" − Vous m'aimez donc ?
− Ai−je jamais fait autre chose ? "
Qu'est-ce qui fait qu'une pièce est une réussite ? Sur le papier, c'est simple : il suffit d'un beau texte, de comédiens talentueux et d'une bonne mise-en-scène. Voilà pour la théorie. Dans la pratique, c'est plus compliqué. Il faut aussi qu'il y ait une alchimie avec le spectateur, un ingrédient mystère, non quantifiable, qui déclenche chez le public des émotions. Qui fait que, dans notre fauteuil, l'on souffre et l'on se réjouit avec les protagonistes, que l'on ressent des papillons dans l'estomac quand ils sont heureux et que des nœuds de stress se forment en nous quand la tension naît sur scène. Parfois - quand cette alchimie est vraiment là - on se surprend à encourager mentalement les personnages pour qu'ils déclarent leur amour, oubliant un instant que le texte a été écrit il y a fort longtemps et que l'on connaît déjà le dénouement.
L'Epreuve de Marivaux, mise en scène par Clément Hervieu-Léger, réussit parfaitement cela. J'ai vu la pièce en 2012 au Théâtre de l'Ouest-Parisien, à Boulogne. Elle est actuellement en tournée - à Versailles et à Aix-en-Provence notamment - et je ne saurais que trop vous conseiller d'y aller.
L'Epreuve est une histoire de duperie, comme Le jeu de l'amour et du hasard. Il y est aussi question de tester la véracité de l'amour, par delà les intérêts financiers. Mais ici, on n'est plus dans la légèreté du jeu mais dans la douleur. Lucidor, jeune homme riche, est tombé amoureux d'Angélique, la fille du domaine où il est en convalescence. Avant de la demander en mariage, le jeune homme veut être sûr des motivations de la belle et met en place un cruel stratagème. Au comble de la souffrance, elle qui aime simplement, n'imagine pas une seule seconde que l'on puisse recourir à un tel artifice : qui peut avoir assez de cruauté pour agir ainsi ...
Dans ce face-à-face amoureux, la mise-en-scène de Clément Hervieu-Léger est parfaite : les silences mesurés nous font ressentir avec justesse l'émotion ; la proximité des corps des deux comédiens clame l'amour que les mots n'avouent pas. Audrey Bonnet et Loïc Corbery sont merveilleux. Elle est à la fois douce et grave, ses émotions nous bouleversent. Lui, généralement plein de vie et de fougue (je fais soft cette fois mais vous connaissez désormais mon IMMENSE admiration pour ce comédien...), campe ici un jeune homme malade qui tient à peine sur ses jambes. Clément Hervieu-Léger va plus loin dans l'interprétation du texte, nous laissant penser que la mort est proche ...
Le reste de la distribution est également irréprochable. Stanley Weber - que le grand public a pu découvrir dans la série télé Borgia diffusée sur Canal + - nous démontre qu'il est aussi talentueux sur les planches que sur le petit écran. Sous les traits de Maître Blaise, fermier au phrasé rustique, il dévoile sa fibre comique. Nada Strancar (Madame Argante), Adeline Chagneau (Lisette) et Daniel San Pedro (Frontin) complètent cette belle équipe.
Laisser le spectateur un peu rêveur, un peu songeur lorsque le rideau tombe : c'est aussi cela une pièce réussie. Je ne vous félicite pas Monsieur Hervieu-Léger : c'est à cause de gens comme vous que le théâtre devient une vraie addiction!
L'Epreuve de Marivaux, mise-en-scène de Clément Hervieu-Léger de la Comédie-Française. Avec Audrey Bonnet, Adeline Chagneau, Loïc Corbery de la Comédie-Française, Daniel San Pedro, Nada Strancar et Stanley Weber. Au Théâtre Montansier à Versailles, les 14 et 15 janvier à 20h30.
Au Théâtre du Jeu de Paume à Aix-en-Provence, du mardi 21 au vendredi 24 Janvier 2014 à 20H30 sauf Mercredi 22 à 19H.