Scarlett Jesus a lu « Boulevard Maritime », le dernier polard de Michèle Robin-Clerc

Publié le 09 janvier 2014 par Halleyjc

A BASSE-TERRE : le Boulevard Maritime, nouveau « boulevard du crime » ?

La sortie toute récente de Boulevard Maritime, de Michèle Robin-Clerc, fait suite à son premier roman Au vent des fleurs de canne. Treize ans après nous y retrouvons l’inspecteur Georges Boucher qui enquête sur une nouvelle mort suspecte.

Ces seuls indices suffiraient à confirmer le sous-titre de cet ouvrage, « roman policier ». Mais l’intrigue policière, si elle prétend relever de la fiction par la complexité des fils et des faits qu’elle entremêle, se plaît à mettre délibérément côte à côte le vrai et le faux. Au point que le lecteur doute de ses repères. Le code du policier vacille, cédant la place à un « roman contemporain », hybride. Un roman qui est non seulement réaliste par une multitude de références et la cartographie auquel il renvoie, mais qui renforce la véracité du récit par de nombreuses explications techniques relevant alors de l’écriture journalistique d’un documentaire. Mais un roman dans lequel le sérieux de la progression dramatique cède parfois la place au rire et à la satire carnavalesque. Avec, plus rarement, dans certaines descriptions, la présence perlée de quelques métaphores poétiques, véritables petits joyaux cachés.

Boulevard Maritime est donc un roman contemporain qui nous plonge dans la Guadeloupe d’aujourd’hui pour rendre compte de sa réalité sociale : ce qui la travaille en profondeur, de façon plus ou moins occulte, et ce qui est en train de la métamorphoser.

Comme pour les attelages de boeufs-tirants sur lesquels le roman s’ouvre, la société guadeloupéenne semble avoir héritée d’une fascination pour ce qu’incarne le taureau. A la fois force physique renvoyant à un véritable culte de la virilité, mais aussi force de travail sur lequel, comme ce fut le cas pour l’esclave, peut s’exercer un pouvoir de domination afin d’être socialement un « gagnant ». En lice donc deux hommes pour lesquels la compétition sportive (club du Moule contre celui de Morne-à-l’Eau) se double d’une compétition politique (un candidat PLG, « Parti libéral guadeloupéen) contre un candidat EAG, « En avant la Guadeloupe »). On passe alors sans transition d’un concours de boeufs-tirants à une « compétition » électorale. Mais, comme dans une tragédie grecque, l’hybris ou manifestation de l’orgueil, est condamné par les dieux et finit toujours par être puni. D’autant qu’à cela peut aussi s’ajouter la colère du Dieu de l’Ancien Testament envers celui qui n’aurait pas respecté les interdits que ce soit celui relatif à l’adultère (« La femme de ton voisin tu ne convoiteras ») ou le sixième commandement qui ordonne « Tu ne tueras pas ».

Le roman s’ouvre sur une première mort, accidentelle, dont on ne reparlera plus, mais qui, placée à l’incipit du récit, revêt une fonction emblématique en annonçant une autre mort sur laquelle se construit le roman. Celle d’une chute, brutale, de celui qui aurait dû être le vainqueur des élections, comme le jeune Samy aurait dû être celui du concours de boeufs tirants. Cette première mort fonctionne aussi comme un leitmotiv musical, le motif réapparaissant à plusieurs reprises, afin de rendre compte du climat de criminalité qui règne actuellement en Guadeloupe. D’abord furtivement, avec l’évocation d’un personnage, Rassapin, qui lutta de toutes ses forces contre un de ses propres taureaux qui l’attaqua ; ou encore avec celle de ce commerçant de Pointe-à-Pitre exécuté pour ne pas avoir baissé son rideau le jour de la commémoration de l’esclavage.

Le « polar » proprement dit débute donc avec la découverte, dans une posture des plus grotesques, d’un mort. Un mardi 13 mai. S’ensuivra une nouvelle mort, celle du complice et témoin gênant, et se clôturera, à l’issue d’une course poursuite dans des canalisations souterraines, par la mort du coupable. Une mort relevant d’une théâtralité et d’un panache parfaitement conformes à la façon dont vécu le meurtrier. Qui –pouvait-il en être autrement ?- appartenait aux hautes sphères politiciennes locales. Lequel profitait de son statut pour détourner la loi au profit de magouilles troubles.

Menant alors son enquête, le commissaire Boucher va néanmoins prendre tout son temps, histoire de promener son lecteur d’une commune a l’autre, d’une classe sociale à l’autre, et d’un lewoz aux Abymes jusqu’aux installations d’une sablière à Gourbeyre. N’hésitant ni à pénétrer la salle de dissection du CHU, ni à se rendre au cimetière de Morne-à-l’Eau. L’occasion, pour ce commissaire doté d’une solide culture et jamais à court de citations appropriées, de se moquer de certains patronymes (ou même prénoms), de l’orthographe très approximative d’un menu, des goûts de luxe et du soin porté à son apparence extérieure par la population, mais aussi d’évoquer les mille et une plaies qui accablent la Guadeloupe actuelle : les difficultés de stationnement au CHU, les barrages routiers et les entorses en tous genres faites à l’égard de la loi (y compris par le commissaire lui même), sans oublier l’intérêt porté à l’égard des armes à feu. Le réalisme de cette satire sociale trouve toute sa mesure dans l’image que le roman renvoie des rapports que les hommes entretiennent avec les femmes : épouses trompées, maîtresses interchangeables, mineures séduites, femmes battues et parfois même tuées.

C’est sur un quiproquo portant sur le statut de la femme au foyer, exemple de citation de Montaigne à l’appui, sensé illustrer le rôle de Michèle Obama, que le récit rebondit aux toutes dernières pages.

Sur une ultime frayeur du commissaire : celle de se retrouver obligé de vivre en solitaire, sa femme l’ayant quitté. Un ultime clin d’oeil à un personnage, celui du « héros solitaire ». Et une nouvelle preuve que ce petit « polar » se joue allègrement des stéréotypes littéraires ou cinématographiques.

Pour notre plus grand plaisir, mais aussi pour éveiller nos consciences.

Scarlett Jesus, critique littéraire et critique d’art
Membre d’AICA sud Caraïbe