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Cas Dieudonné. Cette lutte touche à la démocratie, à la République et à l’universel

Publié le 09 janvier 2014 par Forrestgump54

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Comment réagir au mieux face à l’antisémitisme et aux provocations de Dieudonné ? Par Jean-Claude Lefort. Le ferme débat engagé contre les paroles et les actes de Dieudonné peut être salutaire, à condition d’éviter tout raccourci ou, pire, les amalgames.
Les questions posées sont sérieuses. Elles doivent être l’occasion d’opérer des clarifications nécessaires, tant existent des volontés de brouiller les cartes aujourd’hui. Cette clarification n’a qu’un seul but et il devrait rassembler. À savoir, poser des actes ou prendre des mesures pour que les deux termes de l’équation qui est en jeu en sortent renforcés : la lutte contre toute forme de racisme, d’une part ; la protection de la liberté d’expression, d’autre part.
Pour quiconque suit objectivement les faits, les gestes et les propos de Dieudonné, la chose ne peut prêter à aucun doute possible : son antisémitisme est patent. Il est inacceptable. Le racisme, redisons-le avec force, n’est pas une opinion mais un délit. Nous le condamnons par principe absolu, non discutable, mais aussi par nécessité politique : il nuit terriblement à la cause du peuple palestinien. Même si Dieudonné fait mine de s’en réclamer.
Ses propos ont été condamnés par la justice à de nombreuses reprises. Et la loi doit passer sans la moindre mansuétude.
Mais les actes de Dieudonné, et plus spécialement sa « quenelle », doivent être éclairés si on veut rendre lisible et acceptable par la société toute mesure, politique ou autre, visant à en réduire l’usage jusqu’à l’anéantir. De ce point de vue, beaucoup de personnes, spécialement les jeunes, ne sont pas au diapason des condamnations justement formulées contre cette honteuse « quenelle » dont le sens, pourtant indiqué par Dieudonné en personne, ne laisse aucune équivoque. Je m’interdis d’ailleurs de le rappeler ici tellement il est ignoble. Nombreux sont les jeunes, encouragés par l’ambiguïté dont joue Dieudonné, qui n’y voient pourtant qu’un simple geste à la signification d’« antisystème ».
D’aucuns y voient la résurgence, sous une autre forme, du salut hitlérien, lequel n’est pas passible des rigueurs de la loi en France alors que le port public de signes nazis est interdit et sanctionné. Comme en écho direct avec le procès de Nuremberg. Faudra-t-il modifier ou clarifier la loi sur ce point ? En Allemagne et en Autriche, une loi existe interdisant le salut nazi. Ici, la tâche serait certainement difficile car il ne s’agit pas d’un salut nazi stricto sensu.
En tout cas, il faut éclairer politiquement la signification de ce geste, dont s’enorgueillit avec jubilation l’extrême droite, qui n’a rien de banal, ni d’antisystème, afin d’isoler ses protagonistes et d’anéantir autant qu’il est possible son utilisation. Le fait qu’il soit souvent produit devant des lieux de mémoire qui concernent directement les juifs doit être mis en exergue sans atermoiements, ni la moindre hésitation.
Mais il faut être clair : ce ne sont pas seulement les juifs qui sont concernés par ce sujet et ce combat car c’est toute notre civilisation qui est visée, ainsi que les valeurs de la démocratie et de la République. Ce n’est pas un combat à sanctuariser. Il touche à l’universel.
Nous sommes donc, dans ce cas, dans le cadre de la lutte conte le racisme, qui, encore une fois, n’est pas une opinion mais un délit. La liberté d’expression est justement encadrée. Et comme le rappelle avec constance la Cour européenne des droits de l’homme : « Tout ce qui n’est pas interdit est autorisé. »
À cet égard, le débat ouvert à propos du cas de Dieudonné peut être salutaire. Car, en vérité, d’aucuns veulent s’en prendre non plus au racisme et renforcer nos instruments juridiques, mais cherchent à « profiter » de cette situation pour interdire la critique et l’action contre la politique des dirigeants israéliens. Ils veulent parvenir à ce que la critique de cette politique devienne taboue et relève du racisme. Et là, non ! On glisse plus que dangereusement. On rend inaudible et on dévalue, sinon on délégitime, le combat évoqué qui est à mener contre toutes les formes de racisme.
C’est pourtant ce qu’a fait en son temps une certaine ministre de la Justice, madame Alliot-Marie, qui, dans une circulaire toujours actuelle, a purement et simplement assimilé l’appel au boycott des produits issus des colonies israéliennes ou en provenance d’Israël comme un appel à la « discrimination » raciale. Elle a dévoyé, pour cela, l’article 24 de la loi de 1881 et l’article 225 et suivants du Code pénal. Ces lois sont fort pertinentes, qui pénalisent justement les actes ou appels contre « un individu ou un groupe d’individus » à raison de leur appartenance à une « race, une nation, une ethnie », etc. Contre une ou des personnes et non pas contre un ou des produits.
Le boycott a été lancé à l’appel de la société civile palestinienne vers l’opinion publique mondiale dans une optique unique et claire qui ne peut souffrir d’aucune autre justification : il s’agit d’agir de manière pacifique contre la politique d’occupation des dirigeants israéliens. Et cela, non pas pour toute l’éternité, comme si Israël était intrinsèquement pervers, mais durant un temps précis et déterminé : jusqu’à ce que les dirigeants israéliens appliquent le droit international. C’est clair et net, et ne peut avoir pour nous d’autre fondement.
Il n’y a donc rien, de toute évidence, de raciste ou d’antisémite dans ce cas. C’est purement et simplement politique. Ou alors il faudrait qu’on dise que les mêmes lois auraient dû s’abattre, durant le très long combat contre l’apartheid, à l’encontre des tenants du boycott contre l’Afrique du Sud. Qui oserait affirmer aujourd’hui que ce fut un boycott anti-Blancs, en quelque sorte ? Ce fut un combat contre un système et non contre des individus. Et à l’époque aussi, d’aucuns étaient pour cette action de boycott et d’autres s’y opposaient.
C’était une question d’appréciation et de positionnement politiques. Mais ce fut un beau combat politique, un combat utile et décisif, ainsi qu’il a été rappelé par les autorités françaises au moment de la disparition de Nelson Mandela.
On ne peut laisser, sans danger, perdurer la confusion entre antisémitisme et action politique, confusion qui est au cœur même de la circulaire Alliot-Marie. On ne saurait admettre que l’antisémitisme soit instrumentalisé pour disqualifier et criminaliser ces appels au boycott dès lors qu’ils sont clairs et ne concernent que la situation politique au Proche-Orient.
Si on ne prêtait pas l’attention nécessaire à ce sujet – et si devait encore courir la circulaire Alliot-Marie –, alors c’est la lutte contre l’antisémitisme elle-même qui en souffrirait. On ne voit que trop à quel point le soutien absolu et systématique porté par d’aucuns à la politique israélienne nuit au combat contre l’antisémitisme. Des voix s’élèvent en ce sens. Car il s’agit de deux choses absolument différentes qu’on ne peut mélanger, sauf à retirer au concept d’antisémitisme toute portée réelle. Considérer qu’Israël est ou serait un État à part et différent des autres, hors toute critique politique possible, serait, en ce sens aussi, gravissime.
C’est pourquoi le débat actuel fournit l’occasion d’une saine et ferme clarification.
Une nouvelle circulaire de la garde des Sceaux s’impose. Elle viendrait enfin clarifier et renforcer la lutte contre toutes les formes de racisme en garantissant la liberté d’expression dont doivent jouir tous les citoyennes et tous les citoyens dans notre République.
C’est un vœu – et même plus que cela – que je formule au seuil de l’année nouvelle.

Par Jean-Claude Lefort, Député honoraire, Président d’honneur de l’Association France-Palestine Solidarité (AFPS).


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