[Critique] LES SORCIÈRES DE ZUGARRAMURDI
- 11 jan 2014
- Gilles Rolland
- CRITIQUES
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Titre original : Las Brujas de Zugarramurdi
Note:
Origine : Espagne/France
Réalisateur : Álex de la Iglesia
Distribution : Carmen Maura, Hugo Silva, Mario Casas, Carolina Bang, Gabriel Delgado, Terele Pavez, Secun de la Rosa, Javier Botet…
Genre : Comédie/Horreur
Date de sortie : 8 janvier 2014
Le Pitch :
Un groupe d’hommes déguisés braque un magasin d’or en plein centre de Madrid. Alors que la moitié d’entre eux sont décimés ou arrêtés, deux parviennent à prendre la fuite en voiture. Leur but : rallier la France pour échapper à la police lancée à leurs trousses.
Et c’est justement à la frontière que les choses se gâtent, quand les braqueurs arrivent dans le village de Zugarramurdi. Une bourgade infestée de sorcières bien décidées à prendre leur revanche sur les hommes…
La Critique :
Les Sorcières de Zugarramurdi a son importance dans la filmographie d’Álex de la Iglesia. De l’importance, car le film marque son retour à l’horreur, près de 18 ans après l’inénarrable Le Jour de la Bête qui voyait un prêtre essayer d’empêcher l’avènement de l’Antéchrist sur Terre (exception faite de La Chambre du fils, réalisé pour la télévision dans le cadre de la saga Peliculas para no dormir). Un retour à l’horreur mais pas seulement, car comme on pouvait s’en douter, ici comme toujours, l’humour occupe une grande place.
C’est donc à la frontière franco-espagnole que de la Iglesia a posé ses caméras pour exploiter les légendes qui entourent Zugarramurdi, un petit village qui vit pendant l’Inquisition, plusieurs personnes périr sur le bucher. Des mythes qui amènent le réalisateur à illustrer un récit qui met en scène des sorcières. Pas de celles qui se baladent la nuit venue sur un balais, mais des sorcières bien plus craspecs. Du genre à bouffer de la chair humaine et à prôner durant leurs petites sauteries nocturnes et souterraines les pires comportements possibles et inimaginables. Un peu comme Rob Zombie et ses Lords of Salem tout compte fait, mais de manière bien plus délirante.
À partir d’un point de départ qui n’est pas sans rappeler Une Nuit en Enfer de Robert Rodriguez (remplacez les vampires par des sorcières), Les Sorcières de Zugarramurdi démontre d’une volonté de pousser tous les compteurs dans le rouge. Il apparaît assez rapidement que de la Iglesia n’en a rien à foutre. Rien à foutre de la bien-séance et rien à foutre des règles. Il s’amuse et continue de prôner un cinéma affranchi de toutes notions de limites. Son cinéma à lui s’entrevoit comme un espace de liberté. Ses personnages sont alors pour la plupart complètement à la ramasse. De ces braqueurs du dimanche à ces sorcières lubrico-sanguinaires. En toute logique, il en est de même des dialogues, furieusement décalés. Le réalisateur ibérique agit comme si il évoluait dans un cartoon. Il malmène ses protagonistes, qui chutent de plusieurs mètres ou qui se prennent de monumentaux coups sur le coin de la tronche, mais qui se relèvent toujours. Ok, pour les sorcières, dont le pouvoir doit leur permettre d’encaisser un max, mais il en est de même des humains. De la Iglesia ne s’embarrasse pas de grand-chose et au fur et mesure que l’intrigue progresse, on le voit jeter aux orties tout ce qui pourrait freiner sa frénésie incontrôlable.
Celles et ceux qui vont débarquer sans avoir vu un film du gus risquent de trouver l’expérience déroutante. De la Iglesia fait partie de ces mecs qui ne font pas dans la demi-mesure. Soit on l’aime, soit on le déteste. Lui il s’en fout un peu et continue tant qu’il en a la possibilité. Les autres, ceux qui ont tripé devant Le Jour de la Bête, Un Crime Farpait ou Balada Triste seront en terrain conquis et pourront s’amuser comme des petits fous devant ce qui s’apparente à un grand festival de bizarreries diverses et variées. En théorie du moins.
Car si Les Sorcières de Zugarramurdi récolte depuis sa sortie bon nombre de critiques positives (sans compter son succès au box-office espagnol), il ne manquera pas d’en décevoir certains. À commencer par l’auteur de ces lignes.
Certes le film est drôle. Parfois. Certes il illustre un esprit empreint de liberté. C’est indéniable. Mais par moments, à vrai dire souvent, c’est trop. Contrairement, au Jour de la Bête, on y revient, ce nouvel opus souffre d’un manque de maîtrise flagrant, même si certaines scènes, surtout vers la fin, rappellent le talent de de la Iglesia (les poursuites dans les corridors…). Reposant sur un scénario basique mais efficace, il va à toute vitesse et se prend les pieds dans le tapis plusieurs fois. Visuellement, c’est la même chose. Les effets-spéciaux sont pour la plupart assez laids (le sang en synthèse n’est qu’un des nombreux problèmes qui affectent la production design) et la réalisation manque parfois cruellement d’ampleur. Peut-être trop confiant, Álex de la Iglesia a oublié d’habiller convenablement son film. De le rythmer aussi, prouvant du même coup qu’il ne suffisait pas d’enchainer les péripéties pour accoucher d’une œuvre passionnante sur la longueur. En deux heures, le métrage ne parvient pas à garder l’ennuie à distance. Notamment vers le milieu, où il aurait clairement fallu effectuer un bon vieux dégraissage pour alléger un peu la sauce. Là, la sauce, elle reste sur le bide. À grand renfort d’un second degré que l’on aurait aimé plus canalisé, le réalisateur se perd et tombe dans l’excès. On est en face d’un film punk et le punk se doit d’être court. Regardez les Ramones, aucun morceau ou presque n’excède les trois minutes. Et bien là, c’est la même chose.
Pour autant, n’allez pas croire que c’est cet excès qui est condamné. Définitivement pas, car l’excès a souvent réussi à de la Iglesia. Là, non. Tout simplement. Son dernier film part dans tous les sens et finit par fatiguer, malgré son énergie débordante. On frôle l’overdose.
Reste une réflexion intéressante sur l’équité entre les hommes et les femmes et sur la place de l’enfant dans le couple (quand celui-ci se déchire). Ce n’est pas très fin, mais il fallait oser. Oser se mettre à dos des critiques qui ne voient que de la misogynie. C’est tout l’inverse à vrai dire. Les Sorcières de Zugarramurdi est tout sauf un film machiste. Il suffit de voir ces hommes, faibles et pour la plupart, complètement cons, face à ces femmes fortes et avides de pouvoir et de vengeance. Des femmes portées par la toujours impressionnante Carmen Maura, ici une nouvelle fois tout à fait inspirée. On est bel et bien en face d’un pur trip féministe. Rien de moins. Dommage alors que le réalisateur n’ait pas mieux emballé sa missive, car du coup, certains vont s’y méprendre. D’autres vont se moquer de la réflexion et s’ennuyer. D’autres vont aimer à la folie. C’est toujours cette même vieille rengaine : les goût et les couleurs. Álex de la Iglesia de son côté continue sur sa lancée. À presque 50 balais, il ne s’assagit pas. Et au fond, c’est bien ça le principal. Et peu importe si ses décevantes sorcières nous ont laissé un méchant goût d’inachevé dans la bouche…
@ Gilles Rolland