L’enceinte de Paris est de nouveau franchie et, au-delà de cette enceinte, une ville considérable s’est créée, qui se confond avec lui et l’enveloppe. Unie à Paris par les liens les plus étroits, perpétuellement en contact par tous ses intérêts, recevant de Paris une grande partie de son travail et des capitaux qui animent son industrie, profitant de tous ses monuments, associée à toutes ses richesses, jouissant comme d’un bien qui lui est propre, de toutes les merveilles que le génie des arts, le goût, les sciences, y font éclore, n’est-il pas raisonnable et d’une rigoureuse justice qu’elle abdique une individualité, de plus en plus fictive, et qu’elle se fonde avec Paris, dans une union réelle et complète ? Telle est la loi qui a présidé, dans tous les temps, à l’agrandissement de Paris ; et quel aspect offrirait-il aujourd’hui, si on n’y avait pas obéi ?
La nécessité de faire de Paris une ville une, pour la salubrité, la beauté et l’ordre, ne s’est montrée non plus, à aucune époque, d’une manière plus éclatante. Paris s’embellit, s’assainit chaque jour, avec une rapidité que les hardis n’avaient pas entrevue. Les rues étroites et obscures disparaissent, pour faire place à de larges voies, pleines d’air et de soleil ; et Paris, qui est déjà la plus élégante, la plus belle capitale de l’Europe, en sera bientôt la plus salubre.
Voilà ce qui s’accomplit, sous l’heureuse et féconde impulsion de l’Empereur, mais ce qui ne pourrait se réaliser avec une administration dépourvue de force et d’unité. Tout cela plaît au peuple ; car la civilisation, l’art, l’ordre, c’est la joie du pauvre, non moins que celle du riche. La population de la banlieue ne peut être déshéritée de ces bienfaits.
Or comment parviendrait-elle à les obtenir, dans l’état actuel de son organisation ? Quelle ressource peut-elle y consacrer, sans grever les habitants de charges plus lourdes que celles de l’annexion ? Où est la loi qui offre les moyens de contraindre les communes ? Comment parviendrait-on à former une fédération de ces municipalités diverses, pour agir dans des vues d’ensemble, et faire pour les vingt-six communes du territoire annexé ce que fait l’administration de la Seine pour les douze arrondissements de Paris ?
Le spectacle qu’offre le présent est une leçon pour l’avenir ; il montre combien il est urgent de ne pas ajourner davantage une réunion dont le temps ne ferait qu’aggraver les difficultés. Le parallèle entre Paris et sa banlieue n’a jamais été, dans la pensée du gouvernement, un blâme adressé aux lumières et au patriotisme des administrations municipales. Tout ce qu’elles pouvaient faire, elles l’on fait, dans la mesure de leurs ressources, avec un dévouement auquel il est heureux de rendre hommage. Plusieurs ont exécuté des travaux aussi beaux qu’utiles. Les améliorations qui manquent à ces communes sont sans doute absentes aussi dans beaucoup de localités : il faut les désirer, pour le bien-être général ; les propager partout où elles sont réalisables, et savoir les attendre quand elles ne le sont pas encore ; mais il est des contrastes que ne tolère pas la grandeur d’une capitale ; et lorsque le progrès ne dépend que d’un changement de régime, la vraie sagesse, c’est de ne plus hésiter à l’accomplir.
J.B. Duvergier, « Exposé des motifs de la loi du 16 juin 1859 sur l’extension des limites de Paris », Collection complète des lois, décrets, ordonnances, règlements et avis du conseil d’Etat, t.49, année 1859, p.354-355
Texte tiré de Paris/Banlieues, conflits et solidarités, ouvrage très précieux pour tous ceux qui s’intéressent à Paris. Sous la direction d’Annie Fourcaut, Emmanuel Bellanger et Mathieu Flonneau, ce livre se présente comme un outil, « une historiographie, anthologie et chronologie » sur les rapports de Paris avec sa/ses banlieues de 1788 à 2006. Des textes connus et d’autres rares, des documents et illustrations (pas assez et surtout pas assez grandes ;-), tous mis en perspectives par une équipe d’historiens, qui aident à comprendre la problématique Paris-banlieue aujourd’hui. La lecture du texte sur la “Ville une“, à propos de l’annexiop de 1864 par exemple est particulièrement intéressante. Mis à part le style, et le contexte politique de l’époque, il paraît reprendre une démarche que l’on ne rejetterait pas aujourd’hui, et il serait intéressant de l’actualiser, le mettre dans un vocabulaire du début du 21ème siècle pour voir que près de 160 ans après, il serait presque réutilisable…
Un livre enfin qui permet de corriger deux éléments de mémoire, une terrible amnésie d’un côté, et une obsession de l’autre, que soulignaient les auteurs lors de la présentation de l’ouvrage, à l’Hôtel de Ville de Paris, en présence de Pierre Mansat, le 31 mai dernier. Paris/Banlieues, conflits et solidarités, et en effet né d’une commande de la Mairie de Paris, qui voulait initier un travail historique sur les relations entre la ville et sa banlieue. Les résultats des séminaires qui en ont découlé sont consultables sur le site de la mairie de Paris.
L’amnésie ou le tabou, c’est qu’une Grand Paris a déjà existé, pendant longtemps, avec le Conseil général de la Seine, que l’état actuel de l’agglomération parisienne, son incroyable découpage qui la rend ingouvernable ne date que de 1964, et qu’il n’a pas existé de toute éternité. L’autre élément de mémoire, rapporté par Annie Fourcaut et les autres intervenants, c’est le traumatisme, réel ou instrumentalisé de « l’annexion » de 1860, parlant des cartes représentant leur commune avant l’amputation par Paris d’une partie de ses territoires vues dans les bureaux de maires.
Conflits et solidarités entre Paris et ses banlieues : une grande absente dans le débat qui a suivi la présentation du livre : la Ville. Bien sûr, comme me le faisait remarquer une chargée de mission qui suit le secteur relations avec les banlieues, on a parlé de l’agglomération. C’est vrai, on a aussi parlé de métropole. Mais pas de Ville. On a aussi parlé de région, pour signaler que le vide de 1964 avait été comblé par la région. Pas si sûr, comme le faisait remarquer un autre intervenant. Si la région est bien le minimum de bonne échelle dans le cadre plus large de la compétition internationale, européenne d’abord, mondiale ensuite, la région ne sait pas traiter des problèmes de la ville. On comprendra sans difficulté que le pourcentage d’intérêts commun ont un habitant de Vincennes et du 12ème arrondissement de Paris, n’a rien à voir avec celui d’un habitant de Jouarre et du 12ème arrondissement… Même si je connais un collègue de travail qui habite Crécy la Chapelle (77), travaille à Villarceaux (91), et fait le trajet en transports en commun via Paris….
Donc grande absente, la Ville, qu’elle est-elle aujourd’hui, et quel lieu pour réunir la ville au lieu de l’éclater. Comment traiter les problèmes spécifiques qui ne sont pas ceux d’un découpage administratif, département ou région, mais ceux d’une réalité urbaine simple. Et comment donner à tous les habitants de la Ville une réponse égale et démocratique, pour des problèmes qui leur sont communs, mais dont le traitement dépend du rattachement administratif de chacun ?
Bertrand Delanoë a ouvert une porte avec la Conférence Métropolitaine. Il faut s’y engouffrer pour éviter qu’elle ne se referme et à partir de là construire à nouveau un Grand Paris, à l’échelle de la Ville une, comme on l’avait déjà compris en 1859.
Paris/Banlieues, conflits et solidarités est publié aux Editions Créaphis