Quelques heures de printemps est le cinquième long métrage de Stéphane Brizé et est projeté en salles au Québec depuis le 10 janvier. Alain Evrard (Vincent Lindon) vient tout juste de sortir de prison et retourne vivre chez sa mère Yvette (Hélène Vincent) qui est atteinte d’un cancer incurable. S’entendant comme chien et chat, la mère et le fils cohabitent dans un silence pesant qui sera le dernier pour Yvette qui décidera d’avoir recours au suicide assisté. Alain l’accompagnera dans cette dernière étape de sa vie, non sans douleur. Film en nomination aux Césars 2013 pour la meilleure interprétation des acteurs principaux, meilleure réalisation et meilleur scénario original, Quelques heures de printemps est terriblement d’actualité, en particulier dans la province de Québec où le débat sur le suicide assisté se fait actuellement à l’Assemblée nationale. À mi-chemin entre la fiction et le réalisme, ce film qui est tout sauf divertissant a le mérite d’inciter le spectateur à une sérieuse introspection.
Une histoire en deux temps
Dans la première moitié du film, on s’intéresse davantage à Alain. Comme on dit de lui dans le film (et pour notre grand déplaisir) :« il n’aime pas parler ». Cet homme dans la cinquantaine a, pour parler franchement, raté sa vie. Ancien camionneur, il vient de passer 18 mois de prison pour avoir tenté de passer de la drogue à la frontière. Maintenant libéré, il se trouve un emploi dans un centre de recyclage qu’il ne conservera pas très longtemps. Sans le sou, c’est à contrecœur qu’il va habiter chez sa mère. Au départ, on le sent peu empathique envers celle-ci et ce qu’elle traverse. S’il l’entend pleurer dans une autre pièce, jamais il ne va la consoler et il lui arrive même de se montrer violent, du moins verbalement. Il noue plus tard une relation épistolaire avec Clémence (Emmanuelle Seigner), mais arrête de la fréquenter lorsque cette dernière voudra en apprendre davantage sur lui. En fait, ce ne sont pas elles qu’il déteste, mais bien le perdant qu’il est.
Yvette, malgré sa maladie, est aussi peu bavarde et attachante. Elle est toujours très froide à l’égard de son fils qui la déçoit et lui fait sentir. Obsédée par la propreté, elle passe ses journées à faire le ménage et des casse-têtes. Lorsqu’elle rencontre les médecins venus lui expliquer la procédure du suicide assisté, l’un d’eux lui demande si elle a été heureuse et elle répond tout simplement : « c’est ma vie, quoi ». Le réalisateur s’intéresse davantage à son personnage dans la seconde partie du film alors que son état empire. Sous des airs de femme indifférente à tout, on découvre tout de même quelqu’un faisant preuve d’un rare courage face aux maux qu’elle endure et d’une digne résignation lorsque vient le temps d’en finir.
La mère et le fils vivent ainsi, chacun dans leur monde, chacun dans une vie qui les déçoit. On est frappé par le nombre de plan où ils se trouvent côte à côte, sans rien se dire. Dans ceux-ci, il y a sans arrêt un bruit de fond, provenant de la radio ou de la télévision; des moyens de combler le silence sur une relation entre deux êtres qui au fond se ressemblent beaucoup. Après le film, on se demande encore pourquoi un tel titre. Le printemps est synonyme de renaissance et d’espoir alors que les heures qu’ils partagent ensemble sont toutes sauf gaies et nous conduisent vers une mort qu’on prédit dès les premiers instants.
Suicide assisté
Ce qui retient l’attention dans Quelques heures de printemps est bien entendu la question du suicide assisté. Actuellement, l’euthanasie active n’est légale qu’aux Pays-Bas, en Belgique et au Luxembourg alors que le suicide assisté l’est en Suisse et dans deux États américains. Cependant, cette question fait l’objet de nombreux débats dans le monde, incluant au Québec, et de nouveaux pays pourraient s’ajouter à cette liste. Dans le film de Brizé, la thématique est explorée de façon objective à la limite du documentaire. À un certain moment, Yvette reçoit chez elle un médecin et la propriétaire d’une maison qui offre ce « service » en Suisse. C’est davantage le médecin qui explique les procédures, autant informative pour la condamnée que pour les spectateurs. Comme évoqué plus tôt, on en apprend peu sur les personnages principaux, leurs passé, rêves, etc. Si cet aspect est frustrant du point de vue divertissement, reste qu’en « neutralisant » ces personnages, tout le monde peut s’y identifier. Anne Plantagenet dans son article abonde en ce sens :« Brizé raconte, à travers celle des autres, notre histoire à tous. La marque des grands. Jamais dans la caricature, évitant toujours l’écueil du pathos, de l’émotion facile, il dit les vraies gens, qu’il magnifie par sa seule caméra et son amour des acteurs ». Parlant de caméra, presque tous les plans du film sont composés de plans séquence, nous montrant sans artifice le quotidien pour le moins banal des protagonistes, ce qui vient accentuer davantage l’effet de réalisme.
Si on ne suit pas assidument le débat que provoque le suicide assisté, on a probablement une idée vague de ce que représente le dernier moment de vie pour le condamné et ses proches. Dans Quelques heures de printemps, les dernières scènes nous exposent à cette réalité trouble. Yvette qui est encore en santé (mais plus pour très longtemps), quitte la maison sachant que c’est la dernière fois qu’elle y a dormi. La veille, elle a bu du champagne et mangé du gâteau avec son voisin, un ami de toujours. Arrivée dans le domaine en Suisse, elle demande à Alain s’il a bien les clés de la maison… Eux deux s’installent au salon et la propriétaire leur fait sentir les liquides qu’elle ingurgitera pour en finir avec la vie. Puis, elle se couche dans un lit et quand elle est prête, elle peut boire le mélange qui en quelques minutes seulement fera son effet. Ces moments sont très difficiles à regarder du fait qu’une personne décide sciemment de l’heure, de la minute et de la seconde de son trépas. Imaginons aller se coucher et nous lever le lendemain matin avec pour objectif de se tuer. La souffrance qu’engendrera la maladie vaut-elle cette action ou devrait-on, à n’importe quel prix s’accrocher à la vie jusqu’au dernier instant? Qu’en est-il de ces gens qui administrent au quotidien ce poison mortel et qui sont payés pour le faire? Le film nous illustre avec doigté cette zone grise. On peut comprendre que des malades veuillent abréger leurs souffrances, mais dans tous ces cas, il s’agit bel et bien d’un suicide approuvé par une personne lucide en complicité avec des autorités médicales…
Si on doute que Quelques heures de printemps fracasse des records au box-office, le film vaut assurément le coup d’œil. Preuve que l’histoire est bien de son temps, Amour de Michael Haneke qui explore des voies similaires, a remporté moult prix dont le César du meilleur film en 2013. Et c’est maintenant au tour de La belle endormie (2012) de Marco Bellochio d’évoquer ce thème où on met en scène divers personnages fictifs (sénateur, docteur, toxicomane, etc.) en relation avec une histoire s’étant réellement déroulée en Italie; celle d’Eluana Englaro, une jeune fille qui a passé 17 ans dans le coma à la suite d’un accident de voiture et dont l’assistance médicale a finalement été stoppée. Comme on le voit, ce sujet prend déjà beaucoup d’ampleur dans le monde et ces films ont le mérite de faire progresser le débat, dans un sens comme dans l’autre.