Calmes et profonds. Voici un ensemble de onze poèmes qui peu à peu enveloppent le lecteur -sans qu’il ne s’en rende compte- sous un voile dont l’opacité se renforce au fil de questions « évidantes ». Questions creusant dans l’obscurité qui gagne la mémoire d’un proche qui nous renvoie alors à nous-mêmes, miroir anticipé des réponses que l’on fera nôtres, immanquablement le moment venu. Entre une tendresse discrète pour le quotidien signant notre simple attache au monde et la blessure toujours ouverte de la constante perte qu’impose le vivre, le poète répète avec pudeur le cycle des interrogations dont il connaît les réponses et la violence sidérée qu’elles engendrent. Lorsque la conversation devient impossible, que la mémoire à ce point défaille, que suivre la ligne étroite pour rester fidèle au sillon des souvenirs, des rencontres passées, des gestes simples qui liaient le monde à soi, s’avère perdu, seul le poème peut tenir encore parole : Comme passe / l’ombre d’un nuage sur le sol. L’adresse à l’autre par l’usage d’un tu qui s’effrite et disparaît dans le nous du dernier poème après avoir tenté la fusion ambiguë du on, marque la claire conscience à laquelle cependant il est dur d’acquiescer d’un commun destin vers l’absence croissante de ce qui nous unit, la mémoire. Ultime visite dans un couloir sous lumière artificielle parmi les fantômes maternels, à celui, frère humain, dont les rares mots encore offerts à l’autre ne vibrent plus en retour partagés. Les yeux ne parlent pas, ils s’égarent dans le refuge absent. Vides et inquiets.
[Yves Boudier]
Jacques Lèbre, Onze propositions pour un vertige, le phare du cousseix, 2013, 7 €