Longtemps prônée comme une valeur sacro-sainte de la démocratie, la liberté d’expression a pris du plomb dans l’aile. C’est le triste constat du tapage médiatique qui déchaine les passions autour du cas Dieudonné depuis plusieurs semaines, sans pour autant trouver de réponse à l’insoluble équation républicaine. À savoir, distinguer la liberté d’opinion de l’injure. Sal gosse, l’humoriste a osé transgresser l’interdit, défiant ses détracteurs à grands renforts de « quenelles ». Un geste a priori humoristique devenu presqu’aussi tabou que le salut nazi, révélateur de la surenchère d’un malaise sociétal étouffant. Si Oscar Wilde affirmait que « vice et vertu constituent pour l’artiste des matériaux de son art », depuis quand le rire devrait-il faire l’objet d’une réglementation ? Le spectacle a beau faire fi de l’éthique, "on peut rire de tout, mais pas avec tout le monde" et surtout sous condition de l’acceptable prédéfini.
Sacrifiée au nom d’une convenance agaçante, la liberté d’expression serait-elle en passe de perdre son statut inaliénable ? Pour devenir « normale », puisque c’est la tendance de fond. Formatée, insipide et par dessus tout incohérente. Car après avoir lynché le grand méchant Poutine d’avoir condamné les Pussy Riot pour « hooliganisme », nous voilà aujourd’hui exactement au même point. L’humoriste prend la foudre, alors que la profanation de l’église de la Madeleine à Paris par une Femen quelques jours avant Noël a été religieusement passée sous silence. Cherchez l’erreur. Que l’on dénonce ou non le discours de Dieudonné, le problème est résolument ailleurs. Quand la bienséance enterre l’opinion – aussi déconcertante qu’elle soit – c’est une dictature autrement plus dangereuse qui pointe à l’horizon. Celle qui rend la masse amorphe et végétative : le politiquement correct.