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Communication et deontologie medicales

Publié le 11 janvier 2014 par Dominique Le Houézec
COMMUNICATION ET DEONTOLOGIE MEDICALES

Un homme est malade. Il est opéré par un chirurgien A. Les troubles persistant, il va voir un second chirurgien B qui lui dit que A a fait une erreur: "Il n’aurait pas dû faire telle chose, il aurait dû faire telle autre".




Cette histoire m’est racontée alors que je viens de lire un article intitulé :" Talking with patients about other clinicians'errors. "[1] Si l’on accepte ce que dit cet article, le chirurgien B n’a pas eu une attitude convenable

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Je crois, moi aussi, que cette attitude est incorrecte, mais je voudrais montrer que l’attitude correcte préconisée par l’article et qui, de fait est une attitude idéale, est à peu près impossible à mettre en œuvre dans la pratique. L’attitude de B qui est incorrecte est la règle et dans la  pratique, elle est infiniment plus facile à adopter.
De quoi s’agit-il? L’article dit que quand un second médecin pense que le premier médecin a fait une erreur, il doit le lui dire. Il doit lui dire ce qu’il a constaté et ce qu’il pense et il  doit  lui  demander de  dire  lui même comment il voit  les choses.
Arrêtons nous à ce stade. Si le chirurgien A travaille en hôpital il y a  3 chances sur quatre qu’il soit très difficile à joindre mais si le chirurgien B insiste, il arrivera à le joindre. Il devra lui dire en substance: « J'ai vu votre malade, vous ne l’avez pas guéri et de plus, je pense que votre intervention n’était pas ce qu’il fallait faire. J’aimerais que nous nous voyions pour en parler et pour préciser  les choses ».
Le chirurgien A a toute chance de n’être pas très enthousiaste, mais il sait qu’il ne peut pas refuser de s’expliquer. L’article dit que A et B doivent parler pour aboutir à un constat qu’ils pourront ensuite faire connaître au malade.
Dans la pratique, lorsque B dit que A a fait une erreur ou une faute, il y trouve un double avantage. D’une part, il ne perd pas de temps et il ne vit pas une situation désagréable et d’autre part, il se présente comme le bon chirurgien qui va prendre la suite du mauvais chirurgien.
Si les deux chirurgiens s’étaient rencontrés, s’ils avaient discuté, il est peu probable qu’ils auraient abouti au constat que A a été nul et que B sera excellent... Or pour le malade, l’idée que sa non-guérison est liée à la médiocrité de A est une idée beaucoup plus attrayante que celle qui consisterait à se dire qu’il n’est pas guéri parce que son cas est complexe et difficile.
Dans le système de non-communication entre les deux chirurgiens, B fait porter la responsabilité sur A et se présente comme quelqu’un de différent de A, n’ayant rien à voir avec ce nul de A. Il promet la guérison et le malade y croit parce qu’il veut y croire.
Si les deux chirurgiens avaient discutés, ils auraient abouti au constat que A n’est pas tout à fait nul et que B n’est pas de façon certaine un sauveur.
Après l’échec de A, le considérer comme  responsable permet à B de se présenter comme un sauveur et permet au malade de croire qu’il est enfin en de bonnes mains très différentes de celles de A. 

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"Ne rien voir, ne rien entendre, ne rien dire"

Ce système de non-explication qui convient à B et au malade, n’est pas non plus déplaisant pour A. En effet, dans une rencontre avec B, il aurait dû s’expliquer, il aurait dû reconnaître qu’il n’est pas merveilleusement irréprochable (parce que personne n’est merveilleusement irréprochable et que toute personne a des limites). Ne pas pouvoir s’expliquer est un peu désagréable, mais A saura qu’il a été condamné sans être entendu. Il se percevra comme victime d’une injustice. Il pensera que B est un sale type et un mauvais confrère qui profite de la crédulité du malade pour se présenter comme un  sauveur.
Le système de non-communication prévaudra longtemps, non pas bien qu’il soit bête mais parce qu’il est bête

Jean-Pierre LELLOUCHE
[1] T.H. Gallagher, M.M. Mello, D.W. Levinson, M.K. Wynia, A.K. Sachdeva, L.S. Sulmasy, R.D.Truog, J. Conway, K. Mazor, A Lembitz, S.K. Bell, L. Sokol-Hessner, J. Shapiro, A.-L. Puopolo, R. Arnold. Talking with patients about other clinicians'errors. N. Engl. J. Med. 2013; 369:1752-1757

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