Dieudonné, ou l'intégration chez les dingues

Publié le 08 janvier 2014 par Riwal
Il fut un temps où Dieudonné faisait légitimement rire. Lorsqu'il Elie Semoun et lui jouaient les duettistes - souvenons-nous de cette affiche d'un de leurs spectacles que l'on croisait partout à Paris montrant l'un, Juif, habillé en SS et l'autre, Noir, portant les habits du "Klan", ahah, j'en pouffe encore - mais pas seulement: ses débuts en solo furent assez prometteurs et, quoiqu'il en soit, installaient l'artiste dans un paysage humoristique des plus ordinaires, j'entends par là: après Raymond Devos le Belge, Guy Bedos le Juif Pied-Noir et Coluche le Rital mais avant Jamel Debbouze le Marocain, Dieudonné s'apprêtait à devenir membre honorable d'une cohorte de "rigolos-pas-Français-pur-porc" réussissant l'exploit de faire s'esclaffer jusqu'au plus obtus des xénophobes "de souche". M'bala M'bala l'ancien Camerounais était bien parti pour bénéficier de cette "filière d'intégration accélérée", qui fait en France concurrence au football ou à l'Armée lorsqu'il s'agit de faire accepter une "différence visible" (et, du coup, la rendre invisible) par le plus grand nombre.Cela jusqu'au jour où l'intéressé a littéralement pété un câble. Cloué au pilori médiatique pour un sketch pas franchement drôle mettant en scène un rabbin faisant le salut nazi et criant "Isra-heil", Dieudonné s'est soudainement découvert une vocation. Puisque la presse était quasiment unanime à trouver ce sketch de mauvais aloi, c'est bien qu'une limite avait été franchie, qu'une transgression avait été commise. Si personne ou presque n'avait naguère bronché devant l'uniforme SS d'Elie Semoun, c'est sûrement parce que ce dernier est Juif et que selon une règle non-écrite, seul un Juif pourrait se permettre de déconner avec ce genre de symbole. Limites, règles, donc transgression, Dieudonné avait trouvé son truc. Jusque là, même si ça pouvait éventuellement tomber sous le coup de la loi ou susciter des procès, à la limite tout allait bien, le Dieudonné-2.0 aurait pu éventuellement susciter l'intérêt. Un humoriste au rire un peu borderline, mais un humoriste avant tout.Seulement voilà: là où "Dieudo" a franchement pris du jeu dans la direction, c'est lorsque l'idée lui est venue d'habiller publiquement le tout d'un voile "politique" naviguant autour du thème des Juifs "banquiers-esclavagistes" et donc exploiteurs et suceurs du sang de ses ancêtres africains. Lorsque les critiques dont il a pu faire l'objet ont pris à ses yeux l'allure d'un "débat d'idées". Lorsqu'il a repris à son compte la fameuse antienne "pour tout ce qui est contre, contre tout ce qui est pour" et s'est découvert une attirance pour l'Iran d'Ahmadinedjad, la Syrie d'Assad ou le Hezbollah. Lorsqu'il s'est, last but not least,  auto-proclamé porte-parole d'une obscure minorité plus ou moins silencieuse, opprimée par les "médias sionistes" et présenté en tant que tel aux suffrages des électeurs.
De fait, il s'est trouvé un noyau dur d'inconditionnels mêlant antisémites "de souche" opportunément reconvertis en farouches défenseurs des Palestiniens et soi-disant musulmans issus de l'immigration arabo-africaine, les uns et les autres ayant en commun la haine du "sionisme". Un public qu'il a fallu satisfaire à coups de provocs, de dérapages sciemment construits, genre Faurisson en habits de déporté. Un public qui en redemande.
Passons sur l'énergie que déploie actuellement le gouvernement pour faire disparaître le vilain-pas-beau du paysage, acharnement que la Ligue des Droits de l'Homme considère très justement comme contre-productif: n'eût été la malencontreuse cabriole de Michael Schumacher sur les pentes de Méribel, Dieudonné serait en France le "people" le plus en vue du moment.
Et notons qu'il y a des signes qui ne trompent pas: cela fait maintenant plusieurs semaines que le "ravi" du Théâtre de la Main d'Or fait la "une" admirative de l'hebdomadaire Rivarol, journal qui, pour faire court, se situe quelque part entre la droite et l'extrême-droite du FN. C'est un signe car les rédacteurs de cet hebdo en connaissent un rayon côté "antisionisme" et savent à coup sûr distinguer un vrai bouffeur de Juifs, où qu'ils soient et quoi qu'ils fassent ou disent, d'un d'humaniste mou du genou simplement choqué par le sort fait aux Palestiniens. Dieudonné a passé le test avec succès, bon pour le service, le voilà désormais enrôlé du côté des pourfendeurs de l"Anti-France".
Mais ce "signe", en même temps, donne à penser.
D'une part, accessoirement, parce que "Rivarol" ne manqua pas, en d'autres temps, de dire tout le mal qu'il pensait de la décolonisation et tout le bien qu'il fallait penser du régime de l'apartheid en Afrique du Sud. Voilà, aujourd'hui, qu'il se met à encenser un Noir tout noir affublé d'un patronyme tout ce qu'il y a de plus post-colonial. Tout fout le camp, ma pauvre dame.
D'autre part, surtout, parce que comme le disait Desproges, on peut rire de tout, mais pas avec n'importe qui: faute de quoi ce ne sont pas seulement les limites de l'intelligence que l'on franchit mais aussi, potentiellement, celles qu'on fixe à l'image que l'on veut donner de soi. Naguère, un Dieudonné habillé en "Klansman" provoquait tout autant qu'un Semoun en SS, mais il était entendu que l'homme originaire du Cameroun ne portait pas davantage dans son coeur les Sudistes au crâne pointu que le Juif ne chérissait les défenseurs de la "race supérieure". Désormais, au vu de l'admiration qu'il suscite chez les excités de l'Occident hélléno-chrétien (sic), ce costume ne lui va rétrospectivement pas si mal.
Dieudonné M'bala M'bala a bien, tout compte fait, suivi une "filière d'intégration accélérée". Mais à un moment, il s'est gouré de porte. Le voilà intégré à une France rancie, aigrie, haineuse, paranoïaque. Il fut un temps où Dieudonné faisait légitimement rire. Mais à l'époque on ne savait pas que c'était avec un n'importe qui, qui finirait par faire n'importe quoi.
Bonne année à tous, cela étant.