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Tu n’as pas tellement changé, Marc Lambron

Publié le 10 janvier 2014 par Bouquinovore @bouquinovore
Tu n’as pas tellement changé, Marc Lambron Auteur: Marc Lambron Titre Original: Tu n’as pas tellement changé Date de Parution : 3 janvier 2014 Éditeur : Grasset Nombre de pages : 144 Prix : 15,00€ 14,25€ Commandez: Tu n'as pas tellement changé Commandez: Tu n'as pas tellement changé (Version Kindle) 10,99€ Commandez: Tu n'as pas tellement changé (iTunes) 10,99€
Quatrième de couverture :« Mon frère Philippe est mort le 17 juillet 1995, un peu avant midi, dans une chambre de l’hôpital de Villejuif. Il aurait eu trente-quatre ans une semaine plus tard. C’est le seul frère que j’ai connu, le seul que j’aurai jamais. L’image de Philippe allant vers sa fin n’existe en moi que par la brûlure qu’il a entretenue pendant des années, et qui dure encore. Pour parler de lui, pour aller vers lui, je suis contraint de revenir aux zones qu’il a éclairées et calcinées. Si grand soit l’amour, si fort le passé partagé, mon frère, à partir d’un certain moment, ne m’a plus été sensible que par la blessure. C’est à cette aune que je mesure combien je l’ai connu, combien je l’ai méconnu. On peut retracer de l’extérieur la vie d’un autre ; mais le deuil ne renvoie qu’à soi, oblige à retrouver en soi le souvenir de ce qui fut. »
Extrait Mon frère Philippe est mort le 17 juillet 1995, un peu avant midi, dans une chambre de l'hôpital de Villejuif. Il aurait eu trente-quatre ans une semaine plus tard. C'est le seul frère que j'ai connu, le seul que j'aurai jamais. L'image de Philippe allant vers sa fin n'existe en moi que par la brûlure qu'il a entretenue pendant des années, et qui dure encore. Pour parler de lui, pour aller vers lui, je suis contraint de revenir aux zones qu'il a éclairées et calcinées. Si grand soit l'amour, si fort le passé partagé, mon frère, à partir d'un certain moment, ne m'a plus été sensible que par la blessure. C'est à cette aune que je mesure combien je l'ai connu, combien je l'ai méconnu. On peut retracer de l'extérieur la vie d'un autre ; mais le deuil ne renvoie qu'à soi, oblige à retrouver en soi le souvenir de ce qui fut. Pour la première fois de ma vie, je vais là où il ne faut pas aller. Je sais que la mort des proches s'accommode du silence, parfois jusqu'à la lâcheté. Mais la poisseuse habitude d'écrire me ramenait en décembre 1995 vers les pages où je consignais ces fragments. Un roman était en cours : il n'avançait plus. Au long de ces journées perdues, pleines d'une fatigue désorientée, c'est cela que j'avais besoin d'écrire, par cette nécessité que l'on m'a appris à combattre, et à laquelle je ne résistais plus désormais. Si je trace ces lignes, c'est parce que j'ai peur que l'absence de mon frère - la certitude qu'il ne poussera plus la porte, l'évidence que les silhouettes qui dans la rue lui ressemblent ne sont pas la sienne - ne se redouble d'une amnésie. Philippe m'a été présent par la douleur. En la quittant, en étant abandonné d'elle, je le quitterai lui aussi. Philippe m'était proche et inconnaissable. Pour le retrouver, il me faut toucher, comme dans un miroir brûlant, l'image d'un autre qui a disparu. Et si, contre l'impuissance à comprendre le fond d'un homme, je ne peux répondre qu'en recherchant la trace qu'il a laissée en moi, je n'y peux rien, c'est ma défaite et c'est mon lot.
Je revois cette fin juillet 1987. À l'invitation d'une fondation de Washington, je venais de traverser les États-Unis pendant un mois. La dernière semaine était consacrée à New York. Une chaleur moite, indienne, s'était abattue sur la ville. Un soir où j'appelais Sophie, ma femme, elle me dit au téléphone que quelque chose venait de se passer, qui concernait mon frère. Sa voix me parvenait de l'autre côté de l'Atlantique, comme contrainte, diminuée. Elle refusa de m'en dire plus avant que je ne sois rentré en France. Je n'insistai pas. Il me restait deux jours avant de reprendre l'avion pour Paris. Une inquiétude me saisit, mais diffuse, sans véritable objet. Le lendemain, je passai l'après-midi dans Central Park. Je venais d'acheter un lecteur de cassettes dans une boutique de Canal Street et une bande de Frank Sinatra - l'album de 1967 avec Antonio Carlos Jobim. J'écoutais cette musique lente, sinueuse, embrumée, couché dans l'herbe du parc, pris sous la touffeur asphyxiante de ce jour d'été, vraiment un climat de New Delhi, comme une île du Pacifique avec ses perroquets verts. Un malaise me serrait la gorge, la poitrine, sans que je puisse lui donner de nom. Un feeling de zone, me disais-je à moi-même. Un feeling, c'est un sentiment. De zone, comme zonard, trouble - entre deux eaux. Peut-être est-ce cela que l'on appelle un pressentiment.

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