Aucun juriste en droit public ne peut, ce soir, se dispenser d'une étude, la plus dépassionnée possible, de la décision rendue par le Juge des référés du Conseil d'Etat. Une décision qui fera couler beaucoup d'encre et suscitera nombre de commentaires. Première analyse de l'équilibre réalisé sous le contrôle du Juge qui n'affaiblit en rien la liberté d'expression.
L'ordonnance de référé du Tribunal administratif de Nantes du 9 janvier 2014 peut être consultée ici. L'ordonnance du même jour du Conseil d'Etat peut être consultée au bas de la présente note.
Prenons garde de ne pas confondre utilité et légalité d'une mesure de police.
La présente note - qui n'est nullement exhaustive - n'a pas pour objet de donner une opinion citoyenne sur l'ordonnance du Conseil d'Etat mais de donner quelques clés de compréhension de cette décision importante, sur le strict plan du droit. A titre personnel, en tant que juriste, il me semble que cette décision est parfaitement fondée en droit et équilibrée. Equilibrée car le Juge des référés du Conseil d'Etat a précisément étudié un équilibre entre plusieurs principes fondamentaux dont la liberté d'expression et la dignité humaine. Car le droit recommande cet équilibre, aucun principe, aussi fondamental puisse-t-il être, ne saurait être à ce point absolu qu'il l'emporterait sur les autres.
Les principes qui sont au coeur du pacte républicain ne sauraient être hâtivement hiérarchisés : le droit de propriété ou la liberté d'expression ont leurs limites, lesquelles sont précisément constituées par le respect d'autres règles et principes. C'est bien à un équilibre entre ces principes que les autorités administratives, notamment de police, doivent veiller, au moyen de mesures nécessaires, adaptées et proportionnées. Un équilibre délicat, qui doit être trouvé cas par cas.
Je ne suis donc pas d'avis que l'ordonnance du Conseil d'Etat créé un quelconque précédent ou, pire, un nouveau régime d'interdiction préventive de spectacles. A l'avenir chaque situation, chaque spectacle, chaque manifestation, chaque évènement continuera d'être examiné en particulier, de manière spécifique, au regard des éléments du dossier dont dispose le Juge de l'urgence.
Si l'ordonnance du Conseil d'Etat me paraît fondée et justifiée, il n'en va pas de même du commentaire que le Ministre de l'intérieur a cru devoir en faire à chaud. Aucun commentaire n'aurait été préférable pour ne pas donner le sentiment que le Conseil d'Etat aurait "donné raison" à un protagoniste d'une sorte de bras de fer qui ne peut avoir lieu. Et il est bien risqué de déclarer que grâce à cette seule ordonnance, le problème serait réglé. Il n'appartient pas au Juge de régler un tel problème de société. La réponse à l'antisémitisme, à la haine intolérable ne peut être constituée, ni d'une circulaire, ni d'une décision de justice.
La décision du Conseil d'Etat ne dispense pas notre société de traiter à bras le corps ce qui constitue en effet une atteinte à la dignité humaine et une menace pour le pacte républicain. Le Juge sera d'un moindre secours que l'éducation, l'histoire, l'information, le débat, la culture et la politique au sens noble.
Au demeurant, il n'est pas interdit de penser que l'interdiction de ce "spectacle", si elle est légale, ne constitue pas nécessairement la meilleure réponse à la question posée qui reste celle de notre capacité à traiter le rejet de l'autre. Mais nous dépassons ici le cadre de la présente note.
Le précédent "Commune de Morsang sur Orge"
Par une décision en date du 27 octobre 1995, le Conseil d'Etat avait annulé le jugement par lequel le Tribunal administratif de Versailles avait annulé l'arrêté par lequel le Maire de la Commune de Morsang-sur-Orge avait interdit la tenue d'un spectacle de 'lancer de nains".
Rappelons ici que la police administrative, notamment exercée par le Maire sur le territoire de sa commune, a un objet préventif, à l'inverse de la police judiciaire qui a une fonction "curative".
Le considérant de principe de cet arrêt, devenu l'un des "grands arrêts de la jurisprudence administrative" est le suivant :
"Considérant qu'aux termes de l'article L. 131-2 du code des communes : "La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publique" ;
Considérant qu'il appartient à l'autorité investie du pouvoir de police municipale de prendre toute mesure pour prévenir une atteinte à l'ordre public ; que le respect de la dignité de la personne humaine est une des composantes de l'ordre public ; que l'autorité investie du pouvoir de police municipale peut, même en l'absence de circonstances locales particulières, interdire une attraction qui porte atteinte au respect de la dignité de la personne humaine ;
Considérant que l'attraction de "lancer de nain" consistant à faire lancer un nain par des spectateurs conduit à utiliser comme un projectile une personne affectée d'un handicap physique et présentée comme telle ; que, par son objet même, une telle attraction porte atteinte à la dignité de la personne humaine ; que l'autorité investie du pouvoir de police municipale pouvait, dès lors, l'interdire même en l'absence de circonstances locales particulières et alors même que des mesures de protection avaient été prises pour assurer la sécurité de la personne en cause et que celle-ci se prêtait librement à cette exhibition, contre rémunération ;
Considérant que, pour annuler l'arrêté du 25 octobre 1991 du maire de Morsang-sur-Orge interdisant le spectacle de "lancer de nains" prévu le même jour dans une discothèque de la ville, le tribunal administratif de Versailles s'est fondé sur le fait qu'à supposer même que le spectacle ait porté atteinte à la dignité de la personne humaine, son interdiction ne pouvait être légalement prononcée en l'absence de circonstances locales particulières ; qu'il résulte de ce qui précède qu'un tel motif est erroné en droit"
Aux termes de ce considérant, le respect de la dignité humaine justifie que l'autorité de police puisse interdire un spectacle, même en l'absence de circonstances locales particulières.
Le précédent "Commune d'Orvault"
Par une décision en date du 26 février 2010, le Conseil d'Etat avait confirmé la suspension de l'exécution d'une décision par laquelle le Maire de la Commune d'Orvault avait refusé à Dieudonné la réservation d'une salle pour la tenue de son spectacle.
La décision précise :
"Considérant, en second lieu, que, lors de l'audience tenue devant le juge des référés du Conseil d'Etat, l'avocat de la COMMUNE D'ORVAULT a fait connaître que celle-ci renonçait au motif tiré de l'atteinte aux bonnes moeurs, au sens du règlement d'utilisation des salles de la commune, pour y substituer ceux tirés, d'une part, des pouvoirs de gestion du domaine communal, qui permettent au maire de prendre des mesures préservant l'intégrité de ce domaine, et, d'autre part, de ses pouvoirs de police générale, qui lui imposent de veiller à la préservation de l'ordre public ; que la commune appelante fait valoir à cet égard que le spectacle de l'artiste Dieudonné était susceptible de donner lieu à des troubles, pouvant en particulier se traduire par des dégradations de la salle communale ;
Considérant toutefois que ces allégations ne sont, pas plus en appel qu'en première instance, étayées par aucun élément, en dehors d'une référence d'ordre général aux polémiques que certaines positions publiques de cet artiste ont pu susciter ; qu'en particulier, il n'est pas soutenu que le contenu de ce spectacle serait par lui-même contraire à l'ordre public ou se heurterait à des dispositions pénales ; qu'à supposer même qu'un risque de désordre ait pu exister, il appartient au maire de concilier l'exercice de ses pouvoirs de police avec la préservation de l'exercice des libertés fondamentales, au nombre desquelles figure la liberté d'expression ; qu'à cet égard, l'impossibilité d'y remédier, le cas échéant, par des mesures appropriées n'est pas davantage établie ; que, dans ces conditions, la décision du 19 janvier 2010, qui revient à interdire la tenue d'un spectacle, constitue une atteinte grave à la liberté d'expression ; qu'en l'absence de tout motif invoqué par la commune de nature à la justifier, cette atteinte est manifestement illégale ;"
Deux éléments sont à retenir.
D'une part, l'absence de preuves. Le Juge, a fortiori le Juge de l'urgence statue au vu des pièces du dossier. Or, au cas présent, le dossier ne comportait pas les pièces suffiantes pour démontrer la légalité de la mesure d'interdiction du spectacle. Il en aurait peut-être été autrement si ces preuves avaient été rapportées par le Maire d'Orvault. En toute hypothèse, contrairement à ce que j'ai pu lire, le Conseil d'Etat n'a bien entendu jamais jugé que l'autorité de police compétence ne pourrait, en aucun cas, interdire un tel spectacle : l'appréciation est bien au cas par cas.
D'autre part, le principe de conciliation. Soulignons de nouveau que le Juge exige une conciliation, un équilibre entre des intérêts, des principes. Notamment celui qui s'attache à la liberté d'expression et celui qui s'attache à la prévention de troubles à l'ordre public.
L'ordonnance du 9 janvier 2014 du Conseil d'Etat
Il ne semble pas nécessaire, pour les besoins de l'analyse, de gloser sur une éventuelle divergence d'appréciation. Le Conseil d'Etat, plus haute juridiction administrative a statué en dernier ressort et c'est bien à l'étude de son ordonnance qu'il convient prioritairement de s'attacher.
Soulignons tout d'abord que nous sommes ici dans le cadre d'une procédure de référé liberté. le ministre de l'Intérieur avait relevé appel, devant le Conseil d'Etat, "de l'ordonnance du 9 janvier 2014 par laquelle le juge des référés du Tribunal administratif de Nantes a suspendu l'exécution de l'arrêté du 7 janvier 2014 du préfet de la Loire-Atlantique portant interdiction du spectacle «Le Mur» le 9 janvier 2014 à Saint-Herblain".
L'ordonnance rappelle tout d'abord qu'une mesure de police soit "nécessaire, adaptée et proportionné" ce qui permet justement de réaliser l'équilibre des principes évoqué plus haut :
"4. Considérant que l'exercice de la liberté d'expression est une condition de la démocratie et l'une des garanties du respect des autres droits et libertés; qu'il appartient aux autorités chargées de la police administrative de prendre les mesures nécessaires à l'exercice de la liberté de réunion; que les atteintes portées, pour des exigences d'ordre public, à l'exercice de ces libertés fondamentales doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées;"
Une analyse qui n'est pas nouvelle mais qui date d'un arrêt du célèbre arrêt "Benjamin" de 1933, visé par cette ordonnance du Conseil d'Etat du 9 janvier 2014. La constance de cette jurisprudence ne saurait donc être mise en doute.
L'ordonnance précise ensuite que le spectacle en cause a déjà été donné et porte bien atteinte à la dignité humaine :
"5. Considérant que, pour interdire la représentation à Saint-Herblain du spectacle «Le Mur», précédemment interprété au théâtre de la Main d'Or à Paris, le préfet de la Loire-Atlantique a relevé que ce spectacle, tel qu'il est conçu, contient des propos de caractère antisémite, qui incitent à la haine raciale, et font, en méconnaissance de la dignité de la personne humaine, l'apologie des discriminations, persécutions et exterminations perpétrées au cours de la Seconde Guerre mondiale; que l'arrêté contesté du préfet rappelle que M. Dieudonné M'Bala M'Bala a fait l'objet de neuf condamnations pénales, dont sept sont définitives, pour des propos de même nature; qu'il indique enfin que les réactions à la tenue du spectacle du 9 janvier font apparaître, dans un climat de vive tension, des risques sérieux de troubles à l'ordre public qu'il serait très difficile aux forces de police de maîtriser;"
Cette analyse est incontestable : le Préfet n'a pas ici interdit la première représentation de ce spectacle de telle sorte qu'il était en effet possible d'apprécier son contenu. Et nul ne peut sérieusement prétendre que le fond de commerce de l'auteur du spectacle porte en effet atteinte à la dignité humaine. Autre élément incontestable : des condamnation pénales pour des faits identiques avaient été prononcées et des "risques sérieux" de troubles à l'ordre public existaient en effet.
Le Juge des référés du Conseil d'Etat n'a donc pas réalisé la même lecture des pièces du dossier que celui du Tribunal administratif de Nantes.
"6. Considérant que la réalité et la gravité des risques de troubles à l'ordre public mentionnés par l'arrêté litigieux sont établis tant par les pièces du dossier que par les échanges tenus au cours de l'audience publique; qu'au regard du spectacle prévu, tel qu'il a été annoncé et programmé, les allégations selon lesquelles les propos pénalement répréhensibles et de nature à mettre en cause la cohésion nationale relevés lors des séances tenues à Paris ne seraient pas repris à Nantes ne suffisent pas pour écarter le risque sérieux que soient de nouveau portées de graves atteintes au respect des valeurs et principes, notamment de dignité de la personne humaine, consacrés par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et par la tradition républicaine; qu'il appartient en outre à l'autorité administrative de prendre les mesures de nature à éviter que des infractions pénales soient commises; qu'ainsi, en se fondant sur les risques que le spectacle projeté représentait pour l'ordre public et sur la méconnaissance des principes au respect desquels il incombe aux autorités de l'État de veiller, le préfet de la Loire-Atlantique n'a pas commis, dans l'exercice de ses pouvoirs de police administrative, d'illégalité grave et manifeste;"
Le "risque sérieux" de "graves atteintes" étant avéré, le Préfet a pris une mesure adaptée qui n'est entachée d'aucune "illégalité grave et manifeste". Les termes ici employés sont importants car le Juge des référés se prononce bien en urgence. D'autres procédures au fond pourront, éventuellement, permettre une nouvelle analyse de la légalité de cette même mesure.
Le Conseil d'Etat n'annule donc pas l'ordonnance du Tribunal administratif de Nantes pour un motif de fond, pour une erreur de droit mais bien parce que son appréciation de la réalité du risque et de la proportion de le mesure de police diffère au vu du dossier.
Cette décision du Conseil d'Etat ne signifie pas que tous les spectacle susceptibles de comporter des propos antisémites ou racistes pourront, systématiquement, être interdits avant leur tenue. Je ne partage pas du tout l'idée que le Conseil d'Etat aurait ici créé un "régime d'interdiction préventive"
Il s'agit bien d'une décision de référé au terme de laquelle le juge s'est efforcé de préserver un équilibre essentiel. Et nul doute que le temps d'une analyse dépassionnée viendra et permettra de se convaincre du bien fondé de cette décision.
Arnaud Gossement
Selarl Gossement Avocats
______________
Conseil d'Etat
Ordonnance du 9 janvier 2014
Ministre de l'Intérieur c/ Société Les Productions de la Plume et M. Dieudonné M'Bala M'Bala
N° 374508
Vu le recours, enregistré le 9 janvier 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, présenté par le ministre de l'Intérieur, qui demande au juge des référés du Conseil d'État:
1°) d'annuler l'ordonnance n° 1400110 du 9 janvier 2014 par laquelle le juge des référés du Tribunal administratif de Nantes, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du Code de justice administrative, a suspendu l'exécution de l'arrêté du 7 janvier 2014 du préfet de la Loire-Atlantique portant interdiction du spectacle «Le Mur» le 9 janvier 2014 à Saint-Herblain;
2°) de rejeter la demande présentée, sur le fondement de l'article L. 521-2 du Code de justice administrative, devant le juge des référés du Tribunal administratif de Nantes par la société Les Productions de la Plume et M. Dieudonné M'Bala M'Bala;
il soutient que:
- le préfet a pu, sans illégalité, procéder à l'interdiction du spectacle à raison de son contenu dès lors que ce dernier est connu et porte atteinte à la dignité de la personne humaine;
- le juge des référés du Tribunal administratif de Nantes a entaché son ordonnance d'une erreur manifeste d'appréciation en estimant que les troubles à l'ordre public susceptibles d'être provoqués par le spectacle n'étaient pas suffisants pour justifier la mesure attaquée;
Vu l'ordonnance attaquée;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le ministre de l'Intérieur et, d'autre part, la société Les Productions de la Plume et M. Dieudonné M'Bala M'Bala
Vu le procés-verbal de l'audience publique du 9 janvier 2014 à 17 heures au cours de laquelle ont été entendus:
- la représentante du ministre de l'Intérieur;
- Me Rousseau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, avocat de la société Les Productions de la Plume et M. Dieudonné M'Bala M'Bala;
- Me Ricard, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, avocat de la société Les Productions de la Plume et M. Dieudonné M'Bala M'Bala:
- les représentants de la société Les Productions de la Plume et M. Dieudonné M'Bala M'Bala;
et à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction;
Vu les autres pièces du dossier;
Vu la Constitution, notamment le Préambule;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales;
Vu le Code pénal;
Vu le Code général des collectivités territoriales;
Vu la Loi du 30 juin 1881 sur la liberté de réunion;
Vu la Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse;
Vu les décisions du Conseil d'État, statuant au contentieux, Benjamin du 19 mai 1933, commune de Morsang-sur-Orge du 27 octobre 1995 et Mme Hoffman-Glemane du 16 février 2009;
Vu le Code de justice administrative;
1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du Code de justice administrative: «Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures» et qu'aux termes de l'article L. 522-1 dudit code: «Le juge des référés statue au terme d'une procédure contradictoire écrite ou orale. Lorsqu'il lui est demandé de prononcer les mesures visées aux articles L. 521-1 et L. 521-2, de les modifier ou d'y mettre fin, il informe sans délai les parties de la date et de l'heure de l'audience publique (…);
2. Considérant que le ministre de l'Intérieur relève appel de l'ordonnance du 9 janvier 2014 par laquelle le juge des référés du Tribunal administratif de Nantes a suspendu l'exécution de l'arrêté du 7 janvier 2014 du préfet de la Loire-Atlantique portant interdiction du spectacle «Le Mur» le 9 janvier 2014 à Saint-Herblain;
3. Considérant qu'en vertu de l'article L. 521-2 du Code de justice administrative, il appartient au juge administratif des référés d'ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une autorité administrative aurait porté une atteinte grave et manifestement illégale; que l'usage par le juge des référés des pouvoirs qu'il tient de cet article est ainsi subordonné au caractère grave et manifeste de l'illégalité à l'origine d'une atteinte à une liberté fondamentale; que le deuxième alinéa de l'article R. 522-13 du Code de justice administrative prévoit que le juge des référés peut décider que son ordonnance sera exécutoire aussitôt qu'elle aura été rendue;
4. Considérant que l'exercice de la liberté d'expression est une condition de la démocratie et l'une des garanties du respect des autres droits et libertés; qu'il appartient aux autorités chargées de la police administrative de prendre les mesures nécessaires à l'exercice de la liberté de réunion; que les atteintes portées, pour des exigences d'ordre public, à l'exercice de ces libertés fondamentales doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées;
5. Considérant que, pour interdire la représentation à Saint-Herblain du spectacle «Le Mur», précédemment interprété au théâtre de la Main d'Or à Paris, le préfet de la Loire-Atlantique a relevé que ce spectacle, tel qu'il est conçu, contient des propos de caractère antisémite, qui incitent à la haine raciale, et font, en méconnaissance de la dignité de la personne humaine, l'apologie des discriminations, persécutions et exterminations perpétrées au cours de la Seconde Guerre mondiale; que l'arrêté contesté du préfet rappelle que M. Dieudonné M'Bala M'Bala a fait l'objet de neuf condamnations pénales, dont sept sont définitives, pour des propos de même nature; qu'il indique enfin que les réactions à la tenue du spectacle du 9 janvier font apparaître, dans un climat de vive tension, des risques sérieux de troubles à l'ordre public qu'il serait très difficile aux forces de police de maîtriser;
6. Considérant que la réalité et la gravité des risques de troubles à l'ordre public mentionnés par l'arrêté litigieux sont établis tant par les pièces du dossier que par les échanges tenus au cours de l'audience publique; qu'au regard du spectacle prévu, tel qu'il a été annoncé et programmé, les allégations selon lesquelles les propos pénalement répréhensibles et de nature à mettre en cause la cohésion nationale relevés lors des séances tenues à Paris ne seraient pas repris à Nantes ne suffisent pas pour écarter le risque sérieux que soient de nouveau portées de graves atteintes au respect des valeurs et principes, notamment de dignité de la personne humaine, consacrés par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et par la tradition républicaine; qu'il appartient en outre à l'autorité administrative de prendre les mesures de nature à éviter que des infractions pénales soient commises; qu'ainsi, en se fondant sur les risques que le spectacle projeté représentait pour l'ordre public et sur la méconnaissance des principes au respect desquels il incombe aux autorités de l'État de veiller, le préfet de la Loire-Atlantique n'a pas commis, dans l'exercice de ses pouvoirs de police administrative, d'illégalité grave et manifeste;
7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le ministre de l'Intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du Tribunal administratif de Nantes a fait droit à la requête présentée, sur le fondement de l'article L. 521-2 du Code de justice administrative, par la SARL Les Productions de la Plume et par M. Dieudonné M'Bala M'Bala et à demander le rejet de la requête, y compris les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative, présentée par ce dernier devant le juge des référés du Tribunal administratif de Nantes;
O R D O N N E:
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Article 1er: L'ordonnance du juge des référés du Tribunal administratif de Nantes en date du 9 janvier 2014 est annulée.
Article 2: La requête présentée par la SARL Les Productions de la Plume et par M. Dieudonné M'Bala M'Bala devant le juge des référés du Tribunal administratif de Nantes, y compris les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative, est rejetée.
Article 3: En application de l'article R. 522-13 du Code de justice administrative, la présente ordonnance est immédiatement exécutoire.
Article 4: La présente ordonnance sera notifiée au ministre de l'Intérieur, à la SARL Les Productions de la Plume et à M. Dieudonné M'Bala M'Bala.