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Claude Louis-Combet, Suzanne et les Croûtons

Par Eric Bonnargent
Derniers frissons avant la nuit
Romain Verger

Claude Louis-Combet, Suzanne et les Croûtons

© Jean Rustin

Avec Claude Louis-Combet, il faut toujours s’attendre à ce que le laid côtoie le beau, que les peintures qu’il brosse de sa plume, obscènes et dérangeantes, acquièrent par ses mots et son art du raffinement, une sorte de splendeur baroque, de charme vénéneux et sublime. Ce texte n’y fait pas exception, relevant même d’un cran notre tolérance au scabreux, puisque l’écrivain nourrit sa fiction d’un thème peu affriolant : celui du grand âge et de sa sexualité déliquescente, ici décadente.
Comme souvent, l’auteur emprunte aux réminiscences religieuses, aux hagiographies, aux légendes et aux mythes, tissant inlassablement du passé au présent le fil persistant d’un sacré croisant le catholicisme et le paganisme. Suzanne et les Croûtons est tiré de l’épisode biblique "De la libération de la chaste Suzanne », le treizième chapitre du livre de Daniel qui conte la mésaventure d’une jeune femme surprise au cours de son bain. Elle refuse les propositions malhonnêtes de deux vieillards qui l'accuseront d'adultère et la feront condamner à mort, avant d’être sauvée par le prophète Daniel qui lavera son honneur et obtiendra la condamnation des deux vieillards lubriques. Une scène édifiante dont les peintres se sont maintes fois emparés, parmi lesquels Rubens, Véronèse, von Stuck, Rebeyrolle…
L’anecdote est mise au goût du jour : Suzanne est infirmière ou visiteuse à la Clinique du Confluent, un hospice où les croulants, qui n’ont plus rien à attendre de la vie et que toute pudeur semble avoir abandonnés, entretiennent les braises moribondes de leurs émois d’antan. Dans les miasmes de graillon et de pisse, ils traînent de couloir en couloir leurs « mines truandesques » et leur libido de « volcans périmés », conjurant l’imminence de leur mort par l’exhibitionnisme et l’onanisme : ils « exhibaient sans gêne leurs génitoires pantelants. Ils grattaient, là-dedans, sans vergogne et reniflaient le bout de leurs doigts. »
Louis-Combet brosse une galerie de portraits saisissants. Ces ruines séniles, des plus piteuses et vulgaires aux plus dignes (ainsi de Rex Veterum, centenaire et Roi des Flapis) rappellent les terribles peintures de Jean Rustin, représentant invariablement et compulsivement l’homme dans sa solitude et son dénuement le plus total, prostré dans une sexualité autistique et régressive. Mais si le sérieux et le tragique ne se départissent jamais de l’œuvre du peintre, Louis-Combet s’applique manifestement à tourner la décrépitude et l’impuissance en dérision :

« C’était une bande de compères, ci-devant chauds lapins, à présent frappés, comme les autres, par le mal d’impotence. À la manière de ces grands malades ou grands infirmes qui tirent vanité de leur indigence physique et se tiennent au premier rang de la foule, lorsqu’est annoncée la venue de quelque thaumaturge, aux miracles assurés, ceux-là encadraient la porte d’entrée du grand hall de l’établissement, que Suzanne devrait nécessairement franchir aussitôt qu’elle arriverait. Ils étaient entièrement nus, exhibant leurs loques sexuelles, mais comme ils n’avaient rien oublié des bonnes façons de leur passé de séducteurs et qu’ils connaissaient bien le langage des fleurs, ils tenaient piquée, dans la petite fente de leur verge, la tige d’une fleurette extasiée, un œillet de poète, une jeune marguerite, un bouton d’or, et ils avaient disposé des bribes de verdure tout autour, subtilement attachées aux poils du pubis. Ainsi ornés, ils se donnaient l’air des vieilles divinités des jardins et bosquets d’autrefois. Mais naturellement, cette opération de fleuriste, rameuter de belles, n’avait rien de flambant. »
L’auteur verse dans de tels excès que son propre tableau en devient éminemment grotesque, à la fois festif, dionysiaque même. Dès l’entrée en scène de Suzanne, le récit bascule ainsi dans un délire de luxure collective. Son apparition s’accompagne d’un vent de folie parmi les résidents, et ce n’est que le prélude à une évocation fantasmatique sidérante (celle du fameux bain, devenu ici une douche torride entre quatre cloisons de verre), qui tient à la fois du peep show et de l’orgasme cosmique. Car contrairement à son modèle biblique, Suzanne n'a rien d’une chaste jeune femme effarouchée. À la fois Ève et Bethsabée, sainte et pute, elle traverse le temps pour embraser ce mouroir de sa fièvre. C’est bien elle chez Louis-Combet qui excite sciemment les croûtons, tout investie de sa mission de thérapeute et de thaumaturge, convaincue de les guérir de leur croûtonnerie. « Femme première et dernière, offerte en rêve aux derniers vivants », elle a bon espoir de revigorer ces « vieilles fripes de chair » : « Alors, l’alleluia de la résurrection éclaterait dans les cœurs et, aussitôt retrouvée la voie du chant, fuserait de toutes parts, saluant et célébrant l’éternel retour du printemps. »
Il est à noter que le texte est précédé d'une version manuscrite intégrale.

Claude Louis-Combet, Suzanne et les Croûtons, L'Atelier contemporain, 2013. 15 €
Claude Louis-Combet, Suzanne et les Croûtons

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