Pour reprendre sa vie en main, la seule volonté ne suffit pas : il faut mettre en place tout un arsenal de contraintes et motivations, indispensable pour maintenir le cap. 1. La volonté : Nécessaire mais insuffisante Les marathoniens disent que la motivation fait courir les 30 premiers kilomètres, la volonté les 10 derniers. Les thérapeutes, les éducateurs, les parents le savent : impossible de transformer quelqu’un de passif ou résigné. La nature de la volonté reste une énigme pour les philosophes et psychologues. Mais on admet que, plus que la motivation, elle ingère aussi effort, implication et self-control. Elle ne fait pas tout, mais rien ne peut se faire sans elle. 2. Les pensées : Le rôle des représentations Se changer, c’est d’abord changer ses représentations. Telle était la démarche préconisée par les sages de l’Antiquité et reprise aujourd’hui par les thérapies du changement. Il s’agit de transformer ces messages inadaptés de notre petite voix intérieure qui tantôt nous encourage (« soit fort », « tout est possible »), tantôt exprime nos peurs et nos doutes (« je n’y arriverai jamais ») par des messages plus judicieux. 3. L’action : Agir plutôt que tergiverser « Au début était l’action », estime le psychologue Richard Wiseman(1). Pour lui, on accorde trop d’importance au mental (la volonté, les pensées, les tergiversations intérieures) et pas assez aux actions concrètes. Il préconise plutôt de mettre l’action au premier plan. Jetez-vous à l’eau, proclame-t-il dans son livre dont le sous-titre est « Arrêtez de penser à changer votre vie, faites-le » (2013). Le premier pas réalisé amène avec lui de nouvelles pensées, non l’inverse. 4. Les autres : Le poids du groupe Les Alcooliques anonymes ont inventé une méthode de changement personnel qui repose sur le soutien du groupe de pairs. Le principe de base est de s’appuyer sur le groupe : les encouragements, la force des exemples, le partage d’expériences, le regard des autres et l’émulation. Cette action motivante du groupe se retrouve aussi dans les clubs sportifs, l’armée et bien d’autres actions collectives. 5. Les contraintes : Les ruses d’Ulysse S’il n’y avait pas de deadline et de volume imposé, les articles de ce journal ne verraient jamais le jour. Pour contrecarrer les tendances au perfectionnisme (« sois parfait ») ou la procrastination (demain, toujours demain…), les contraintes imposées sont l’un des meilleurs stimulants du changement. Arrimer ses propres aspirations à des obligations extérieures pour que les contraintes prennent le relais d’une volonté défaillante. Telle fut la ruse d’Ulysse se faisant attacher à un mât pour résister au chant des sirènes. 6. Le cadre de vie : Des rites et des rythmes Vous voulez changer ? Déplacez vos meubles, réorganisez votre emploi du temps et éloignez vos amis ! Pour s’entraîner à la course ou écrire un livre, les sportifs ou les écrivains le savent, il faut un lieu propice et des plages horaires définies (et des rituels). C’est le paradoxe, mais le changement appelle l’ordre : inscrire ses projets dans des rites, des rythmes, des routines sanctuarisés, situés à l’écart du monde ordinaire. 7. Les efforts : « No pain, no gain » « No pain, no gain » (« pas d’effort, pas de résultat »). Le changement ne peut reposer sur le seul courage, la détermination et la capacité « à se faire du mal ». Certes. Mais il n’est non plus possible d’atteindre des buts élevés sans une certaine ascèse, impliquant privations, efforts et douleurs : il faut s’y préparer. Les marathoniens le savent bien : la douleur comme la fatigue peuvent se réguler et se dompter. « La douleur est incontournable, la souffrance est optionnelle », dit un précepte bouddhiste. 8. Les récompenses : Après l’effort, le réconfort Le changement exige des efforts qu’il faut récompenser. Après l’effort, le réconfort : un changement durable ne peut s’ancrer sur des frustrations et des privations. L’erreur des novices est l’excès de zèle et l’ascétisme : difficile à tenir au long terme. S’accorder des pauses et des récompenses est un puissant stimulant. Les gratifications surviennent d’elles-mêmes, comme le fait de ressentir un sentiment de fierté après avoir réussi à franchir une petite étape dans son parcours. 9. L’apprentissage : Le changement, ça s’apprend Le changement personnel passe par un ensemble de compétences et techniques qui peuvent s’acquérir. Cette connaissance pratique repose sur la connaissance de soi (« connais-toi toi-même ») et l’acquisition des techniques de changement ? N’étant enseigné ni à l’école, ni dans aucun établissement spécialisé, le marché du changement est laissé au libre marché du « développement personnel » ou livré au tâtonnement expérimental de chacun. 10. Le temps : Donner du temps au temps En matière de régime, on sait que la brutalité produit des réactions inverses à celles escomptées, et produit des retours de bâton tout aussi brutaux. L’erreur est de vouloir changer tout et tout de suite. La précipitation est l’ennemi du vrai changement. La sagesse des petits pas nous dit que l’on peut déplacer des montagnes à condition de le faire pierre par pierre. La voie du changement est également semée d’embûches, faux pas, échecs partiels et découragements. C’est un combat toujours recommencé. La voie du changement n’est ni une marche en avant triomphale ni, comme l’effort de Sisyphe, un éternel retour à la case départ. Cela ressemble plus à un jeu de l’oie, où l’on effectue des bonds en avant et des reculs partiels… Dossier « Reprendre sa vie en main » de Sciences humaines – Novembre 2013 (1) Richard Wiseman, Jetez-vous à l’eau ! Arrêtez de penser à changer votre vie, faites-le, InterÉditions, 2013