Porno et Cinéma

Publié le 11 janvier 2014 par Unionstreet

Alors que Lovelace, le biopic sur la légendaire Gorge Profonde sort sur les écrans, que Joseph Gordon Lewitt nous fait part de son addiction à Pornhub.com dans Don John, que Lars Von Trier initie Charlotte Gainsbourg aux joies du gangbang inter-racial et qu’un Tyler Durden du quotidien insère une scène porno dans une projection du dernier Disney dans un cinéma américain, il semble que c’est le bon moment pour évoquer les liens entre les films X et le cinéma traditionnel à travers une petite sélection de nôtre crû.

Le plus triste : Baise-Moi

2000. Virginie Despentes lâche son stylo et prend une caméra vidéo pour raconter l’histoire de Nadine et Manu, 2 nanas un peu barrées et prêtes à tout pour obtenir « leur dose de foutre, de bière et de whisky » à travers des partouzes et tueries sanglantes. Jouissons avec les jouisseurs et puis massacrons-les, telle semble être la « morale » de ce Bonnie & Clyde porno-féministe qui impressionne à la première vision, peut même choquer les âmes sensibles mais s’avère être un simple mélange de porno amateur (moins drôle que Jacquie et Michel quand même), de résidus de punk attitude et de culte so 90′s des drogues. Despentes a voulu faire une oeuvre subversive, un film culte qui choquerait le bourgeois, obtient juste une interdiction aux moins de 16 ans, elle qui voulait tant être classée X. 15 ans après ne restent de Baise-Moi qu’une provoc’ ratée mais aussi un dénouement tragique avec la mort de Karen Lancaume, hardeuse culte qui s’est donné la mort en 2005.

Le plus drôle: Captain Orgazmo

Changeons de registre avec cette comédie loufoque de Trey Parker et Matt Stone, les créateurs de South Park, avec la légende Ron Jeremy. L’histoire totalement loufoque de Joe Young un jeune mormon expert en arts martiaux qui se fait engager par hasard sur un film porno. Une confrontation loufoque de deux Amériques, d’un côté les ultra-conservateurs et de l’autre l’industrie du X complètement débridée, regorge de moments de bravoure et de dialogues légendaires. Le jeu outrancier des comédiens et les situations les plus improbables nous rappellent que l’on nage dans la série B de haut niveau, celle qui, affranchie du joug de la censure et des contraintes économiques, va au plus loin dans la débilité avérée pour communiquer son message pas très catholique. Et diable, que cela fait du bien.

Le plus « vrai » : Il n’y a pas de rapport sexuel

Raphaël Siboni, jeune plasticien et vidéaste décide de s’intéresser à la représentation des corps et leur utilisation dans la pornographie. Rien d’étonnant à ce qu’il consacre un film entier au montage (détournement ?) des making-of de Hervé-Pierre-Gustave alias HPG, figure de proue du gonzo français, lui-même en perpétuel mouvement entre cinéma X et films traditionnels. Pas bandant pour un son, le film s’attarde sur ces moments d’attente et d’ennui, des « performances » demandées au bon moment, des contraintes de cadrage lors d’un tournage en extérieur ou encore des plans qu’il faut tourner coûte que coûte même si les acteurs montrent des marques évidentes d’épuisement. Il choisit des scènes décalées, qui ne répondent pas toujours aux fantasmes que l’on se fait du genre et on y découvre un HPG tour à tour concentré, bordélique, consciencieux, manipulateur, vrai salaud, touchant, drôle, pathétique, impérial. C’est un peu comme si une équipe du magazine Strip-tease se tenait à ses côtés depuis des années, sauf que notre homme est toujours tout seul, avec sa bite et sa caméra (et ses acteurs).

Le plus arty : Girlfriend Experience

Entre 2 films sur le Che, Soderbergh s’attaque à une révolutionnaire d’un autre genre: une call-girl qui facture ses services haut de gamme – elle embrasse et fait semblant d’être la petite amie, la fameuse Girlfriend Experience – 2 000 dollars de l’heure. Ses clients sont des golden boys, des financiers puissants. Et comme le film date de 2009, la crise des subprimes tient une place très importante dans les conversations de ces traders qui voient leurs profits chuter et s’interrogent sur l’avenir de l’Amérique et s’en confient à Chelsea, sorte de prolétaire du sexe qui prend sa revanche auprès des puissants en leur tarifant à l’heure sa tendresse. L’ultra-libéralisme au service d’une dictature du prolétariat revisitée. Loin d’être le meilleur film de Soderbergh, Girlfriend Experience offre à la pornstar Sasha Grey un rôle non caricatural, tout en nuances et émotions sans jamais porter sur elle un regard vulgaire ni même racoleur. A revoir.

Le meilleur : Boogie Nights

Le film le plus énervant aussi. Quand on apprend que P.T Anderson avait 26 ans lorsqu’il est sorti. Le deuxième film de Paul Thomas Anderson (après le prometteur Hard eight) est un coup de maître absolu, le premier grand film d’une filmographie encore réduite (There will be blood n’est « que » son cinquième long) mais déjà mémorable. Los Angeles, fin des années 70. Eddie Addams, 17 ans, est engagé par un réalisateur de films pornographiques. Sous le pseudonyme de Dirk Diggler, le jeune étalon devient du jour au lendemain une star du cinéma X. Mais avec les années 80, le conte de fées va rapidement virer au cauchemar… En replaçant un éternel mythe américain dans le cadre marginal et marginalisé du X, Anderson réalise la même opération que Burton avec Ed Wood : un hommage aux perdants, à ces battants qui n’ont jamais percé. Mais aussi une oeuvre précieuse et qui invite à réfléchir sur les enjeux des images pornographiques et de la représentation du sexe à l’écran.

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