Comme en écho à l’épiderme de l’eau dans mon dernier billet, ce ne sont, ici, que des tissus blancs, immaculés : seule compte leur surface, leur texture, et les plis qu’ils forment, les froissements, les renflements et les cavités qui s’y creusent. Ce sont des tableaux gigantesques, qui vous écrasent du haut de leurs 6 mètres, pour le plus grand. Ils rivalisent avec les grands tableaux d’histoire ou de piété dans les salles voisines de la National Gallery à Londres (jusqu’au 29 Juin). Alison Watt y a été artiste en résidence pendant près de deux ans. Je ne sais pourquoi aucun musée classique français (à ma connaissance) n’accueille ainsi des artistes contemporains qui s’installeraient dans le musée, le parcourraient longuement et en tireraient inspirations et défis; cela donnerait des expositions contemporaines moins plaquées sur l’antique, plus fructueuses peut-être. Un des premiers billets de ce blog fut consacré à John Virtue, en résidence à la National Gallery en 2003/2005.
Donc Alison Watt peint des draperies blanches, nouées, plissées, elle peint les trous qui s’y forment, les obscurités, les ouvertures vers le vide, où le regard est absorbé, et tout le corps du spectateur à sa suite. On y ressent une physicalité intense. Elle évoque Madame Moitessier et le tissu de sa robe, le noeud de cravate de Jacobus Blauw et surtout le Saint François méditant de Zurbaran, aux yeux invisibles sous la capuche et à la bouche ouverte comme une blessure. On pensera aussi aux fentes de Fontana, à l’Origine du Monde, à toutes ces ouvertures vers un ailleurs mystérieux, inquiétant.
Alors qu’il n’y a là que simple peinture, qu’effet d’optique en somme, on reste aisément contemplatif devant ces grandes toiles. Elles m’ont renvoyé vers les photos de Clérambault, l’auteur de la Passion érotique des étoffes chez la femme : femmes enveloppées dans leurs voiles, devenues invisibles au point qu’on ne sait plus si ce voile est vraiment habité, s’il y a réellement un corps sous cette étoffe.
Ces draperies sont comme des outils du pathétique, séparées du corps des Vénus alanguies et des saintes baroques et, abandonnées, devenues modernes (Ninfa Moderna).