Enfin, l’Europe remonte le museau. Toute la presse en parle et constate, presque joyeuse, que les perspectives européennes ne sont plus aussi sombres qu’on aurait pu le croire il y a encore quelques semaines. Comme le mentionne un récent article de Thibault Doidy de Kerguelen sur Contrepoints, l’Italie retrouve la croissance, les carnets de commande se remplissent, et la création d’emploi repart ; l’Allemagne enregistre en décembre un rythme de croissance de l’indice manufacturier le plus élevé depuis deux ans et demi, et l’économie britannique montre les mêmes signes de bonne tenue.
En fait, en Allemagne, ce serait même l’euphorie si l’on s’en tenait aux chiffres distribués par une presse avide de bonnes nouvelles économiques, rares jusqu’à présent. Avec un taux de chômage sous les 7% et plus de 230.000 créations nettes d’emplois en 2013, la première économie de l’Union Européenne et de la zone euro montre ici des signes clairs que son économie reprend vivement des couleurs.
Cependant, cette bonne santé presqu’insolente mérite qu’on prenne un peu de recul quelques secondes, notamment lorsqu’on regarde (par exemple) le solde budgétaire allemand et qu’on le compare à d’autres économies. En effet, avec un surplus budgétaire tournant autour de 7%, l’Allemagne se positionne très clairement dans les pays qui engrangent bien plus de taxes et d’impôts que ce que leurs dépenses publiques absorbent. Si l’on peut évidemment se réjouir d’une gestion publique allemande manifestement plus saine que celles d’autres pays, ces surplus, tant par leur importance que leur nature, vont inévitablement provoquer quelques effets de bords, pas tous souhaitables.
On imagine sans mal les frictions qu’il va y avoir avec les autres pays de la zone euro qui doivent, eux, faire des coupes drastiques pour simplement équilibrer leur budget (et, pour certains d’entre eux, ne les font même pas). La tentation pour ces derniers, parfaitement socialiste mais très ancrée dans les habitudes, de réclamer une redistribution de ces gros surplus ou d’un assouplissement de la politique monétaire de la BCE sera extrêmement forte, et probablement impossible à réfréner. Les prochains Conseils européens promettent un peu d’agitation.
Dans les agitateurs de la première heure, vous pourrez compter sur la France, éternelle et merveilleuse, phare du monde moderne avec de vrais morceaux d’égalitarisme dedans : avec l’approche des municipales, tous les partis feront assaut d’agressivité vis-à-vis de l’Europe pour bien montrer qu’ils ne s’en font pas conter par les technocrates bruxellois apatrides néolibéraux. Dès lors, peu importe les actions de tempérance de la Bundesbank pour éviter l’ouverture en grand de toutes les vannes monétaires de la BCE, vous pouvez être à peu près certains qu’à conditions politiques favorables, les Français seront les premiers à réclamer bruyamment le retour des LTRO (long term refinancing operation, ou, en langage normal, « Le Monnayage Pour Tous »).
Et les bougres ont déjà de beaux arguments ; outre le fait de renvoyer l’Allemagne à ses études (après tout, « elle n’a pas besoin d’être aidée, elle baigne dans les surplus », peut-on dire en substance), le spectre de la déflation s’installe tous les jours un peu plus. Pour le moment, c’est la périphérie européenne qui trinque : Chypre enregistre ainsi sa première déflation en un demi-siècle. Mais les chiffres pour le reste de l’Union ne laissent guère de doute : ça se contracte pas mal du côté de la distribution de crédit.
N’oubliez pas : dans une économie basée sur la réserve fractionnaire et l’inflation, la distribution de crédit est impérative pour que la machine ne s’arrête pas ; et dès lors, peu importe les dégâts, les élites (politiques notamment) qui dépendent ultimement de ce système pour garder leur place feront tout ce qu’elles peuvent pour éviter cette déflation.
Et pendant que l’Allemagne enregistre des performances solides, la France socialiste s’enfonce.
Bien sûr, il y a toujours le douloureux problème de son secteur automobile, toujours malade, rarement convalescent et dont les chiffres récents indiquent une rechute pour l’année 2013, camouflée dans la presse par un petit rebond de décembre qui tient bien plus aux amusantes mesures gouvernementales pour favoriser le secteur comme la baisse des limitations de vitesse, l’augmentation des malus ou de celle du prix des carburants.
Mais même au-delà de l’automobile, les chiffres ne sont franchement pas bons : l’indice PMI français plonge. Oh, mais, que vois-je ? Encore une courbe qui ne s’inverse pas ! Celle des demandeurs d’emplois indemnisés est en hausse en novembre, ce qui persiste à donner cette coloration si particulière aux déclarations ridicules du chef de l’État, de son premier ministre ou de Michel Sapin, l’intermittent du spectacle actuellement en charge du Chômage.
Bien évidemment, tout ceci a un impact direct sur le moral des Français qui, malgré toute la bonne humeur de façade affichée par nos ministres (qui continuent de recevoir leurs indemnités, merci bien), enregistre actuellement une chute record.
Déflation, chiffres catastrophiques, chômage en hausse et moral en baisse ?
Ne vous inquiétez pas, tout le monde n’a pas abandonné la France en rase campagne. Quelques individus, armés de leur seul courage et d’une bonne dose de culot, se sont retroussé les manches pour redresser la situation, paver le chemin (de bonnes intentions) et arpenter le sentier lumineux vers un succès qu’on imagine déjà flamboyant.
Et à l’avant-garde de cette courageuse phalange de l’action positive, comment s’étonner qu’on retrouve nos fiers syndicats, dont l’emploi du temps chargé par la multiplication de plans sociaux leur a tout de même laissé quelques minutes pour participer aux discussions sur l’autorisation de travailler le dimanche pour les enseignes de bricolage. Leur réaction, parfaitement constructive et pragmatique en ces temps de disette économique, est assez simple :
« C’est assez clair, on est contre. »
Peu importe ici que les salariés, eux, soient pour que les enseignes ouvrent. Peu importe que certains magasins soient au bord de la faillite si jamais on les contraint à fermer ce jour-là. Peu importe que les clients s’en trouveraient satisfaits : les syndicats n’ont pas obtenu de contreparties (ie : un petit bakchich) pour accepter une telle entorse à leur repos dominical qui permet à ces fervents catholiques pratiquants de ne pas louper une messe indispensable à leur équilibre religieux.
Et quand ce n’est pas le non-travail le dimanche, les syndicats prônent le non-travail le reste de la semaine aussi, au moyen de journées ironiquement appelées « d’action » où tout le monde reste les bras croisés, comme par exemple à la SNCM qui n’en finit pas d’agoniser pendant que d’autres sociétés, indépendantes de l’État et assainies des contingences loufoques des syndicats mafieux locaux, continuent d’opérer.
Vous voyez, pas de raison, donc, de s’affoler : même si la déflation montre le bout de son nez, même si elle sera vraisemblablement combattue par une injection monétaire dantesque avec finalement des effets inflationnistes assez violents, même si le chômage grimpe et le moral tombe au plus bas, il restera toujours en France des gens sur lesquels on pourra compter pour que la situation ne bouge pas d’un cachou.
Ce pays est donc foutu.
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