Voici un article écrit par quelqu'un qui a soutenu Dieudonné avant de s'en mordre les doigts.
Issu de : http://al-montpellier.over-blog.com/2013/12/pourquoi-dieudonn%C3%A9-n-est-pas-fr%C3%A9quentable.html
Mettons cartes sur table. J’ai fait parti des sempiternels soutien à Dieudonné, et il y a encore quatre ans, je participais à l’organisation de sa venue dans ma ville d’origine. Je n’ai jamais soutenu, et ne soutiens toujours pas, le fait d’interdire Dieudonné de jouer ses spectacles. Pour un certain nombre de jeunes, Dieudonné a même pu être source, à une époque, de prise de conscience politique en abordant et en dénonçant, avec humour, les dérives de la politique française et internationale. Lorsque nous parlons du cas Dieudonné, la question israélo-palestinienne n’est jamais loin. Son exclusion du monde médiatico-politique a débuté, notamment, au lendemain de son sketch chez Fogiel où il caricaturait un colon israélien. Encore aujourd’hui, les références à Israël ne manquent pas. Paradoxalement (ou peut-être pas), plus je prenais place, notamment, dans le mouvement de solidarité avec la Palestine, et moins je soutenais Dieudonné.
Une colère légitime
Dieudonné, lorsqu’il ironise sur la politique dans ses spectacles, aborde des thèmes très différents : dérive de la classe politique française, hypocrisie diplomatique… La concurrence des mémoires est un des premiers piliers « humoristico-politique » de Dieudonné. Un thème qui, à première vue, semble légitime, ou du moins, demeure un sujet de débat. Pierre Tevanian, dans un article intitulé Un négationnisme respectable, relève la manière dont les propos de Jean-Marie Le Pen sur les chambres à gaz qui ne seraient qu’ « un détail » de l’histoire ont entraîné une condamnation unanime de l’ensemble de la classe politique française ainsi que du monde associatif et du corps enseignant. À l’inverse, l’historien Max Gallo, fréquemment invité sur les plateaux télés, déclarait à propos du rétablissement de l’esclavage et de la traite négrière par Napoléon, ainsi que de son interdiction au territoire métropolitain aux « nègres et autres gens de couleur » : « Cette tache, car c’est une tache, est-ce que c’est un crime contre l’humanité ? Peut-être, je ne sais pas ». Ces propos furent réitérés, et Gallo n’a eut à affronter ni la justice ni la désapprobation du monde politique et associatif. Il en va de même, souligne Tevanian, pour « la colonisation, dont le caractère intrinsèquement criminel est largement nié ou minimisé, aussi bien dans la culture de masse que dans les programmes scolaires ».
Ne souhaitant pas me réapproprier des analyses, je me permets de poursuivre la citation de l’article de Tevanian : « le cas de Dieudonné est là pour nous rappeler les dérives auxquelles ce juste constat peut conduire s’il n’est pas réfléchi et analysé politiquement ». Dans ses dénonciations et ses actes, Dieudonné use à plein régime de provocations gratuites au point d’en faire oublier « la part de vérité sur laquelle viennent s’agréger rancœurs, amalgames et provocations racistes ». C’est sûrement ici que se situe la première dérive de l’humoriste. Singulièrement, il ne nie pas, directement, le fait même de l’Holocauste, mais ses célébrations et son emploi dans la sphère politique. Un sujet qui, tout en étant justifié, se doit d’être abordé de manière réfléchie et raisonnée (cf. Idith Zertal, La Nation et la mort ; Norman Finkelstein, L’industrie de l’Holocauste). Mais Dieudonné préfère en rire, parodiant dans divers sketchs, et dernièrement dans un film tout entier, des déportés dans un camp de concentration, ajoutant à ses personnages un goût immodéré pour l’argent. Selon lui, la mémoire du génocide des juifs occulterait les autres mémoires dans une abjecte concurrence victimaire.
Quiconque s’emploie à relire l’historiographie française se rendra compte assez facilement que ce n’est pas l’enseignement de la Shoah qui occulte les autres crimes. Dans les années 1950, 1960 et 1970, nous parlions très peu, voire absolument pas, du génocide des Juifs. Parlions nous pour autant davantage des crimes coloniaux ? Je ne le pense pas. Reprenons Tevanian : « La vérité, c’est que l’occultation du tort fait aux Noirs – comme du tort fait aux colonisés – repose sur des ressorts beaucoup plus anciens, profonds, puissants et complexes que la formation récente d’une mouvance sioniste ultra-droitière au sein des élites associatives juives de France. Si les Noirs sont injuriés, si leur mémoire est bafouée, si un Max Gallo peut en toute impunité et en toute innocence leur cracher son mépris à la figure, ce n’est pas « parce qu’une petite clique de Juifs fascistes en veut aux Noirs de concurrencer la Shoah » : ce qui est en cause, c’est la quasi-totalité des élites politiques françaises catholiques, protestantes, laïques, athées, républicaines, progressistes…, qui sont structurées par une idéologie, une culture et un imaginaire républicaniste profondément chauvins, ethnocentriste voire raciste. Ne pas prendre en compte le système politique qui est à l’origine d’un tort subi, en rabattre toute la responsabilité sur un groupe social délimité (en l’occurrence les extrémistes sionistes), tel est le premier faux pas qui conduit de la révolte légitime aux divagations racistes. »
Dans les bras de l’extrême droite
Dans ses premiers combats, Dieudonné s’inscrivait dans ce combat politique évoqué précédemment. Figure de la lutte antiraciste de gauche, il a été, peu à peu, dégoûté du milieu politique français. Sa première cible, les associations antiracistes, type SOS Racisme, et la gauche française qui semblait sourde à la prise en compte de ses revendications. Une nouvelle fois, sa rancœur peut sembler légitime. Voir SOS Racisme travailler main dans la main avec l’Union des Étudiants Juifs de France, organisation qui ne cache pas son soutien à la politique israélienne, ou encore s’afficher dans des manifestations aux côtés de la Ligue de Défense Juive (groupuscule violent ultra-sioniste), c’est bien évidemment nauséabond. Il en va de même pour un certain nombre de représentants de cette « gauche molle », aux avant-postes médiatique pour défendre les droits de l’homme et la dignité humaine, mais qui dans le même temps, par amour et/ou intérêt envers Israël, se taisent sur les innombrables crimes dont le peuple palestinien est victime. Évidemment, ils sont, sur bien d’autres sujets encore, éloignés d’un quelconque « socialisme », au sens idéologique du terme, les Roms le savent actuellement mieux que quiconque. Se reconnaîtront ici Manuel Valls, Julien Dray, Pierre Moscovici, Harlem Désir… Ecœuré, Dieudonné quitte la sphère politique, et enchaîne les rencontres, brisant les clivages droite et gauche, affirmant qu’ « il ne sait plus où est le bien et où est le mal ». Il nie ainsi l’hétérogénéité de la gauche française, et tourne le dos à toutes ces forces politiques, ces militants, ces élus, ces parlementaires, qui mènent leurs actions en adéquation totale avec leurs idéaux. Simpliste, le choix de Dieudonné de se diriger vers ses anciens ennemis était donc bien plus intentionnel que ce qu’il laisse à penser.
Sa rencontre avec l’essayiste Alain Soral, passé du PCF au FN, semble décisive. Tout autant nationaliste qu’homophobe, sexiste que fascisant, le fondateur du mouvement Égalité et Réconciliation s’inscrit dans la droite ligne des propos précédents de Tevanian. Soral est loin de reconnaître les crimes coloniaux, et méprise ceux qui défendent cette mémoire. Il admire le mouvement italien Casa Pound, qui se revendique de Benito Mussolini, et ne masque pas sa fascination pour les néo-nazis grecs d’Aube Dorée. Il œuvre pour un rapprochement entre l’Occident chrétien et le monde musulman afin de lutter contre « l’Empire ». Nul ne sait précisément ce qui se cache derrière ce terme, mais Israël et les États-Unis semblent en être les fers de lance. Musulmans et catholiques devraient s’allier contre les juifs et les protestants. Pourquoi ? Parce que juifs et protestants sont les créateurs du prêt à intérêt. Le prêt à intérêt n’est pas autorisé par le catholicisme ni l’islam, et il est la matrice de la finance mondiale qui permet d’asservir les peuples. Après cette rencontre, Dieudonné s’affiche sans problème avec des cadres de l’extrême droite française, considéré comme « victime » du système politique. Le symbole de ce rapprochement est sans aucun doute sa candidature en 2009 à la tête de la liste « Anti-sioniste », rassemblant à la fois Yahia Gouasmi, directeur du centre Zahra France et dirigeant de la Fédéraction Chiite de France, Alain Soral, mais aussi un cadre du Front National Jeune, un nationaliste catholique…
Sans forcément retranscrire toute l’histoire de Dieudonné, arrêtons-nous sur l’un de ses derniers faits d’arme : une interview, complaisante à souhait, de Serge Ayoub, aka Batskin. Figure des milieux skinheads d’extrême droite, il fut fondateur entre autre des Jeunesses Nationalistes Révolutionnaires et de Troisième Voie (dont je laisse à chacun de vous la liberté de lire leurs faits d’armes). L’interview vient se caler au lendemain de la mort de Clément Méric, étudiant et militant antifasciste de 18 ans, mort sous les coups de skins liés au mouvement d’Ayoub. Clément Méric se mobilisait pour toutes les causes qui lui semblait juste. Il participait aux manifestations parisiennes contre l’islamophobie, notamment la campagne « Mamans toutes égales », aux actions contre le mal logement, pour les sans-papiers, aux rassemblements de soutien au peuple palestinien, etc… Si Dieudonné laisse à Ayoub la possibilité d’expliquer ce qu’il veut, sans jamais être contesté ou remis en cause, il affirme à demi-mot que Clément Méric était proche de la Ligue de Défense Juive : « L’extrême gauche de Méric est, je l’ai découvert à ce moment là (cf. altercation sur un marché parisien entre des militants antifascistes et Dieudonné et son entourage), […] très proche des milieux sionistes, de la LDJ et ce genre de mouvements, plutôt protégé par la police ». L’interview se termine par une brève salutation : « nous avons nos différences, mais nous avons un même ennemi ». Certains s’amusent à noyer le poisson en évoquant les méthodes de lutte, jugées violentes, de certains milieux dits « d’extrême gauche ». Gardons à l’esprit que Serge Ayoub se bat pour une domination de race, un nationalisme exclusif, et plaide pour un régime politique d’inspiration fasciste. Clément Méric se battait pour une suppression des classes, une justice sociale, et contre la diffusion de toutes les idées haineuses, racistes et fascisantes, quelles soient portées par Ayoub, la LDJ ou Dieudonné.
Le mouvement de solidarité avec la Palestine
En tant que citoyen français, nous avons un rôle important à jouer dans notre pays sur la question palestinienne. La France a eut et doit retrouver son indépendance diplomatique afin d’agir, et d’être le fer de lance politique d’une lutte pour l’application stricte du droit international au Proche-Orient. Pour cela, il faut un mouvement de solidarité pour la Palestine qui soit fort, organisé et capable de relever des défis politique. C’est un rapport de force, tout est une question de rapport de force. Celles et ceux qui sont dans le mouvement peuvent en témoigner, les lignes ne sont pas enracinées, elles bougent, elles évoluent. D’année en année, de nouveaux députés nous rejoignent, de nouveaux élus ou simples citoyens partent sur le terrain afin d’œuvrer à une solidarité concrète, à un élargissement du front. Si les droits des palestiniens sont bafoués, c’est à nous de refuser que ceux qui soutiennent ce crime puissent influencer la politique de notre pays. Et eux, ce ne sont ni « les juifs », ni même forcément les « sionistes », mais simplement les soutiens à la politique israélienne. Et ce de la même manière que le mouvement de solidarité avec la Palestine n’est pas composée exclusivement que d’arabes ou de musulmans. Qu’apporte Dieudonné à ce mouvement de solidarité ? Rien.
En s’affichant comme soutien à la cause palestinienne tout en multipliant les dérapages et les provocations, Dieudonné sert les intérêts des soutiens à la politique israélienne. Ces derniers peuvent ainsi aisément mettre dans un même sac antisémites et anti-sionistes. Dans les faits, c’est encore plus clair. En 2004, malgré la désapprobation de Leila Shahid, représentante officielle de l’Organisation de Libération de la Palestine en France, Dieudonné conduit une liste EuroPalestine aux élections européennes. Plus récemment encore, des membres du Parti Solidaire Français (PSF), dont Emmanuelle Grilly – colistière de Dieudonné en 2009 – est l’une des responsables, s’affichaient discrètement dans une manifestation parisienne commémorant l’anniversaire de la Nakba (expulsion des Palestiniens de leur terre en 1948 afin de créer l’Etat d’Israël). Aussitôt démasqués, ils furent chassés du rassemblement par le service d’ordre. Le soir même, le PSF publiait un communiqué critiquant la présence dans la manifestation de l’Union Juive Française pour la Paix, parce qu’ils sont « juifs ». En Palestine comme en France, des Juifs sont engagés aux côtés du peuple palestinien. Le problème n’est pas ethnique, mais politique. Dieudonné aime jouer sur cette frontière en mélangeant l’ethnique, la religiosité, et le politique ; mais le danger intervient lorsque la frontière de l’humour et de la politique n’est plus identifiable, ou plutôt que les deux se trouvent volontairement entremêlés.
Certains lecteurs diront que ces écrits ne sont qu’une leçon de morale « d’un petit gauchiste », du bla bla politique. Au cours de mes lectures, je suis tombé sur une tribune du Parti des Indigènes de la République (PIR) à propos de Dieudonné, intitulée "Houria Bouteldja dénonce le rapprochement de Dieudonné avec l’extrême droite". L’intérêt est que le PIR est sans concession avec la gauche française et son « passé colonial », et ne peut pas être accusé de « solidarité politique » avec quelque partis que se soit. Je vous invite à lire l’article dans sa totalité, tant les mots de sa porte-parole, Houria Bouteldja, sont à ce sujet justes et pertinents. Je retranscris ici quelques extraits : « Nous n’avons pas non plus hésité à discuter avec lui, à le mettre en garde contre les conséquences gravissimes de ses prises de positions pour ce que nous pensions être nos causes communes, l’antiracisme et l’anticolonialisme (dont l’antisionisme est aujourd’hui une composante majeure). Catastrophés, nous l’avons vu, à chaque fois qu’il était l’objet d’une nouvelle campagne médiatique, glisser, déraper, aller toujours plus loin dans l’aberration politique. [...] Le message qu’il communique aux nôtres à travers ses prises de position politiques est extrêmement dangereux : l’extrême-droite est une « victime » du système politique, l’extrême-droite est antisioniste, l’extrême-droite est nationaliste tout comme nous, l’extrême-droite est donc notre alliée « naturelle ». Rien n’est plus faux ! L’extrême-droite n’est pas une « victime » du système politique, elle en est le produit ; elle constitue la tendance la plus dure du racisme français ; l’extrême droite n’est pas antisioniste (certains de ses courants sont pro-sionistes par haine des Arabes, d’autres se déclarent solidaires du peuple palestinien par haine des juifs en tant que juifs) ; quant au nationalisme de l’extrême-droite, c’est un nationalisme parfaitement impérialiste, colonialiste et raciste qui n’a rien à voir avec notre lutte pour la libération nationale des peuples opprimés. En s’alliant avec l’extrême-droite Dieudonné [efface] sans scrupules plus de quarante ans de lutte de l’immigration contre l’extrême-droite ; [il insulte] la mémoire de tous ceux qui se sont battus contre le colonialisme. […] Le combat antisioniste, le combat de Azzedine Elqassam, de Arafat, de Georges Habbache, de cheikh Yassine, le combat anticolonialiste et antiraciste de Mandela, Fanon, Césaire, Malcolm X, Angela Davis, Sankara, Lumumba et bien d’autres est beaucoup trop précieux pour le corrompre aujourd’hui avec une extrême droite française toujours fière d’avoir torturé en Algérie ; une extrême droite qui a organisé des ratonnades contre les arabes et les noirs ; une extrême droite qui dénonce l’islamisation de la France, qui exige toujours plus de répression contre l’immigration et dans nos quartiers, qui justifie la chasse aux sans papiers. Nous n’avons aucun intérêt commun avec ces gens-là. »
Dieudonné est exclut du mouvement de solidarité avec la Palestine. Il ne travaille avec aucune organisation sérieuse, et n’œuvre à aucun projet pour le peuple palestinien. Ses actes ne font que desservir la cause. Je ne parle pas ici d’humour, cela relève selon moi des goûts de chacun, mais de politique. Continuez à soutenir politiquement Dieudonné, le considérer comme un « héros anti-système », tout en prenant publiquement fait et cause pour la cause palestinienne, et vous ne serez, malheureusement, rien de plus qu’un idiot utile aux soutiens à la politique israélienne.
Voici un article écrit par quelqu'un qui a soutenu Dieudonné avant de s'en mordre les doigts.
Issu de : http://al-montpellier.over-blog.com/2013/12/pourquoi-dieudonn%C3%A9-n-est-pas-fr%C3%A9quentable.html
Mettons cartes sur table. J’ai fait parti des sempiternels soutien à Dieudonné, et il y a encore quatre ans, je participais à l’organisation de sa venue dans ma ville d’origine. Je n’ai jamais soutenu, et ne soutiens toujours pas, le fait d’interdire Dieudonné de jouer ses spectacles. Pour un certain nombre de jeunes, Dieudonné a même pu être source, à une époque, de prise de conscience politique en abordant et en dénonçant, avec humour, les dérives de la politique française et internationale. Lorsque nous parlons du cas Dieudonné, la question israélo-palestinienne n’est jamais loin. Son exclusion du monde médiatico-politique a débuté, notamment, au lendemain de son sketch chez Fogiel où il caricaturait un colon israélien. Encore aujourd’hui, les références à Israël ne manquent pas. Paradoxalement (ou peut-être pas), plus je prenais place, notamment, dans le mouvement de solidarité avec la Palestine, et moins je soutenais Dieudonné.
Une colère légitime
Dieudonné, lorsqu’il ironise sur la politique dans ses spectacles, aborde des thèmes très différents : dérive de la classe politique française, hypocrisie diplomatique… La concurrence des mémoires est un des premiers piliers « humoristico-politique » de Dieudonné. Un thème qui, à première vue, semble légitime, ou du moins, demeure un sujet de débat. Pierre Tevanian, dans un article intitulé Un négationnisme respectable, relève la manière dont les propos de Jean-Marie Le Pen sur les chambres à gaz qui ne seraient qu’ « un détail » de l’histoire ont entraîné une condamnation unanime de l’ensemble de la classe politique française ainsi que du monde associatif et du corps enseignant. À l’inverse, l’historien Max Gallo, fréquemment invité sur les plateaux télés, déclarait à propos du rétablissement de l’esclavage et de la traite négrière par Napoléon, ainsi que de son interdiction au territoire métropolitain aux « nègres et autres gens de couleur » : « Cette tache, car c’est une tache, est-ce que c’est un crime contre l’humanité ? Peut-être, je ne sais pas ». Ces propos furent réitérés, et Gallo n’a eut à affronter ni la justice ni la désapprobation du monde politique et associatif. Il en va de même, souligne Tevanian, pour « la colonisation, dont le caractère intrinsèquement criminel est largement nié ou minimisé, aussi bien dans la culture de masse que dans les programmes scolaires ».
Ne souhaitant pas me réapproprier des analyses, je me permets de poursuivre la citation de l’article de Tevanian : « le cas de Dieudonné est là pour nous rappeler les dérives auxquelles ce juste constat peut conduire s’il n’est pas réfléchi et analysé politiquement ». Dans ses dénonciations et ses actes, Dieudonné use à plein régime de provocations gratuites au point d’en faire oublier « la part de vérité sur laquelle viennent s’agréger rancœurs, amalgames et provocations racistes ». C’est sûrement ici que se situe la première dérive de l’humoriste. Singulièrement, il ne nie pas, directement, le fait même de l’Holocauste, mais ses célébrations et son emploi dans la sphère politique. Un sujet qui, tout en étant justifié, se doit d’être abordé de manière réfléchie et raisonnée (cf. Idith Zertal, La Nation et la mort ; Norman Finkelstein, L’industrie de l’Holocauste). Mais Dieudonné préfère en rire, parodiant dans divers sketchs, et dernièrement dans un film tout entier, des déportés dans un camp de concentration, ajoutant à ses personnages un goût immodéré pour l’argent. Selon lui, la mémoire du génocide des juifs occulterait les autres mémoires dans une abjecte concurrence victimaire.
Quiconque s’emploie à relire l’historiographie française se rendra compte assez facilement que ce n’est pas l’enseignement de la Shoah qui occulte les autres crimes. Dans les années 1950, 1960 et 1970, nous parlions très peu, voire absolument pas, du génocide des Juifs. Parlions nous pour autant davantage des crimes coloniaux ? Je ne le pense pas. Reprenons Tevanian : « La vérité, c’est que l’occultation du tort fait aux Noirs – comme du tort fait aux colonisés – repose sur des ressorts beaucoup plus anciens, profonds, puissants et complexes que la formation récente d’une mouvance sioniste ultra-droitière au sein des élites associatives juives de France. Si les Noirs sont injuriés, si leur mémoire est bafouée, si un Max Gallo peut en toute impunité et en toute innocence leur cracher son mépris à la figure, ce n’est pas « parce qu’une petite clique de Juifs fascistes en veut aux Noirs de concurrencer la Shoah » : ce qui est en cause, c’est la quasi-totalité des élites politiques françaises catholiques, protestantes, laïques, athées, républicaines, progressistes…, qui sont structurées par une idéologie, une culture et un imaginaire républicaniste profondément chauvins, ethnocentriste voire raciste. Ne pas prendre en compte le système politique qui est à l’origine d’un tort subi, en rabattre toute la responsabilité sur un groupe social délimité (en l’occurrence les extrémistes sionistes), tel est le premier faux pas qui conduit de la révolte légitime aux divagations racistes. »
Dans les bras de l’extrême droite
Dans ses premiers combats, Dieudonné s’inscrivait dans ce combat politique évoqué précédemment. Figure de la lutte antiraciste de gauche, il a été, peu à peu, dégoûté du milieu politique français. Sa première cible, les associations antiracistes, type SOS Racisme, et la gauche française qui semblait sourde à la prise en compte de ses revendications. Une nouvelle fois, sa rancœur peut sembler légitime. Voir SOS Racisme travailler main dans la main avec l’Union des Étudiants Juifs de France, organisation qui ne cache pas son soutien à la politique israélienne, ou encore s’afficher dans des manifestations aux côtés de la Ligue de Défense Juive (groupuscule violent ultra-sioniste), c’est bien évidemment nauséabond. Il en va de même pour un certain nombre de représentants de cette « gauche molle », aux avant-postes médiatique pour défendre les droits de l’homme et la dignité humaine, mais qui dans le même temps, par amour et/ou intérêt envers Israël, se taisent sur les innombrables crimes dont le peuple palestinien est victime. Évidemment, ils sont, sur bien d’autres sujets encore, éloignés d’un quelconque « socialisme », au sens idéologique du terme, les Roms le savent actuellement mieux que quiconque. Se reconnaîtront ici Manuel Valls, Julien Dray, Pierre Moscovici, Harlem Désir… Ecœuré, Dieudonné quitte la sphère politique, et enchaîne les rencontres, brisant les clivages droite et gauche, affirmant qu’ « il ne sait plus où est le bien et où est le mal ». Il nie ainsi l’hétérogénéité de la gauche française, et tourne le dos à toutes ces forces politiques, ces militants, ces élus, ces parlementaires, qui mènent leurs actions en adéquation totale avec leurs idéaux. Simpliste, le choix de Dieudonné de se diriger vers ses anciens ennemis était donc bien plus intentionnel que ce qu’il laisse à penser.
Sa rencontre avec l’essayiste Alain Soral, passé du PCF au FN, semble décisive. Tout autant nationaliste qu’homophobe, sexiste que fascisant, le fondateur du mouvement Égalité et Réconciliation s’inscrit dans la droite ligne des propos précédents de Tevanian. Soral est loin de reconnaître les crimes coloniaux, et méprise ceux qui défendent cette mémoire. Il admire le mouvement italien Casa Pound, qui se revendique de Benito Mussolini, et ne masque pas sa fascination pour les néo-nazis grecs d’Aube Dorée. Il œuvre pour un rapprochement entre l’Occident chrétien et le monde musulman afin de lutter contre « l’Empire ». Nul ne sait précisément ce qui se cache derrière ce terme, mais Israël et les États-Unis semblent en être les fers de lance. Musulmans et catholiques devraient s’allier contre les juifs et les protestants. Pourquoi ? Parce que juifs et protestants sont les créateurs du prêt à intérêt. Le prêt à intérêt n’est pas autorisé par le catholicisme ni l’islam, et il est la matrice de la finance mondiale qui permet d’asservir les peuples. Après cette rencontre, Dieudonné s’affiche sans problème avec des cadres de l’extrême droite française, considéré comme « victime » du système politique. Le symbole de ce rapprochement est sans aucun doute sa candidature en 2009 à la tête de la liste « Anti-sioniste », rassemblant à la fois Yahia Gouasmi, directeur du centre Zahra France et dirigeant de la Fédéraction Chiite de France, Alain Soral, mais aussi un cadre du Front National Jeune, un nationaliste catholique…
Sans forcément retranscrire toute l’histoire de Dieudonné, arrêtons-nous sur l’un de ses derniers faits d’arme : une interview, complaisante à souhait, de Serge Ayoub, aka Batskin. Figure des milieux skinheads d’extrême droite, il fut fondateur entre autre des Jeunesses Nationalistes Révolutionnaires et de Troisième Voie (dont je laisse à chacun de vous la liberté de lire leurs faits d’armes). L’interview vient se caler au lendemain de la mort de Clément Méric, étudiant et militant antifasciste de 18 ans, mort sous les coups de skins liés au mouvement d’Ayoub. Clément Méric se mobilisait pour toutes les causes qui lui semblait juste. Il participait aux manifestations parisiennes contre l’islamophobie, notamment la campagne « Mamans toutes égales », aux actions contre le mal logement, pour les sans-papiers, aux rassemblements de soutien au peuple palestinien, etc… Si Dieudonné laisse à Ayoub la possibilité d’expliquer ce qu’il veut, sans jamais être contesté ou remis en cause, il affirme à demi-mot que Clément Méric était proche de la Ligue de Défense Juive : « L’extrême gauche de Méric est, je l’ai découvert à ce moment là (cf. altercation sur un marché parisien entre des militants antifascistes et Dieudonné et son entourage), […] très proche des milieux sionistes, de la LDJ et ce genre de mouvements, plutôt protégé par la police ». L’interview se termine par une brève salutation : « nous avons nos différences, mais nous avons un même ennemi ». Certains s’amusent à noyer le poisson en évoquant les méthodes de lutte, jugées violentes, de certains milieux dits « d’extrême gauche ». Gardons à l’esprit que Serge Ayoub se bat pour une domination de race, un nationalisme exclusif, et plaide pour un régime politique d’inspiration fasciste. Clément Méric se battait pour une suppression des classes, une justice sociale, et contre la diffusion de toutes les idées haineuses, racistes et fascisantes, quelles soient portées par Ayoub, la LDJ ou Dieudonné.
Le mouvement de solidarité avec la Palestine
En tant que citoyen français, nous avons un rôle important à jouer dans notre pays sur la question palestinienne. La France a eut et doit retrouver son indépendance diplomatique afin d’agir, et d’être le fer de lance politique d’une lutte pour l’application stricte du droit international au Proche-Orient. Pour cela, il faut un mouvement de solidarité pour la Palestine qui soit fort, organisé et capable de relever des défis politique. C’est un rapport de force, tout est une question de rapport de force. Celles et ceux qui sont dans le mouvement peuvent en témoigner, les lignes ne sont pas enracinées, elles bougent, elles évoluent. D’année en année, de nouveaux députés nous rejoignent, de nouveaux élus ou simples citoyens partent sur le terrain afin d’œuvrer à une solidarité concrète, à un élargissement du front. Si les droits des palestiniens sont bafoués, c’est à nous de refuser que ceux qui soutiennent ce crime puissent influencer la politique de notre pays. Et eux, ce ne sont ni « les juifs », ni même forcément les « sionistes », mais simplement les soutiens à la politique israélienne. Et ce de la même manière que le mouvement de solidarité avec la Palestine n’est pas composée exclusivement que d’arabes ou de musulmans. Qu’apporte Dieudonné à ce mouvement de solidarité ? Rien.
En s’affichant comme soutien à la cause palestinienne tout en multipliant les dérapages et les provocations, Dieudonné sert les intérêts des soutiens à la politique israélienne. Ces derniers peuvent ainsi aisément mettre dans un même sac antisémites et anti-sionistes. Dans les faits, c’est encore plus clair. En 2004, malgré la désapprobation de Leila Shahid, représentante officielle de l’Organisation de Libération de la Palestine en France, Dieudonné conduit une liste EuroPalestine aux élections européennes. Plus récemment encore, des membres du Parti Solidaire Français (PSF), dont Emmanuelle Grilly – colistière de Dieudonné en 2009 – est l’une des responsables, s’affichaient discrètement dans une manifestation parisienne commémorant l’anniversaire de la Nakba (expulsion des Palestiniens de leur terre en 1948 afin de créer l’Etat d’Israël). Aussitôt démasqués, ils furent chassés du rassemblement par le service d’ordre. Le soir même, le PSF publiait un communiqué critiquant la présence dans la manifestation de l’Union Juive Française pour la Paix, parce qu’ils sont « juifs ». En Palestine comme en France, des Juifs sont engagés aux côtés du peuple palestinien. Le problème n’est pas ethnique, mais politique. Dieudonné aime jouer sur cette frontière en mélangeant l’ethnique, la religiosité, et le politique ; mais le danger intervient lorsque la frontière de l’humour et de la politique n’est plus identifiable, ou plutôt que les deux se trouvent volontairement entremêlés.
Certains lecteurs diront que ces écrits ne sont qu’une leçon de morale « d’un petit gauchiste », du bla bla politique. Au cours de mes lectures, je suis tombé sur une tribune du Parti des Indigènes de la République (PIR) à propos de Dieudonné, intitulée "Houria Bouteldja dénonce le rapprochement de Dieudonné avec l’extrême droite". L’intérêt est que le PIR est sans concession avec la gauche française et son « passé colonial », et ne peut pas être accusé de « solidarité politique » avec quelque partis que se soit. Je vous invite à lire l’article dans sa totalité, tant les mots de sa porte-parole, Houria Bouteldja, sont à ce sujet justes et pertinents. Je retranscris ici quelques extraits : « Nous n’avons pas non plus hésité à discuter avec lui, à le mettre en garde contre les conséquences gravissimes de ses prises de positions pour ce que nous pensions être nos causes communes, l’antiracisme et l’anticolonialisme (dont l’antisionisme est aujourd’hui une composante majeure). Catastrophés, nous l’avons vu, à chaque fois qu’il était l’objet d’une nouvelle campagne médiatique, glisser, déraper, aller toujours plus loin dans l’aberration politique. [...] Le message qu’il communique aux nôtres à travers ses prises de position politiques est extrêmement dangereux : l’extrême-droite est une « victime » du système politique, l’extrême-droite est antisioniste, l’extrême-droite est nationaliste tout comme nous, l’extrême-droite est donc notre alliée « naturelle ». Rien n’est plus faux ! L’extrême-droite n’est pas une « victime » du système politique, elle en est le produit ; elle constitue la tendance la plus dure du racisme français ; l’extrême droite n’est pas antisioniste (certains de ses courants sont pro-sionistes par haine des Arabes, d’autres se déclarent solidaires du peuple palestinien par haine des juifs en tant que juifs) ; quant au nationalisme de l’extrême-droite, c’est un nationalisme parfaitement impérialiste, colonialiste et raciste qui n’a rien à voir avec notre lutte pour la libération nationale des peuples opprimés. En s’alliant avec l’extrême-droite Dieudonné [efface] sans scrupules plus de quarante ans de lutte de l’immigration contre l’extrême-droite ; [il insulte] la mémoire de tous ceux qui se sont battus contre le colonialisme. […] Le combat antisioniste, le combat de Azzedine Elqassam, de Arafat, de Georges Habbache, de cheikh Yassine, le combat anticolonialiste et antiraciste de Mandela, Fanon, Césaire, Malcolm X, Angela Davis, Sankara, Lumumba et bien d’autres est beaucoup trop précieux pour le corrompre aujourd’hui avec une extrême droite française toujours fière d’avoir torturé en Algérie ; une extrême droite qui a organisé des ratonnades contre les arabes et les noirs ; une extrême droite qui dénonce l’islamisation de la France, qui exige toujours plus de répression contre l’immigration et dans nos quartiers, qui justifie la chasse aux sans papiers. Nous n’avons aucun intérêt commun avec ces gens-là. »
Dieudonné est exclut du mouvement de solidarité avec la Palestine. Il ne travaille avec aucune organisation sérieuse, et n’œuvre à aucun projet pour le peuple palestinien. Ses actes ne font que desservir la cause. Je ne parle pas ici d’humour, cela relève selon moi des goûts de chacun, mais de politique. Continuez à soutenir politiquement Dieudonné, le considérer comme un « héros anti-système », tout en prenant publiquement fait et cause pour la cause palestinienne, et vous ne serez, malheureusement, rien de plus qu’un idiot utile aux soutiens à la politique israélienne.