INTERVIEW - Allez, il faut bien l'avouer, Fergessen fait partie de nos chouchous. Alors forcément, quand ils passent près de chez nous, on se réjouit de passer un moment avec eux...
Ma rencontre avec Michaëla et David, du duo Fergessen, fait partie de ces moments que l'on apprécie à fond, autant grâce à leur personnalité ouverte, authentique, chaleureuse et attachante que par l'intensité de la prestation musicale qui a suivi cette interview…
C'est après le soundcheck au Bar Sous-Gare à Yvonand (CH) que j'ai partagé la table de ces Vosgiens d'adoption dans un coin du restaurant (plutôt animé) pour une interview entre bière de Noël, entrecôte et moules-frites…
Lords of Rock : Puisque je vous rencontre à l'occasion d'un concert, comment se passe la tournée pour la sortie de votre second album ?
Michaëla : Bien.
David : Même très bien, on a pas mal de dates et à côté de ça on fait des showcases dans les magasins Cultura qui sont nos partenaires sur la distribution de notre album « physique ».
M: Et puis on fait tout types de concerts, c'est bien, on a joué dans des grandes salles : la première partie de Yodelice il y deux semaines à Besançon et celle de Daran la semaine dernière à Gerardmer. C'était vraiment un grand moment d'émotion parce qu'on est fan, que du bonheur.
Le public vous a bien accueilli à cette occasion ?
M: Ouais vraiment, c'était incroyable, il n'y a pas eu grand chose à faire, c'est parti du tonnerre donc c'était une belle soirée, on était hyper ému… Sinon on fait des cafés-concert aussi, on essaie de bouger beaucoup et d'aller au-devant des gens, là où ils sont.
Avez-vous des scènes de prédilections ?
M: Franchement c'est le mélange qui est vraiment chouette, c'est cool d'alterner les scènes et en plus ça permet de ne jamais s'endormir sur ses lauriers. Ça nous oblige à remanier tout le temps ce qu'on fait, à remettre en question l'ordre des chansons, les versions, car selon les endroits dans lesquels on joue, on a des moyens techniques différents et du coup c'est tout le temps en évolution, en recherche… C'est bien quoi, c'est en mouvement…
Vous avez aussi des musiciens qui vous accompagnent parfois, ceux qui ont enregistré l'album avec vous…
D: Oui, on est cinq parfois, il y a Julien Rousset à la batterie, Pierre Bernard à la basse et Stéphane Bonacci à la guitare électrique et au clavier Rhodes. C'est avec lui qu'on a co-réalisé l'album. Quand c'est possible ils nous accompagnent sur scène.
Il y a un bon feeling, une belle énergie qui passe entre vous ?
D: Oui, on est à peu près tous sur la même longueur d'onde donc c'est plutôt agréable.
M: Et de toutes façons on avait choisi de faire cet album de cette manière-là, avec eux, car sur scène il s'était passé quelque-chose et c'est ça qui nous a donné envie de faire un album assez live et assez nature finalement. Il y a cinq musiciens « point ».
Mais la base des compositions est de vous deux ?
M: Ah oui c'est nous deux, on a tout écrit, composés, on a pré-arrangé les morceaux ; on les a maquettés pour les leur soumettre et on a fini la mise en forme tous ensemble.
Vous les connaissiez de longue date ces musiciens ?
M: Assez oui, David surtout, il les connaissait avant moi car ils sont de Lyon, Pierre et Julien en tout cas, le bassiste et le batteur. David avait eu l'occasion de jouer là-bas souvent et parfois avec eux. Un jour il est revenu, alors qu'on habitait encore à Paris, et il m'a dit : « j'ai trouvé un duo basse-batterie de la mort, bien rock'n'roll, il faut absolument qu'on joue avec eux, c'est eux qu'il nous faut ! »
D: Par contre on a rencontré Stéphane Bonacci un petit peu plus tard, quand on a fait les premières parties de Melissmell, dont Stéphane était en fait le guitariste. On s'est donc rencontré comme ça sur les dates…
M: … et il nous a vu jouer à deux… Il a dit « ah j'aimerai bien jouer avec vous, je suis sûr que je peux amener des choses, votre musique me parle, je veux faire des trucs avec vous ! »… Alors qu'à la base, on ne cherchait pas du tout de cinquième musicien ni de guitariste supplémentaire. Finalement il a amené des choses qui étaient vraiment chouettes et un autre point de vue. Du coup, il nous a permis de ne pas trop nous éloigner, de ne pas trop perdre le cap qu'on s'était fixé car si ça ne tenait qu'à nous deux il y aurait vraiment les montagnes russes dans un même album.
D'où l'importance du regard extérieur ?
M: Exact, mais c'est aussi le cas dans le processus de décision car nous on est quand même super démocratiques : il faut absolument qu'on soit d'accord tous les deux et qu'on ne s'impose rien l'un a l'autre, ça c'est le temps qui nous l'a appris. Pour que ça fonctionne entre nous, il faut que ça marche comme ça. Donc, parfois quand on est pas d'accord, plutôt que de jeter une idée à la poubelle, il y a l'arbitre qui entre en jeu.
Vous diriez que d'écrire à deux c'est plutôt une force ? Par rapport à un groupe qui a souvent un leader…
D: Quand il y a un leader, ça facilite les choses vu que c'est lui qui tranche…
M: C'est aussi souvent pour ça que le groupe éclate ! (rires)
D: Ouais ça dépend… Donc, nous, si on commence par les problèmes, parfois pour trancher, ça demande des heures et des heures de discussion, en revanche, je pense que c'est une force d'être à deux pour composer, car en plus on a la chance d'être très complémentaire. Les points forts de Michaëla peuvent être mes points faibles et ses points faibles souvent peuvent être mes points forts… Donc c'est une chance…
M: Oui et ce qui est plutôt cool, c'est qu'il y a une vraie interaction et ça, ça relance la créativité. Parce que dans le processus d'écriture pure ou de composition, on arrive souvent l'un ou l'autre avec une idée, on se la soumet et il peut arriver que ça tourne souvent dans la cuisine ou le salon pendant quelques mois… Puis d'un coup ça se déclenche… Parfois arrive un moment où l'un ou l'autre va stagner un peu ou être bloqué et l'autre arrive et propose un mouvement différent, un autre rythme, une transition harmonique ou un changement de rythme dans un texte qui, du coup, amène des nouveaux mots alors qu'on était arrêté par une métrique ou ce genre de chose. C'est intéressant car dans la forme de la chanson, ça peut apporter des choses originales, des ruptures, etc… C'est vraiment plaisant mais c'est complexe, ça demande de bien se connaître… d'être patient, tolérant… De beaucoup dialoguer…
Vous êtes donc assez instinctifs dans votre approche de la création ?
M: Ah ouais complètement ! Instinctifs c'est vraiment un terme qui nous correspond bien! Cet album on le voulait instinctif parce qu'au premier on trouvait qu'on avait un peu trop cogité, on avait pris énormément de temps avant de l'enregistrer. Certaines chansons avaient déjà cinq ans et elles avaient été re-maquétées trois fois… Alors que là – on l'a voulu d'ailleurs comme ça – on a accumulé de la matière, très peu enregistré, à peine utilisé un téléphone portable pour se souvenir, afin d'avoir une trace d'une structure, des voix, ou des mots etc… En fait on a donc vraiment attendu le dernier moment pour les enregistrer de la manière la plus instinctive, la plus naturelle possible… Après les maquettes, l'enregistrement définitif était finalement très proche. Se sont juste rajoutées des fioritures, du coup pour nous il n'y pas de lassitude. Certaines chansons ont vraiment reçu la touche finale de la composition ou des textes en studio donc elles sont vraiment nouvelles !
C'est frais !
D: Oui c'est frais ! Ça nous laisse ainsi le plaisir, comme on tourne beaucoup, de redécouvrir les morceaux sur scène. On peut donc faire des versions un peu nouvelles ou différentes presque à chaque date et ça nous laisse une vraie liberté ! On n'est pas lassé de ces chansons et on est contents de les jouer alors que souvent, quand tu sors de studio, tu peux en avoir un peu ras-le-bol de tes morceaux ! Là on a la chance que ce ne soit pas le cas !
M: En plus, comme on disait tout à l'heure, jouer tous types de dates à deux, trois, quatre ou cinq musiciens, en changeant de formule régulièrement, fait que les chansons vivent vraiment et que chaque concert leur apporte encore un petit quelque-chose. C'est très vivant oui.
Si on en vient à vos formations ou bases musicales, vos influences… On entend bien qu'il y a une certaine maîtrise dans ce que vous faites malgré le côté instinctif…
M: Oui, en même temps il y a un vrai instinct car sincèrement on n'est pas des virtuoses, ça c'est clair, si tu l'as pas encore entendu, tu vas l'entendre tout à l'heure (rires)… Moi j'ai eu une formation musicale étant très petite, à six je savais déjà que je voulais faire de la musique ! J'ai fait un peu de violon, un peu de piano mais juste sur un an, après quoi un peu de conservatoire pendant deux ans vers seize ou dix-sept ans pour le chant et après plus rien, tout le reste c'est vraiment de l'instinct. La guitare j'ai commencé y'a cinq ans quand on a fait Fergessen et je ne savais pas ce que je jouais, je ne sais jouer que nos morceaux… Après, le fait de jouer avec d'autres musiciens inclut de savoir un minimum le langage musical pour pouvoir communiquer mais ça s'arrête là. Dans notre manière de composer, la musique n'est pas mathématique… David lui a un parcours différent…
Vous êtes complémentaires, toujours…
D: Oui (rires) ! Moi en fait j'ai commencé à faire de la musique et quasiment instantanément à jouer en groupe, je devais avoir treize ans. Au départ je voulais être batteur mais comme je n'avais pas les moyens de m'acheter une batterie et que tous mes potes me disaient qu'a priori j'avais une belle voix – à l'époque on était très indulgents (Michaëla rit) – j'étais donc le seul à être capable, selon eux, de tenir un micro… Puis j'ai eu de plus en plus envie de travailler seul sur la composition et l'écriture, car en groupe c'est quand même assez difficile à la longue… Jusqu'au jour où j'ai rencontré Michëla, qui est une des rares personnes, pour ne pas dire la seule actuellement, avec qui je puisse travailler.
M: Bon mais lui à la base, il a quand même appris le chant et travaillé…
D: Oui j'ai travaillé le chant parce qu'à l'époque je faisait du metal et j'avais un très bon pote qui s'était fracassé la voix. J'avoue que ça m'a fait assez peur et je me suis dit : « je n'ai pas envie qu'il m'arrive la même chose ». Du coup j'ai pris des cours pour maîtriser un peu la technique et éviter de me faire mal car je me vois bien chanter et être sur scène jusqu'à la mort. Etant donné que je ne sais pas faire autre chose, il faut quand même réussir à préserver cet organe qui est vital.
Qui est-ce qui vous a donné le déclic pour vous lancer dans une carrière en musique ?
D: Moi c'est le groupe Queen, avec Freddie Mercury, qui m'a vraiment donné envie de chanter, de monter sur scène, de m'éclater avec la musique.
M: Mon premier amour en musique ça a été Simon & Garfunkel, c'est marrant parce qu'il y avait déjà les deux voix, les harmonies vocales, et ça m'a vraiment transpercée depuis toute petite. Ça ne m'a jamais quitté voilà… Après il y a eu la musique noire américaine, le gospel, et tout ça mêlé m'a amené là.
Vous êtes donc un couple à la scène et à la ville, vous êtes si fusionnels… C'est beau de pouvoir tout partager avec la personne avec qui on passe sa vie ?
D: C'est pas facile hein, je te garanti que c'est pas simple…
M: Surtout en ce moment !
Y'a les deux côtés… Vous êtes très pris par la tournée, ça amène de la fatigue, de la tension ?
M: Exactement, tu l'as compris comment ? (rires) C'est pas tellement la tournée en fait… Là cet album on a vraiment choisi de le faire en autonomie complète, en parfaite indépendance… (ndlr : financé par le biais de la plateforme KissKissBankBank) On tire toutes les ficelles, on est maîtres… Il y a des gens qui bossent avec nous, des partenaires, mais on a choisi les personnes dont on s'est entouré, on a pris le temps et aussi laissé venir à nous les gens… on ne voulait pas sans arrêt frapper à toutes les portes. On a donc une somme de travail et des responsabilités qui sont énormes et ça implique aussi de travailler en équipe sur plein d'autres choses pas très agréables comme tout ce qui est le secrétariat, les démarches…
D: et là je me tape tout le travail ! (rires)
M: C'est donc une nouvelle facette qu'on découvre ensemble et c'est vrai que parfois on est un peu à cran, on se prend la tête parce qu'on n'est pas toujours d'accord… C'est difficile de bien huiler la machine et de trouver, là aussi, la bonne manière de former le tandem idéal, d'être efficace dans le travail. Comme on a vraiment tous nos oeufs dans le même panier, on est engagé l'un envers l'autre, il faut être à la hauteur des objectifs qu'on se fixe et donc ça peut être un peu folklore mais on s'en sort bien…
Et ça fonctionne malgré la pression, l'incertitude de l'avenir ?
M: ça franchement on n'y pense pas trop…
Votre vision pour la suite ?
M: On a plein de projet…
D: C'est vrai qu'on a plein de projets et surtout on se laisse une possibilité de répondre « oui » à toute proposition, à toute ouverture… Un des principes fondamentaux de notre façon de faire est le mouvement, toujours être en mouvement, toujours être réceptifs aux autres, aux propositions. On a donc plein de projets mais, si ça se trouve, ceux qu'on a ne se feront pas et d'autres choses arriveront… En tout cas on a envie de voyager, ça c'est clair !
M: On a envie de parcourir l'Europe, la francophonie…
D: L'avantage c'est qu'on peut se déplacer assez facilement tous les deux, justes avec nos guitares. On peut aller jouer un peu partout, aussi bien dans des grandes salles de spectacle que…
M: que chez toi dans ton salon… (rires), ça on le fait…
D: On est ouvert à tout ça, donc a priori l'avenir nous réserve de belles surprises !
M: On a ce projet en Suède… (elle regarde David) Est-ce qu'on peut en parler déjà ou pas ?
D: On peut en parler, après il n'y a rien de sûr…
M: En fait on va peut-être – peut-être – aller enregistrer un EP en Suède, dans un studio suédois, avec des musiciens suédois qu'on rencontrera en arrivant. C'est un projet un peu fou mais c'est une proposition qu'on nous a faite et qu'on trouve vraiment intéressante… Il y a carrément un road movie à faire et voilà, Inch'Allah quoi !
Ce qui est beau c'est que vous êtes ouverts et que vous faites confiance à l'avenir… Le hasard fait-il bien les choses ?
D: Souvent ouais ! En tout cas si tu restes ouvert et positif, le hasard fait bien les choses ! On a envie de rencontrer du monde ! Dès que quelqu'un vient nous parler, nous propose quelque-chose, on étudie toujours la question et on reste ouvert le plus possible, effectivement. Dans ces périodes un peu troubles (rires), je pense que l'ouverture à l'autre ne peut faire que du bien !
M: ça c'est clair oui ! C'est une bonne conclusion…
fergessen interview2014-01-09Damien Rodrigues