[critique] Yvonne Besson – Meurtres à l’antique

Carole avait souri quand il l’avait appelé « patron ». C’était la première fois qu’ils partageaient une vraie enquête criminelle, et visiblement Modard se croyait dans l’univers de Maigret. Elle espéra qu’elle ne le décevrait pas, tout en pensant, tristement, que la réalité des meurtres n’avait rien à voir avec le jeu littéraire des romans policiers.

Mais qu’ont donc les auteurs de polars avec le mythe d’Oedipe ? Meurtres à l’antique d’Yvonne Besson tisse son texte autour de cette trame ; c’est peut-être en dire déjà trop… Pourtant, comment parler de ce roman policier sans mettre en avant cet intertexte fondamental ?

L’histoire d’Oedipe, racontée par Sophocle dans Oedipe Roi, est en effet la première histoire policière de l’histoire de la littérature : le royaume de Thèbes va mal, la peste s’est abattue sur la ville, l’épidémie ne prendra fin que lorsque sera résolue l’énigme du meurtre du roi Laïos. -Oedipe détective, tel aurait en effet pu être le titre choisi par Sophocle, puisque cet homme qui avait déjà répondu juste à la devinette du Sphinx trouvera la clé de ce meurtre en se trouvant lui-même… Le détective-meurtrier, une structure policière reprise par Agatha Christie dans le Meurtre de Roger Ackroyd. Oedipe, détective et meurtrier, un motif avec lequel Alain Robbe-Grillet s’est allègrement amusé dans Les Gommes.

Yvonne Besson s’empare elle aussi du mythe et le place au coeur d’une enquête policière qui sent bon les embruns normands. L’atmosphère de port de pêche, de chantiers navals et de ponts tournants rappelle à la fois Les Gommes, dans lequel le personnage principal n’en finit pas de regarder se lever et s’abaisser les ponts, et les romans de Simenon où Maigret est bien souvent amené à fréquenter le monde des bateliers (voir par exemple Le Charretier de la Providence). Si la référence à Robbe-Grillet n’est pas nécessairement mis en avant, le clin d’oeil à Simenon est, lui, fréquemment souligné.

Meurtres à l’antique s’inscrit donc dans une longue tradition, celle des policiers qui déclinent le mythe des Labdacides, mais aussi celle des polars jouant avec la littérature. Quoi de plus tentant pour une ancienne professeur de lettres ? Ces ingrédients réunis donnent naissance à  policier captivant, qui nous donne assez d’indices pour éveiller en nous le goût de l’enquête et l’envie d’en savoir plus. Un bon moment de lecture, antique et policière.