Newsweek et la chute de la Maison France

Publié le 09 janvier 2014 par H16

Quand ce n’est pas la Perfide Albion qui tacle méchamment la Patrie Des Droits de l’Homme et le Phare de l’Humanité, ce sont les Américains qui s’en chargent bien volontiers. On se souvient qu’il y a un peu plus d’un an, une Une particulièrement critique de The Economist avait déclenché un prurit violent chez nos politiciens outrés de découvrir qu’on osait faire du french bashing à ce niveau là. Bien évidemment, aucune leçon n’en avait été tirée, et le frétillant vendeur de tapis ministériels, Arnaud Montebourg, avait même tenté l’humour (exercice périlleux dans lequel il n’est pas trop doué) en qualifiant l’hebdomadaire anglais de Charlie Hebdo de la City. Puis tout était redevenu calme.

Par calme, je veux bien entendu dire que le gouvernement avait continué les mêmes idioties qu’il lui était reprochées dans l’article, les débats de fonds ont continué à être soigneusement évités, les réformes scrupuleusement enterrées et les réajustements budgétaires drastiques très vite oubliés. Bref, business as usual comme on dit lorsqu’on parle franglish. Et voilà qu’en ce début d’année, une journaliste américaine relance le bastringue avec un article paru dans Newsweek, sobrement intitulé « The Fall Of France » que même nos politiciens, pourtant si embarrassés devant la langue de Shakespeare, sont parvenus à comprendre immédiatement.

Damned, l’article n’est pas tendre ! En quelques paragraphes méchamment écrits dans une langue parfois totalement imperméable aux journalistes français qui l’analyseront rapidement plus tard, la journaliste constate l’état général de déliquescence du pays, son chômage massif, son exode des cerveaux, ses zacquis sociaux bien trop coûteux, son État omniprésent et ses élites totalement déconnectées de la réalité à commencer par un François Hollande délicieusement rétro. Bien évidemment, c’est parfaitement intolérable pour les politiciens et cette frange de la population auto-déclarée élite de la nation qui se sont immédiatement offusqués de cette réalité, jetée à leur face sans prévenir.

Heureusement pour eux, l’article a été écrit en enrobant les remarques les plus justes dans une crème épaisse de poncifs plus ou moins débiles et de contre-vérités douteuses. Grâce à celles-ci, Najat Vallaud-Belkacem et Pierre Moscovici (d’ailleurs brocardé dans l’article) ont pu lui sauter dessus à pieds joints, ragaillardis qu’ils étaient de voir la foule de leurs compatriotes, bien rengorgés de leur propres certitudes, les accompagner dans la contre-offensive qui fut ensuite menée (article du Monde en tête). Ouf. Grâce aux remarques ironiques (comme celle sur le mot « entrepreneur » qui n’existerait pas en français) et à ces approximations, on va pouvoir démonter du Yankee ou de l’Anglaise à peu de frais (et ce sera même à portée d’un minustre ou d’un journaliste, c’est dire) ; le service après-vente peut alors prendre le relai sur tous les bons sites de France, qu’ils fussent de droite ou de gauche.

Outre l’évident plaisir un tantinet patriotique que certains se feront à démontrer à quel point il est difficile de se procurer du lait à 5.88€ le litre, la presse trouvera en tout cas un avantage certain à secouer un peu le débat, d’autant que, de l’autre côté, Newsweek remet rapidement les couverts devant les réactions outrées de tout ce que le pays compte d’éminents défenseurs ; et puis ça tombe bien : Newsweek aurait, dit-on, envie de relancer une version papier dans l’hexagone, et cette polémique aura au moins le bon goût de replacer son nom dans les têtes françaises ; un peu de soufre sur un nom, cela fait vendre, n’est-ce pas ?

Cependant, le souci tant avec le French Bashing mal torché de Newsweek qu’avec les réactions aussi outrées que rigolotes d’un Mosocivi ou périplaquistes à la Le Mâonde, c’est qu’il permet à ceux qui se sentent morveux de se moucher avec la main du voisin, ou, pour le dire autrement, de compter les tiques de l’éléphant en essayant d’oublier qu’il s’est assis au milieu du salon. Alors, oui, certes, on peut bien tenter, comme le fait de façon assez consternante l’article du Figaro, de répondre à l’humour polyglotte initial (qui a fait mouche, très manifestement) en notant la mauvaise traduction littérale de « to be continued » (sans capter le clin d’œil pourtant évident à la nullité des Français en langues) et en concluant par un idiome anglais, démontrant amplement que la blagounette sur les entrepreneurs était restée parfaitement opaque à la plupart des critiques. Mais ce faisant, on oublie la forêt pour l’arbre (et on se le prend quand même en pleine figure au passage).

Parce qu’en réalité, des articles critiques sur la France, vue depuis l’étranger, il y en a un paquet ; et que ce soit en allemand, en anglais ou dans ces autres petits dialectes exotiques rigolos du reste du monde mal éclairé par le Phare de l’Humanité, nombreux sont ceux qui, lucides et argumentés, arrivent aux mêmes exactes conclusions de celui de Newsweek : tous remarquent un déclin de plus en plus rapide et prononcé de ce pays. Or, ce message, celui d’un déclin évident de la France, celui d’une perte de compétitivité, d’attractivité, celui d’un délitement général du pays par le haut, via ses élites, ce message ne passe toujours pas, aussi argumenté soit l’article, aussi calme et factuel soit l’éditorialiste. La sonnerie retentit, les feux de signalisations se mettent à clignoter au rouge, les barrières s’abaissent, … mais le train ne passe décidément pas.

Et devant ces articles qui arrivent aux mêmes conclusions, aucun de ces politiciens ou de ces journalistes partis à la bataille contre les méchants yankees et vilains britons ne voit qu’ils sont écrits par des auteurs qui sont a priori plutôt favorables à la France, qui y ont vécu longuement ou y vivent encore, que ce sont des gens qui admirent (ou admirèrent) ce pays. Or, cette critique, venant de personnes qui ont un penchant très favorable pour le pays, devrait être analysée pour ce qu’elle est et non pour ce qu’elle provoque comme prurit chez les patriotes en culotte courte.

Et plutôt que s’exciter sur les traductions françaises littérales à dessein ou sur le prix supposé du lait, les fines plumes du pays, ses meilleurs penseurs et ses excellents politiciens devraient plutôt se demander ce qu’il y a de pire : quelqu’un qui vous dit « vous vous fourvoyez » ou quelqu’un qui se fourvoie et hurle dès qu’on lui en fait la remarque ? À qui doit-on le plus faire confiance : à ces politiciens qui crient à l’outrage alors que chacune de leurs actions montre qu’ils poussent le pays tous les jours un peu plus dans le fossé, ou aux auteurs de ces papiers piquants qui, voyant les choses de l’intérieur avec leurs yeux d’étrangers ou de l’étranger de leurs yeux d’expatriés constatent un délitement de plus en plus grave ? Lesquels sont les mieux placés pour juger : ces politiciens, ces journalistes qui vivent et bénéficient dans les grandes largeurs d’un système qu’ils ont créé et entretenu aux dépends de tout le reste du peuple ou ces étrangers qui décrivent, maladroitement parfois, ce qu’ils voient et ce qu’ils croient, et dont les arguments sont corroborés tant par les chiffres économiques, le nombre croissant d’expatriés ou la mauvaise ambiance générale du pays actuellement arcbouté sur des quenelles de clochers ?

Et surtout, qu’y a-t-il de pire : l’image de la France renvoyée par ce genre de vilains articles légèrement abrasifs ou l’image que la France renvoie elle-même au monde lorsqu’elle laisse impunis ceux qui séquestrent des patrons ? Messieurs les outragés, messieurs les politiciens, messieurs les journalistes qui rapportez les propos d’un Mailly qui ne voit pas de problème à la séquestration d’individus pour des motifs syndicaux, quelle image croyez-vous renvoyer ? Parce qu’actuellement, pendant que vous quenellez et que vous bataillez contre Newsweek, de pleins articles sur le Financial Times ou Business Week sont consacrés à l’accueil qui est fait aux patrons d’entreprises en France…

Quelle image croyez-vous que la France renvoie lorsque Reuters annonce que le Printemps aussi va se retrouver traîné en justice pour avoir offert du travail le dimanche dans un pays qui compte 5 millions de chômeurs, pardon 5.5 millions comme insiste de le préciser Le Monde dans son pathétique listing des erreurs newsweekesques ? Quelle image renvoie la France lorsque sa police place en garde à vue deux gamins qui font un signe débile ?

Vous voudriez nous faire croire, messieurs les journalistes pinailleurs, les patriotes à la glotte vibrante, les politiciens outragés, que ces articles de Newsweek, tout ce méchant french bashing, c’est du pipeau, vraiment ? Sérieusement ?

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