La transmission du patronyme ne doit pas s’opérer sur la base d’une discrimination fondée

Publié le 07 janvier 2014 par Elisa Viganotti @Elisa_Viganotti
<
Dans son arrêt de chambre, non définitif1, rendu ce jour dans l’affaire Cusan et Fazzo c. Italie
(requête no 77/07), la Cour européenne des droits de l’homme dit, à la majorité, qu’il y a eu :
<
Violation de l’article 14 (interdiction de la discrimination), combiné avec l’article 8(droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention européenne des droits de l’homme
<
L’affaire concerne la contestation de la transmission du patronyme aux enfants.
Un couple d'italiens mariés, Alessandra Cusan et Luigi Fazzo, eurent pour premier enfant une fille, Maddalena, qui naquit le 26 avril 1999.
M. Fazzo demanda l’inscription de sa fille au registre de l’état civil sous le nom de famille de sa mère, soit Cusan. Sa demande fut rejetée et l’enfant fut inscrite sous le nom de famille de son père, Fazzo Le couple introduisit un recours en justice contre cette décision, faisant valoir qu’aucune disposition du droit italien ne s’opposait à ce que leur fille porte le nom de famille de la mère. Après avoir épuisé toutes les voies de recours, finalement par décret du 14 décembre 2012 le préfet de Milan autorisa les époux à changer le nom de leurs enfants en « Fazzo Cusan ». <
Devant la CEDH, invoquant l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale), seul ou lu en conjonction avec l’article 14 (interdiction de la discrimination), les requérants se plaignent du refus des autorités italiennes de faire droit à leur demande d’attribuer à leur fille le nom de la mère ainsi que du fait que la législation italienne, à l’époque des faits, imposait l’attribution du nom paternel aux enfants légitimes. Ils considèrent que la loi aurait dû permettre aux parents de choisir le nom de famille de leurs enfants.
Selon la Haute juridiction européenne il y a discrimination lorsque sont traitées de manière différente, sans justification objective et raisonnable, des personnes se trouvant dans des situations comparables. Une distinction est discriminatoire au sens de l’article 14 si elle manque de justification objective et raisonnable. La justification s’apprécie à la lumière des principes qui prévalent d’ordinaire dans les sociétés démocratiques.
La règle selon laquelle les enfants légitimes se voient attribuer le patronyme à la naissance se dégage d’un certain nombre d’articles combinés du code civil italien. La législation interne ne prévoit aucune exception à cette règle. Il est vrai que le préfet de Milan a autorisé les requérants à ajouter au patronyme de l’enfant le nom de sa mère. Cependant, ce changement n’a pas consisté en l’attribution du seul nom de famille de la mère, comme les requérants le souhaitaient, mais en un simple ajout du nom de la mère à celui du père.
La Cour est donc d’avis que dans le cadre de la transmission du nom de famille, le père et la mère de l’enfant sont traités de manière différente. À la différence du père, et en dépit de l’accord des  époux, la mère n’a pas pu obtenir l’attribution de son nom de famille au nouveau-né.
La Cour a rappelé dans sa jurisprudence l’importance d’une progression vers l’égalité des sexes et de l’élimination de toute discrimination fondée sur le sexe dans le choix du nom de famille. Elle a estimé que la tradition qui attribue à tous les membres de la famille le nom du père ne pouvait justifier une discrimination envers les femmes.
Dans cette affaire, la détermination du nom de l’enfant s’est faite uniquement sur la base d’une discrimination fondée sur le sexe des parents, la règle en cause voulant en effet que le nom attribué soit - sans exception - celui du père, quelle que soit la volonté des époux. La Cour constitutionnelle italienne elle-même a reconnu que le système en vigueur procède d’une conception patriarcale de la famille qui n’est pas compatible avec le principe constitutionnel de l’égalité entre homme et femme.
La règle italienne voulant que le patronyme soit dévolu aux enfants légitimes peut être nécessaire en pratique et n’est pas forcément en contradiction avec la Convention, mais l’impossibilité d’y déroger est excessivement rigide et discriminatoire envers les femmes.
<
Il y a donc eu violation de l’article 14 combiné avec l’article 8. 
<+Elisa Viganotti