Africa Express est le nom d’un collectif de musiciens et d’artistes provenant essentiellement du Mali, mais aussi de nombreux autres coins du monde. Le projet est né d’une initiative de Damon Albarn (Blur, Gorillaz) et Ian Birrell. Albarn, suite à quelques voyages qu’il a faits en 2005 à l’ouest de l’Afrique, a découvert toute l’énergie et la musique qui y régnait. Étant bien entendu un amant de celle-ci, il s’est décidé à y retourner pour jouer avec les artistes locaux, simplement pour le plaisir. Il voulait apprendre à les connaitre et, en quelque sorte, s’intégrer à la communauté. L’expérience l’a énormément touché et a changé sa perception des choses. Ils ont mutuellement appris les uns des autres. À la suite de cela, Damon a voulu que ce projet prenne une forme plus officielle. Il a invité quelques artistes occidentaux à se joindre à eux et c’est suite à cela qu’Africa Express est né.
Aux yeux de l’instigateur du projet, Africa Express ne se veut pas un outil de sensibilisation aux conditions de vie auxquelles les artistes sont exposés. Ce projet a seulement pour but de créer des connexions entre les artistes et faire la promotion de la musique malienne à plus grande échelle.
Le collectif a fait paraitre une compilation en 2009. Toutefois, Damon voulait pousser le projet un peu plus loin et enregistrer un vrai album, proprement dit. Damon a alors invité quelques artistes occidentaux qu’il apprécie à s’installer pendant sept jours à Bamako, au Mali, pour enregistrer ce premier opus avec les artistes sur place.
Le collectif a installé un studio temporaire dans une maison des jeunes aux abords de la rivière Niger. Le climat politique qui y régnait a mis la table pour que de nouveaux groupes se forment. Un an plus tôt, une alliance d’islamistes et de Rebelles de Touareg a saisi le nord du pays et le président a été évincé lors d’un coup d’État. Le pays a presque été brisé en deux, mais une offensive menée par le gouvernement français a sauvé la situation. Cela dit, un bon nombre de rebelles sont encore présents et font la vie dure aux occupants du Nord. Ils ont détruit d’anciens monuments et ont banni la musique laïque. Ils ont confisqué des albums, détruit des instruments de musique, saccagé des salles de spectacles, etc. C’est dans ce climat qu’a été créé l’album. Des sept jours passés en studio est alors né un album de 11 morceaux simplement intitulé Maison des Jeunes. L’album capture la spontanéité et l’excitation d’un pays au riche héritage musical.
Dès la première pièce, le ton est donné. Fantainfalla Toyi Bolo est l’introduction d’un album où dépaysement et instrumentation très variée seront servis. Adama Koita pose sa douce voix sur une musique organique et met la table pour ensuite nous balancer une panoplie d’artistes intéressants.
Un des aspects qui ressort le plus sur Maison des Jeunes est le mélange des styles et des cultures. Les artistes occidentaux se mêlent occasionnellement de manière très habile aux artistes maliens. C’est notamment le cas sur Soubour où Nick Zinner, guitariste des Yeah Yeah Yeahs, pose sa guitare électrique par-dessus la musique entrainante de Songhoy Blues. Un autre exemple de cette mixture est Rapou Kanou. C’est une pièce de Tal B Halala qui propose un rap bien senti sur une trame organique comprenant des steel drums et autres percussions, tout en se mêlant à une production studio avec samples et synthétiseurs. Cela dit, le mélange le plus intéressant est la pièce Season Change. Sur celle-ci, le chanteur et producteur anglais Ghostpoet propose une chanson à saveur électro qui est soutenue par les percussions organiques du groupe Doucoura. La pièce est très posée et atmosphérique et se conclut avec une petite passe rythmée de la formation malienne. Le tout est assez homogène et coule très fluidement.
Il est également intéressant de voir que l’album propose des ambiances démontrant les deux côtés de la médaille de la vie au sein du pays. On nous présente des pièces très festives comme Chanson Denko Tapestry de Yacouba Sissoko Band, ainsi que Deni Kelen Be Koko de Lobi Traoré Band. Ces pièces sont rythmées et dansantes, elles illustrent bien l’optimisme et la force de la population malgré les problèmes. D’autres pièces comme Dougoudé Sarrafo de Bijou et Farafina de Moussa Traoré démontrent la fragilité et la douleur que ceux-ci peuvent connaitre dans de pareilles circonstances. Cette dernière présente un texte en français et la voix chargée d’émotion de Traoré s’adresse à son Afrique natale d’un point de vue dénonciateur.
Il est par contre parfois décevant de voir que Maison des Jeunes n’offre que très peu de réinvention au niveau des structures des chansons. Elles sont généralement construites sur une rythmique traditionnelle et sont plutôt courtes. Aussi, certains morceaux s’avèrent un peu trop répétitifs, ce qui empêche l’auditeur de s’accrocher réellement aux morceaux. C’est notamment le cas de Deni Kelen Be Koko. Avec une plateforme comme celle d’Africa Express, il aurait été intéressant de voir quelques expérimentations un peu plus poussées et plus risquées.
Un élément qui est également un peu dommage est la barrière linguistique que l’album présente pour le public occidental. Les textes livrés semblent souvent porter un message par le ton qui est employé, mais le fait que 90% de l’album soit en bambara (langue nationale du Mali) empêche ce public de savourer pleinement les textes d’Africa Express. Surtout sur la pièce Rapou Kanou, où l’interprète se lance dans des prouesses lyricales. Malgré tout, c’est cela qui crée le réel dépaysement de cet opus et par défaut, son charme.
La dernière pièce de l’album, Latégué de Tiemoko Sagodogo, clôt l’album en douceur. Il s’agit d’une chanson délicate, sans artifice, qui rappelle la précarité et la simplicité dans laquelle ces artistes vivent.
Au final, la musique sur Maison des Jeunes d’Africa Express célèbre l’art et les différences culturelles qui unissent les artistes maliens et ceux qui viennent d’ailleurs. Ceci donne lieu à de très bonnes pièces malgré quelques redondances occasionnelles. Il est intéressant de voir le recul qu’a pris Damon Albarn par rapport à ce collectif. Au lieu de prendre la place et vendre le produit avec son nom, il laisse tout l’espace et la créativité aux artistes. Le produit final est plutôt rafraichissant et charmant.