à des crochets qui étaient scellés dans le sol. L’homme à la canne se retourna et s’approcha d’Edgard.
- Ralf nous t’accueillons parmi nous. Pour nous rejoindre tu dois procéder au rite de passage.
- Je suis prêt ânonna Edgard comme hypnotisé.
- Voici la clé qui te permettra d’ouvrir les portes qui te mèneront en notre sein.
Edgard prit le coutelas entre les mains de l’homme. La lame effilée brillait sous la lumière des bougies comme si elle était recouverte de sang. Il se positionna au-dessus de la jeune femme. Les voix s’amplifièrent et Edgard sentit monter en lui le désir impérieux de les rejoindre. Sans connaitre la langue employée il se mit à psalmodier les mêmes paroles et s’agenouillant sur le côté de la jeune femme il s’approcha et planta la lame dans sa poitrine. Puis d’une main assurée il plongea en elle et ressortit son cœur encore palpitant qu’il exhiba le bras tendu vers le haut. Le sang chaud coulant entre ses doigts jusque sur son bras. Les chants atteignirent leur apogée au moment où l’âme d’Edgard finit de se dissoudre pour ne plus laisser la place qu’à Ralf.
L’homme s’adressa ensuite à lui.
- Ralf, ce jour nous t’accueillons parmi nous. Tu remplaces l’un des nôtres qui nous a quittés. Tu accèdes donc à notre confrérie par la position la plus basse, tu seras désormais Andromalius.
Ralf se souvint qu’Andromalius était le 72ème dans la hiérarchie du grimoire. Un sourire mauvais vint se coller sur son visage alors que le cœur avait cessé de palpiter. Son âme à tout jamais liée aux cercles démoniaques qu’il avait rejoints.