On avait décidé de retaper cette ruine, une ancienne maison d’esclaves, pourrit jusqu’à la moelle, nichée en pleine forêt au bord de la Roundout Creek, à 2 heures au Nord de New York City dans la vallée de l’Hudson river. Cette baraque était un vrai désastre. D’autres plus censés que nous l’auraient démolis a coup de bulldozer, mais nous étions fous amoureux et le “charme” de cette cochonnerie nous éblouissait. Il faut vous dire que son emplacement était des plus romantique qui soit. D’un coté de la maison, les traces de l’ancien canal Hudson Delaware et de l’autre, la terrasse donnait sur la Roundout Creek, à vingt minutes en canoë des plus proches voisins, un couple de délicieux anglais retraités.A l’époque, notre compte en banque était plus plat que la Beauce et, pour survivre, nous traversions la rivière pour aller chiper des épis de maïs dans le grand champ d’en face et mangions les poissons que j’arrivais a pêcher. Des black-bass pour la plupart que je cuisinais de toutes les façons imaginables. Nous vivions comme ça, tous nus dans cette clairière, baisions comme des lapins, riions comme des hyènes.
Je peignais dans le grenier des grands tableaux invendables et ma foi, tout ça ressemblait fort au Paradis originel. Le soir, sur la terrasse dominant la rivière nous nous gorgions de ce maïs si doux et sucré, jetions les restes dans l’eau et gloussions de joie en entendant les énormes carpes dont nous pouvions apercevoir les gros dos, se repaître de nos restes. Un jour, Puanani, ma fantastique femme m’annonça la visite pour le dîner d’amis New Yorkais venu visiter les « sauvages ». Ce serait bien si tu pouvais nous faire une de tes bouillabaisses, ajouta t-elle. (C’est si rare de vivre avec une femme qui vous envoie à la pêche !)
Sitôt dit, je me met à la recherche de ces grosses larves que les gens d’ici appellent “Hellgramites” et qui passent pour être “the very best for black-bass” et, peu de temps après, me voilà heureux comme un pape au milieu de la Roundout, juste après le grand virage, je sais que c’est un bon coin et d’ailleurs les prises se succèdent non-stop….le fil se tend, je ferre, et la bourriche se remplit de ces magnifiques poissons verts et or jusqu’à cette apparition qui, après tant d’années, continue de me hanter. A vingt mètres, en aval, se tient un énorme cerf.
Une de ces bêtes mythiques comme on en voit sur les livres religieux avec des trucs qui brillent entre les cornes, des crucifix qui lancent des gerbes d’or et des saint Hubert à genoux et des angelots qui sonnent du cor. Impossible de détacher mes yeux de cet animal, de son museau qui frémît, de ses muscles tendus et de son allure de prince de contes de fées. Et ça dure et ça dure…un temps fou, au moins…trente secondes à me dévisager sans un mouvement et plus rien qui existe que cette distance entre le cerf et moi. Et puis, la magie s’estompe doucement. Je respire de nouveau, la bête reprend son chemin, finit de traverser la rivière et disparaît dans les fourrés.
Je crois bien que ce fut le seul moment de ma vie ou j’ai failli devenir croyant.