Le 18 décembre 2013, la Commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale a rejeté l'article 84 bis du projet de loi ALUR (Accès au logement et urbanisme rénové) qui comportait une réforme substantielle du droit applicable aux sites et sols pollués.
Pour un exposé des enjeux et du contenu de cette réforme, je vous propose la lecture de cette note. Je vous recommande également la lecture du compte-rendu des débats en commission des affaires économique reproduit au bas de cette note et consultable ici.
Il s'agit d'un projet ancien, dont la principale mesure consiste à aménager le principe pollueur payeur de manière à inscrire le principe du "tiers payeur". Le projet, au départ discutable, avait évolué de manière à encadrer les conditions du transfert de l'obligation de remise en état, de son débiteur de premier rang vers un tiers ("tiers-payeur").
Reste qu'il était étrange que cette importante réforme qui touche à l'un des principes directeurs du droit de l'environnement ait été ainsi logée par amendement dans le projet de loi ALUR, au Sénat, en fin de première lecture. La consultation du compte rendu des débats en séance permet de s'assurer que ce texte pourtant très significatif n'a pas été réellement discuté ni en commission ou en séance
Il semble que cette manière de légiférer n'ait pas été du goût du Président de la Commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale. Non sans raisons car une réforme aussi importante suppose sans doute d'être bien préparée et attentivement discutée. La qualité du droit et la pérennité des lois ne gagnent jamais à ce que le travail parlementaire de préparation des textes soit éludé.
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Article 84 bis (articles L. 125-6, L. 125-7, L. 512-21 [nouveau], L. 514-20, L. 515-12, L. 556-1, L. 556-2 et L. 556-3 du code de l’environnement) : Instauration par l’État de zones de vigilance
La Commission se saisit de l’amendement CE32 de M. Jean-Marie Tetart.
Mme Laure de La Raudière. L’article 84 bis, introduit au Sénat, résulte des travaux du groupe de travail relatif aux sites et sols pollués dans le cadre du Conseil supérieur de prévention des risques technologiques (CSPRT) mis en place pour rédiger les décrets d’application de la loi du 30 juillet 2003 sur la prévention des risques naturels et technologiques.
Les sites pollués représentent un vrai problème, et il est parfaitement judicieux de s’y intéresser. Mais la rédaction adoptée par le Sénat ne fait pas consensus. Je tire la sonnette d’alarme : beaucoup de groupes industriels, parfois de petits groupes, résultent de rachats successifs de sociétés et possèdent dans leur patrimoine des friches industrielles, quelquefois polluées, dont ils n’ont jamais été l’exploitant. Or cet article change les règles de responsabilité. Je crains que l’on ne mette en danger des entreprises françaises. Je connais un cas où 450 emplois sont en jeu…
Je souligne aussi que nous ne disposons d’aucune étude d’impact qui décrirait les effets possibles de cette mesure sur l’emploi. Dans le contexte économique actuel, il me semble que nous ne pouvons pas voter un tel article sans étude d’impact.
Nous proposons donc une réécriture de l’article. Il serait également possible de le rejeter, et de retravailler sur le sujet, avec une plus grande concertation. En tout cas, cela ne peut pas demeurer en l’état.
M. le président François Brottes. C’est un sujet qui mériterait une loi à part…
Mme la rapporteure. Je partage vos inquiétudes, madame de La Raudière : il est difficile d’aborder un sujet aussi sensible par de simples amendements, et c’est pourquoi je retirerai les miens. Les raisons de mon inquiétude ne sont pas exactement les mêmes : je serais tentée de demander une étude d’impact qui décrive aussi les conséquences qu’aurait sur l’urbanisme – sur les constructions, sur les inégalités au sein des villes et sur la façon de les compenser – la création, dans les documents d’urbanisme, de zones de vigilance. Nous devons nous montrer extrêmement vigilants sur le devenir des pollutions historiques et sur les difficultés posées par les principes pollueur-payeur et tiers-payeur, entre autres sujets.
J’ai auditionné les membres du groupe de travail évoqué par Mme de La Raudière, et qui regroupait des personnes du ministère de l’environnement, des représentants des industriels et des représentants des associations environnementales. Mais je n’ignore pas que certains comités, censés représenter toutes les parties, se révèlent parfois n’avoir pas été aussi impartiaux qu’on pouvait le souhaiter.
Je reste donc très vigilante sur le sujet, même si je connais les bonnes intentions des auteurs de l’amendement, en particulier du sénateur René Vandierendonck, qui connaît bien la question des friches et des sites pollués.
M. le président François Brottes. La question des sites orphelins a été abordée par la loi à plusieurs reprises ; il me paraît très difficile d’adopter un tel amendement sans que l’on nous explique en quoi il modifie le droit existant. Ce sont des sujets souvent inextricables, notamment pour les communes. Les établissements classés suivent déjà des règles extrêmement strictes de provisionnement pour la dépollution : comment ces règles s’articulent-elles avec celles prévues par l’amendement ?
Enfin, la question des sites pollués n’est pas ici au cœur du sujet ; cet article modifie d’ailleurs le code de l’environnement, et non celui de l’urbanisme. Il faut nous donner davantage d’explications ou insérer cette mesure dans un autre texte.
Mme la ministre. Cet amendement a été adopté au Sénat, sur proposition du rapporteur pour avis de la commission des lois, le sénateur Vandierendonck. J’en vois les limites, et je vois les difficultés qu’il peut poser. Effectivement, il pourrait faire l’objet d’un texte séparé ; mais il figure aujourd’hui dans le projet de loi.
Je vous propose donc le retrait de l’ensemble des amendements et la mise en place d’une concertation, qui aboutira peut-être à l’idée qu’il serait préférable de ne pas aborder cette question dans ce projet de loi.
J’entends en tout cas les remarques de Mme la rapporteure comme celles de Mme de La Raudière. Il faut être très prudent.
M. le président François Brottes. Nous pouvons aussi rejeter l’article.
Mme Laure de La Raudière. Je préférerais pour ma part cette solution. Ce serait une meilleure façon d’aborder la négociation avec le Sénat.
M. le président François Brottes. Madame la ministre, si nous retirons tous nos amendements sans rejeter l’article, cela peut donner l’impression que nous ne sommes pas opposés à sa présence dans le texte. Nous pouvons procéder à un double retrait : retrait des amendements des députés, mais aussi des sénateurs.
Mme la rapporteure. Je suis partagée : faut-il laisser le texte en l’état sans prendre position, afin de travailler d’ici à la séance, quitte à rejeter l’article à ce moment, ou bien rejeter l’article en commission, ce qui enverrait un signal négatif ? Je laisserai parler ceux qui ont plus d’expérience parlementaire que moi.
M. le président François Brottes. Il n’est pas inouï que le Sénat rejette des articles entiers venus de l’Assemblée nationale : n’ayons pas trop de scrupules sur ce point.
L’amendement CE32 est retiré, ainsi que les amendements CE597 de la rapporteure, CE33 de M. Jean-Marie Tetart, CE168 de M. Michel Piron, CE34 de M. Jean-Marie Tetart, CE598 et CE596 de la rapporteure et CE35 de M. Jean-Marie Tetart.
Puis la Commission rejette l’article 84 bis.